L’empire Moon
Jean-François Boyer 1986
L’empire Moon, pages 315-419
I. LA PHOTO DE FAMILLE
Introduction
1. « Frères et sœurs » 14
2. Le don de soi 26
3. Une ambition pour le monde 45
4. La société Moon-France : combines 61
5. La société Moon-France : propagande 71
6. La société Moon-France : indélicatesses 87
II. LA CONSTRUCTION D’UN EMPIRE
7. Le prophète solitaire 105
8. La naissance d’une Église 118
9. De l’Église à l’Internationale 128
10. La naissance de la multinationale 139
11. Les rouages d’un empire financier mondial …. 155
12. L’une des cinquante premières puissances privées du monde 168
III. MOON AU SERVICE DE L ’AMÉRIQUE
13. Des petits Français pour Nixon 179
14. La « marée montante » du reaganisme 198
15. À la rescousse en Amérique latine et centrale 211
16. Sur le terrain avec la Contra 229
17. Moon, la « guerre privée » et la Ligue anticommuniste mondiale 239
18. Au cœur de la droite américaine : le Washington Times 261
19. Le Nicaraguan Freedom Fund 280
20. Dîners en ville et jeux d’influences 301
IV. MOON À LA CONQUÊTE DU MONDE
Introduction : le Washington Times, journal planétaire 317
21. Gagner les élites européennes 322
Invitations 322
Relations publiques internationales 324
Indiscrétions gênantes 328
Paris : capitale mondiale de l’anticommunisme 332
22. La France, tête de pont sur le front européen 335
Guerre au pacifisme ! 335
Sous les lambris de l’Hôtel de Ville 338
Bricolages 339
Surmenage idéologique 341
Son excellence l’ambassadeur 343
Les paravents du Palace 346
Stratégie hôtelière 349
Pour quelques millions de dollars 352
23. Gustave Pordéa : un mooniste au Parlement européen 356
Colleurs d’affiches 357
L’éminence grise du « patron » 361
« L’affaire Pordéa » 363
« Historique ! » 367
Objectif : législatives 1986 369
24. La marche sur Moscou et la contre-révolution mondiale 371
SOS-Droits de l’homme 371
Un dirigeable contre Mikhaïl Gorbatchev ? 375
Moon, c’est l’Amérique ! 377
Contre-insurrection 380
Avec les guérilleros du Cabinda 383
Encercler l’Union soviétique 385
Ne rien céder sur la « guerre des étoiles » 388
25. Moon prisonnier de l’Amérique 391
Adopté par la droite japonaise 391
Face aux « prétendus libérateurs » de l’Afrique 393
La « stratégie de l’araignée » ? 396
Fort de ses alliés 398
Surf précaire sur la vague Reagan 401
Liste des principaux sigles utilisés 406
Index 407
Table 414
p. 315
IV
Moon à la conquête du monde
p. 317
Introduction :
Le Washington Times, journal planétaire
« Notre objectif est de faire du Washington Times l’un des dix plus importants journaux du monde. Je suis heureux de vous annoncer que dans la poursuite de cet objectif, nous sommes en avance sur notre programme… » Le Times n’a pas six mois, il plafonne toujours à moins de 100 000 exemplaires, et le colonel Bo Hi Pak annonce déjà que la « grande voix conservatrice » de l’Amérique veut se faire entendre à l’autre bout de la planète.
Répétons-le, l’ambition mooniste est mondiale et pressée.
Bo Hi Pak rêve donc d’une édition internationale qui pourrait s’appuyer sur les infrastructures existantes du groupe de presse News World Communications, et en particulier sur les imprimeries du Middle East Times, un hebdomadaire en anglais publié à Chypre, et du Sekai Nippo, le quotidien de la Famille japonaise. Il réalise cependant que le dispositif est très incomplet.
Comment en effet fabriquer une grande édition européenne sur les petites presses qui édident les revues religieuses comme Le Nouvel Espoir ?
Or, fin 1982-début 1983, l’Europe est en passe de devenir un terrain d’action privilégié pour le Mouvement de l’Unification. Après avoir consolidé ses bases en Asie, en Amérique du Nord et en Amérique latine, la Famille envisage sérieusement d’ouvrir « un front européen ». Le moment est particulièrement bien choisi : la bataille des euromissiles offre une nouvelle fois aux moonistes l’occasion d’apparaître à la pointe du combat pour l’Amérique et l’Occident. En outre, la crise multiforme qui mine le marxisme et le mouvement ouvrier ouest-européen depuis la fin des années soixante-dix les conduit à penser que le moment est venu de lancer l’offensive idéologique finale qui préparera la « marche sur Moscou ». Dans cette optique un grand quotidien européen en langue anglaise, proposant aux élites du vieux continent un point de vue conservateur et conquérant, apparaît indispensable.
Sur ce point, Bo Hi Pak et James Whelan n’auront pas de mal à tomber d’accord. « J’ai toujours rêvé d’un journal qui concurrencerait le International Herald Tribune, déclare ce dernier. Chaque fois que je prends l’avion en Europe ou en Asie, je me demande comment les hommes d’affaires du monde entier, conservateurs dans leur immense majorité, réagissent à la lecture d’un tel torchon. Sur certains sujets de politique étrangère américaine, c’est presque un journal de propagande communiste…
«J’ai donc proposé à Bo Hi Pak une édition internationale du Washington Times, transmise par satellite en Europe et en Asie, et imprimée sur place. Il a accepté l’idée et débloqué l’argent. J’ai beaucoup voyagé en 1983 et 1984 pour trouver des relais pour l’édition internationale : à Paris, Berlin, Singapour et Bangkok. La négociation était bien avancée avec le Bangkok Post.
« En France, c’est avec le groupe Hersant que nous avons discuté. J’ai rencontré pour la première fois son homme de confiance, Alain Griotteray, à Cartagène, en septembre 1983, lors de la VIe conférence mondiale des Médias 1. C’est Antonio Betancourt — le secrétaire général mooniste de CAUSA International — qui me l’a présenté, précisant qu’il était très important que nous nous connaissions bien. Nous avons sympathisé.
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1. Où il avait été invité avec une importante délégation française, composée notamment de Jacques Soustelle, Georges Suffert, Gustave Pordea, etc.
« Un mois plus tard, j’étais à Paris où Alain Griotteray et sa fille m’ont merveilleusement reçu. J’ai parlé de nos projets au Figaro. Griotteray y était tout à fait favorable. J’ai senti, depuis le début, en revanche, une certaine réticence chez Robert Hersant qui ne souhaitait pas, je pense, voir son nom associé à celui de Moon.
« Nous avons décidé d’en reparler. En attendant, mes interlocuteurs m’ont demandé d’intervenir auprès de la Maison-Blanche et du Pentagone pour obtenir une interview de Ronald Reagan et de Caspar Weinberger. Nous avons aussi prévu d’échanger des features entre le Times et le Figaro-Magazine 2.
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2. On peut raisonnablement penser que c’est dans le cadre de cet accord que le Figaro-Magazine a publié les portraits de plusieurs personnalités de la droite américaine : Viguerie, Schlaffly, Falwell…
« J’ai fait le nécessaire pour les interviews et c’est moi-même qui ait accompagné Robert Lacontre et Alain Griotteray à la Maison-Blanche. [Le Figaro-Magazine du 7 janvier 1984 a consacré sa couverture et six pages de textes et de photos à l’interview du président américain. NdA.]
« J’ai fini par convaincre Robert Hersant que le Washington Times était véritablement indépendant de l’Église de l’Unification. Il est donc venu me rendre visite à Washington en mars 1984 pour étudier quelle collaboration nous pouvions développer pour l’édition internationale. »
Une monumentale indiscrétion du Canard enchaîné retardera le projet : le 16 mai 1984, il titre sur toute une page : « Cette fois, Hersant collabore avec le “Nouveau Messie” . » Suit un article pas toujours exact dans le détail, mais apportant les preuves des cordiales relations entre le Washington Times et le groupe français. Dont quelques brefs extraits d’une lettre, signée James Whelan, adressée très amicalement au porte-parole de la Maison-Blanche, Larry Speakes, dans le but d’obtenir pour Robert Hersant une audience avec le président. L’intégralité du texte mérite d’être citée. Il appelle en effet quelques commentaires.
« Cher Larry [C’est une confirmation, Big Jim entretient une relation personnelle et amicale avec le patron de la presse à la présidence…]
« Le 18 mars, monsieur Robert Hersant, propriétaire et directeur du groupe français de publications Le Figaro, sera ici pour une visite qui devrait durer jusqu’au 21 mars. [De retour vers Paris venant de Californie, le patron français juge bon de s’arrêter trois jours à Washington pour avoir le temps de négocier avec son homologue américain.]
« Comme vous le savez, ses publications ont toujours soutenu, non seulement la politique américaine en général mais l’administration Reagan en particulier. C’est aussi le plus grand groupe de presse privé en France, avec près de trente publications en tout, y compris dix quotidiens et les journaux nationaux Le Figaro et France Soir. [James Whelan “vend” très bien le groupe français, le présentant comme un interlocuteur quasi obligé des conservateurs américains. N’oublions pas que la France est encore gouvernée à l’époque par des socialistes… et des communistes, que la politique centro-américaine de l’Élysée et ses rapports privilégiés avec Managua irritent considérablement Washington, que le Figaro-Magazine est le premier journal français à avoir consacré de longs articles à la guérilla Miskito – les reportages sur le terrain de Jean-François Deniau en particulier…]
« Monsieur Hersant est très désireux d’avoir l’occasion de rencontrer le président, même brièvement, au cours de cette visite. […] Sincèrement. James R. Whelan. »
Malgré cette chaleureuse recommandation, Ronald Reagan ne recevra pas Robert Hersant.
Les révélations du Canard porteront un rude coup au projet mooniste d’édition internationale. Prudent, le patron du Figaro temporisera. Le départ fracassant de James Whelan du Washington Times l’enterrera provisoirement. Qu’un vilain petit journal de gauche qualifie le quotidien américain de feuille mooniste passe encore. Mais que son fondateur, connu pour son passé de militant conservateur, dénonce la mainmise croissante du bras droit de Moon sur sa rédaction, voilà de quoi faire réfléchir le magnat de la presse française, déjà bien malmené pour avoir entretenu dans le passé des liaisons tout aussi dangereuses.
Bo Hi Pak ne renoncera pas pour autant. Il a encore une carte à jouer pour convaincre les Français: Arnaud de Borchgrave qui, malgré la sortie de Whelan, reste assesseur de la direction du Times pour l’édition internationale. De Georges Suffert à Édouard Sablier, il sympathise avec tout ce que Paris compte de grandes signatures anticommunistes. Peu de temps après le licenciement de l’Irlandais, il téléphone longuement à Alain Griotteray et tente de le convaincre que Whelan a menti, que l’Église de l’Unification n’exerce aucun contrôle sur le journal, et que son ancien directeur s’est brouillé avec Bo Hi Pak pour une sordide histoire de gros sous.
Cet ultime contre-feu restera sans effet.
Fin 1985, Pierre Ceyrac et Jean-Pierre Gabriel, les dirigeants français de CAUSA, me laissaient entendre que le projet d’édition européenne du Washington Times était en sommeil. Jusqu’à quand ?
p. 322
21. Gagner les élites européennes
Gagner l’intelligentsia et la classe dirigeante européenne : un rêve un peu fou auquel la Famille ne pourra commencer à donner quelque consistance tant qu’elle n’aura pas consolidé ses bases aux États-Unis et peaufiné son image de puissance politique dans la « capitale du monde libre ». Ainsi les armes dont Moon dispose pour attaquer l’Europe et le monde — la conférence mondiale des Médias, inaugurée en 1978, et CAUSA, fondée en 1980 — se révéleront-elles inefficaces jusqu’en 1982, année bénie qui voit la naissance du Washington Times et la reconnaissance définitive de Bo Hi Pak par l’establishment conservateur américain.
Invitations 322
Il suffit de comparer la liste des invités à la IVe conférence des Médias de New York en octobre 1981 et celle de la Ve organisée à Séoul en octobre 1982, pour s’en convaincre.
Pas un Européen de renom n’assiste à la réunion de New York. On y découvre, en cherchant bien, le nom d’un chercheur belge qui travaille pour Le Nouvel Espoir et celui du directeur d’une petite revue française de communication. En revanche, à l’affiche de Séoul brillent déjà quelques signatures bien connues des intellectuels antisoviétiques français. À tout seigneur, tout honneur : Jean-François Revel. Deux de ses ouvrages — La Tentation totalitaire et La Nouvelle Censure —, traduits dans le monde entier, font autorité dans les cercles de la nouvelle droite américaine. Son épouse, Claude Sarraute, la bientôt célèbre billettiste du Monde, est elle aussi du voyage, invitée en nom propre.
Moins connu du grand public, mais célèbre chez les « soviétologues», Nicolas Tandler est aussi de la fête. Ses activités sont multiples : il collabore à l’hebdomadaire La Vie française mais aussi à Est-Ouest, revue spécialisée dans la lutte anticommuniste, fondée pendant la guerre froide par l’ancien secrétaire général du Rassemblement national de Marcel Déat. Il a par ailleurs créé son propre institut de soviétologie. Avec Branko Lazitch, autre pilier de Est-Ouest, et Jean-François Revel, par ses ouvrages et ses articles, il a largement contribué à façonner l’opinion française sur l’Union soviétique.
Dernier invité de Moon et Bo Hi Pak à Séoul, un personnage haut en couleur — hableur, dit son entourage — mais politiquement insignifiant jusqu’à ce jour : Jean Marcilly, auteur d’une histoire de la civilisation aztèque et d’une biographie du truand Joe Attia, correspondant en France du groupe de presse Hearst dans les années cinquante, puis collaborateur d’Ici Paris, France Dimanche et Paris Match avant de participer au lancement de VSD et du Figaro-Magazine. Un franc-tireur que les moonistes propulseront bientôt dans l’entourage de Jean-Marie Le Pen, le leader du Front national. Nous verrons cela plus tard.
Comment expliquer la présence de ces Français à l’hôtel Lotte de Séoul — l’un des plus prestigieux de la capitale coréenne — aux côtés de deux cents journalistes, chercheurs et hommes politiques venus du monde entier ? Le fait que des personnalités de premier plan de la droite américaine et internationale aient accepté l’invitation de Moon y est pour beaucoup. L’année précédente, avant le lancement du Washington Times, la conférence n’avait pas été considérée avec autant de sérieux.
Cette année, Jean-François Revel peut trouver flatteur de siéger à la tribune d’honneur avec le général Singlaub, l’ancien Premier ministre du Sud-Viêtnam Nguyen Cao Ky, l’ancien président de Colombie Misael Pastrana Borrero, et James Whelan. Sans compter que se presse dans la salle la fine fleur des éditorialistes de la droite américaine : Reed Irvine, le redoutable procureur d’Accuracy in Media, Allan Brownfeld, Ralph de Toledano et Arnaud de Borchgrave, pour ne citer que ceux-là. On y remarque aussi le directeur de Radio Free Europe, La Voix de l’Amérique et de la CIA dans les pays de l’Est. Ils donnent un certain vernis à l’assistance où l’on observe cependant une forte délégation de journalistes latino-américains compromis avec les dictatures du Chili, d’Argentine, du Brésil ou du Guatemala…
Sun Myung Moon, lui-même, a jugé que le « plateau » de Séoul était suffisamment relevé pour honorer la conférence de sa présence. Il trône au centre de la tribune avec Bo Hi Pak.
Autre argument — non négligeable — des organisateurs pour attirer leurs invités : ils prennent en charge les frais de voyage et de séjour et offrent aux participants, au terme des travaux, une intéressante excursion à travers le pays.
Relations publiques internationales 324
Pour « démarcher » les élites européennes, les moonistes ont reçu, en 1980, le renfort inattendu d’un vieux routier de la diplomatie latino-américaine. Un Colombien. L’un de ces personnages, tout en rondeur et sourires, qui fréquentent assidûment les cocktails de Washington et Paris depuis plusieurs décennies et finissent par développer des réseaux d’amitiés et de relations impressionnants. Il est petit, ventru, chauve, et son œil malicieux n’a pas son pareil pour découvrir une jolie fille dans une réception de trois cents personnes.
La soixantaine alerte, il s’appelle José Maria Chavez. Sa longue carrière l’a conduit, la Providence divine aidant, dans plusieurs pays chers au cœur des moonistes : la Corée, les États-Unis et la France en particulier. Chavez aime à rappeler qu’il descend des grands d’Espagne et que sa lignée compte plusieurs anciens présidents de Colombie. Spécialiste de droit international, diplômé d’Oxford, doyen de l’université des Andes à Bogota et professeur à l’université américaine de Columbia, il se présente à ses amis comme un humaniste, grand admirateur de Jean-Jacques Rousseau.
L’une de ses premières missions diplomatiques le mène en Corée où il représente son pays aux négociations qui mettent fin à la guerre. La Colombie y est partie prenante car ses troupes ont participé aux combats aux côtés des Américains sous la bannière des Nations unies. Chavez travaille alors avec un jeune capitaine, Alvaro Valencia Tovar, qui commande le bataillon colombien. Tovar finira sa carrière comme commandant en chef des forces armées colombiennes. Engagé tout au long de sa vie dans l’interminable conflit qui oppose son gouvernement aux guérillas des FARC, puis du M19, c’est aujourd’hui l’un des meilleurs théoriciens mondiaux de la « contre-insurrection ». Chavez le fera inviter à Séoul, puis aux conférences internationale de CAUSA à partir de 1984.
Ambassadeur de Colombie à Washington sous Eisenhower, puis — ce n’est là qu’un titre honorifique — représentant des nations hispaniques auprès de l’ONU à New York, José Maria Chavez a passé le plus clair de son temps aux Etats-Unis depuis vingt ans.
« Il a pourtant toujours maintenu des relations privilégiées avec la France, m’assure Pierre Ceyrac. Déjà, pendant la Deuxième Guerre mondiale, alors qu’il vivait à Londres, il avait rendu quelques petits services à la Résistance. René Coty le décorera pour cela quelques années plus tard. L’un de ses meilleurs amis français était, comme lui, un universitaire : le professeur Rivet du musée de l’Homme, le maître à penser de Jacques Soustelle, spécialiste incontesté des civilisations précolombiennes. C’est par son intermédiaire que nous avons connu l’ancien gouverneur de l’Algérie… » José Maria Chavez convaincra Jacques Soustelle de coprésider la VIe conférence des Médias qui se tient à Cartagène, en Colombie, du 5 au 10 septembre 1983.
Aidés du Colombien et de Nicolas Tandler — qui dispose à Est-Ouest d’un fichier de cinq mille noms du gotha anticommuniste européen et mondial —, Pierre Ceyrac et Jean-Pierre Gabriel, les têtes politiques de l’Église française, réussissent à constituer une délégation très honorable pour cette Vie conférence : après Jean-François Revel, c’est au tour de deux autres éditorialistes connus de répondre oui à l’invitation de Bo Hi Pak : Georges Suffert, du Point, et Alain Griotteray, du Figaro-Magazine. L’ex-ambassadeur de France en Inde et aux Pays-Bas, Jean-David Jurgensen, est aussi du voyage. Il « pantoufle » alors à la direction de la Maison de l’Amérique latine et à la vice-présidence de l’Institut de géopolitique de Marie-France Garaud. C’est un ami de Chavez et, déjà à travers lui, le Colombien et Pierre Ceyrac essaient d’associer l’ancienne « éminence grise » de Georges Pompidou à la croisade idéologique de l’Église.
« J’ai rencontré plusieurs fois Marie-France Garaud, m’a confié Pierre Ceyrac à l’été 1985. Sur de nombreux points, l’analyse des rapports Est-Ouest en particulier, nous sommes d’accord. Mais elle hésite à s’engager avec nous de manière officielle et visible. »
Complètent le petit groupe : Gustave Pordéa, futur député européen du Front national, qui, on s’en souvient, s’est lié aux moonistes à la fin des années soixante-dix ; Vladimir Maximov, écrivain soviétique dissident qui, en avril 1983, a participé à la fondation de l’Internationale de la résistance ; Juan Vives, réfugié politique cubain et journaliste au Méridional. Son curriculum officiel affirme qu’il collaborait autrefois aux services de renseignements castristes, mais les RG de Marseille, à qui il rend quelques services, en doutent encore.
Comment José Maria Chavez, au terme d’une vie bien remplie, s’engage-t-il dans cette nouvelle aventure ? Le mystère est assez facile à percer : il a d’autres liens moins apparents avec les moonistes. Son frère Enrique Chavez est président de la chambre de commerce de Bogota. C’est un homme d’affaires prospère qui tire sa fortune du commerce des fleurs, dont la Colombie est devenue l’un des premiers producteurs et exportateurs mondiaux. José Maria a des intérêts dans son entreprise.
Or, vous en gardez sans doute le souvenir, l’Église de l’Unification achète chaque année des tonnes de fleurs que ses militants revendent au prix fort dans les rues, les aéroports et les gares du monde entier. Surtout aux États-Unis. La Providence a voulu que la famille Chavez devienne l’un des principaux fournisseurs de l’Église. « Nous avons un accord préférentiel avec eux », m’a dit un jour Jean-Pierre Gabriel du bout des lèvres.
Comment le premier contact a-t-il été établi ? Sans doute — ce n’est qu’une hypothèse — à travers les frères Betancourt, deux jeunes Colombiens bien nés entrés dans la Famille à la fin des années soixante-dix. Ils ont joué un rôle essentiel dans le lancement de CAUSA en Amérique latine et aux États-Unis et jouissent de la totale confiance de Bo Hi Pak: Antonio Betancourt est secrétaire général de CAUSA International et l’épouse de son frère, Caroline Betancourt, est la toute-puissante secrétaire new-yorkaise du colonel coréen.
Qu’importent son histoire et sa généalogie, la Famille colombienne se dépense beaucoup pour la cause ! Les Chavez et Antonio Betancourt ont attiré à Séoul plusieurs directeurs de journaux de droite colombiens, le général Tovar et l’ancien président Pastrana Borrero.
Ils feront encore mieux à Cartagène. Au bord de la mer caraïbe, ils rassembleront le gratin de la droite de leur pays pour accueillir les Français et une imposante délégation américaine conduite par James Whelan, l’ancien ministre des Finances Robert Anderson et le général Woellner, alors président de CAUSA-États-Unis et alter ego du général Singlaub dans nombre de lobbies conservateurs. « Le président de la banque centrale, le vice-président du Sénat, plusieurs hauts fonctionnaires des Affaires étrangères étaient là. Le ministre de la Défense et le président de la République avaient donné leur accord à l’ambassadeur Chavez. Au dernier moment, ils n’ont pas pu venir », se souvient James Whelan.
Le plus beau « coup » politique de la conférence restera cependant l’apparition inattendue de l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, auteur d’innombrables best-sellers et nouvelle idole des conservateurs latino-américains depuis qu’il renvoie dos à dos Pinochet et les révolutionnaires du continent. Connu dans sa jeunesse pour ses sympathies progressistes, il apporte aux partisans du statu quo social une retentissante caution morale. Ami de Jean-François Revel, il avait souhaité se rendre à Séoul l’année précédente pour intervenir en commission sur le rôle de la presse dans l’évolution des conflits armés latino-américains. Un contretemps l’en avait empêché.
Il rattrapera le temps perdu à Cartagène à la grande joie de Jacques Soustelle qui note dans La Revue des Deux-Mondes à son retour de Colombie: « Il dénonça, sous les applaudissements, la tendance des journaux et des agences, en Europe et en Amérique du Nord, à amplifier les “‘exploits” des guérillas marxistes-léninistes et à fermer les yeux sur les violations des droits de l’homme commises par ces groupes révolutionnaires armés. » Remarquons incidemment que pas une seule fois dans cet article Jacques Soustelle ne mentionne le nom de Moon. Et pourtant !
La Famille diffusera largement la photo de Vargas Llosa chaleureusement félicité par Sun Myung Moon dans les couloirs de la conférence. Peu de journaux la reproduiront, la jugeant sans doute trop compromettante.
Indiscrétions gênantes 328
Malgré les progrès évidents de leur offensive de charme en direction des élites anticommunistes européennes, les moonistes se rendront d’ailleurs vite compte qu’une trop grande publicité peut nuire à leurs toutes nouvelles relations.
La presse française commence à s’y intéresser sérieusement en 1984. Le Canard enchaîné publie plusieurs articles sur ce qu’il appelle la « lune de miel » (en anglais honeyMOON !) entre le « Nouveau Messie » et certaines personnalités de la droite française. Les noms de Hersant, Griotteray et Soustelle s’y trouvent pour la première fois associés à ceux de Bo Hi Pak et James Whelan. Le 1er novembre, l’auteur de ce livre et le réalisateur Patricio Paniagua révèlent sur TF1 que Jean-François Revel et Vargas Llosa se sont laissé tenter par la conférence mondiale des Médias.
Ces indiscrétions font très mauvais effet dans les salons parisiens. Sans doute parce qu’on n’y sait pas encore que la droite américaine a ouvert ses portes aux moonistes. Certains des intéressés prennent peur. Griotteray, Suffert et Vargas Llosa ne donneront pas suite aux invitations suivantes.
Jean-François Revel va beaucoup plus loin : à la suite de l’émission télévisée qui produit sa photo, assis à la tribune de Séoul non loin de Sun Myung Moon, il assiège la présidence de TF1 pour lui demander réparation du « préjudice fait à [sa] réputation » et se répand dans la presse parisienne, jurant ses grands dieux qu’il n’est pas mooniste, qu’il a été trompé et que les journalistes de TF1 sont, à l’évidence, animés de la volonté de nuire…
Je ne résiste pas à l’envie de citer un extrait de la lettre que Jean-François Revel adresse le 4 novembre 1984 au PDG de TF1 : « En 1982, j’avais en effet participé en Corée du Sud à un colloque international organisé par une fondation appelée World Media Center, dont j’ai découvert sur place qu’elle était patronnée par les moonistes. Voyant que les participants étaient, eux, des journalistes de tous les pays et qui n’étaient pas moonistes, j’ai néanmoins prononcé ma communication, mais j’ai interdit, par lettre recommandée, dont j’ai conservé le double, aux moonistes de l’utiliser dans leur littérature et de se servir de mon nom. »
Ce passage fait sourire Pierre Ceyrac : « Dans toutes les invitations pour la World Media Conference, il est très clairement indiqué que son fondateur est le révérend Sun Myung Moon. Or Revel est venu à Séoul avec son épouse, qui elle aussi a reçu une invitation. Ils ne pouvaient pas ne pas savoir… »
Curieusement, Jean-François Revel fait preuve d’aussi peu de discernement quand, après avoir rencontré et salué Sun Myung Moon à la réception inaugurale, il se renseigne sur les participants au colloque. Des journalistes non moonistes, conclut-il. Des journalistes? Le général Singlaub, l’ancien ambassadeur américain au Japon et en Iran Mac Arthur, l’ancien Premier ministre Nguyen Cao Ky, l’ambassadeur de Reagan Lev Dobriansky ou le porte-parole de la junte militaire guatémaltèque Francisco Bianchi ? Des non-moonistes les collaborateurs, venus en masse, des grands quotidiens de la Famille comme le News World ou le Sekai Nippo ?
Non, bien sûr.
Mais revenons à l’essentiel : en 1984, les moonistes n’ont pas assez bonne réputation en France pour que certains reconnaissent publiquement les fréquenter. En revanche, leurs amis d’extrême droite ou des secteurs durs de la droite traditionnelle éprouvent moins de gêne à collaborer ouvertement avec eux.
Ainsi les Français qui se rendent à Tokyo, fin 1984, pour la VIIe conférence des Médias sont tous, peu ou prou, issus de ces milieux. Pour résumer, il s’agit de militants d’extrême droite ou d’anciens ultras intégrés, depuis, au RPR ou au Centre national des indépendants et paysans.
Au nombre des premiers : Jacques Soustelle, toujours fidèle ; Roland Gaucher, directeur de National Hebdo et membre du bureau politique du Front national ; et Catherine Fouillet, journaliste à La Vie française — elle est très liée au PDG de son groupe de presse Bruno Berthez —, auteur d’un petit livre très remarqué intitulé : L’extrême droite, moi j’aime.
Les seconds font en majorité partie de ce que le Front national — qui ne les porte pas dans son cœur — appelle « la bande à Pasqua ». Ils travaillent tous, à divers échelons, sous la houlette du sénateur des Hauts-de-Seine, président du groupe RPR au Sénat et dirigeant redouté de son parti, Charles Pasqua. Gérard Écorcheville, conseiller municipal de Gennevilliers, l’aide dans sa circonscription des Hauts-de-Seine. Auprès d’Alain Marleix, secrétaire national du RPR, il est aussi chargé de la formation des militants. Joël Galli, conseiller en communication et coordonnateur de la campagne présidentielle de Jacques Chirac en 1981, dépend de lui pour tout ce qui touche à l’organisation, à la télévision et à la presse, domaine de prédilection du sénateur. Bernard et Alex Savy animent un nouveau club, fondé après la victoire de la gauche, par Charles Pasqua et Alice Saunier-Séité : Avenir et Liberté. Nicolas Tandler, enfin, est un proche du sénateur. Il est à Tokyo sous la casquette de directeur du magazine Autres Mondes, autre publication du groupe La Vie française.
À la frontière des deux groupes, un personnage clé du dispositif mooniste en France, Michel de Rostolan, animateur du Cercle Renaissance. Il est, lui, passé de l’extrême droite au Centre national des indépendants et paysans. Il siège au bureau national du CNIP avec son ami Philippe Malaud.
Le choix de tels invités donne à réfléchir : ce sont pour la plupart des « seconds couteaux » et, si l’on excepte Jacques Soustelle, aucun ne peut apporter à la Famille la caution politique, intellectuelle ou morale attendue de figures telles que Revel, Suffert, Vargas Llosa ou Malaud — ce dernier s’est rendu à la Convention panaméricaine de CAUSA en février 1984 à Montevideo.
Leur présence à Tokyo, au milieu d’un aréopage de célébrités internationales, confirme que l’Église française poursuit une double démarche à travers la conférence des Médias et CAUSA : légitimer sa croisade et ses organisations en y associant de grands noms, mais aussi infiltrer les appareils de la droite et de l’extrême droite au niveau de ses cadres intermédiaires. En France où l’on s’affiche toujours plus volontiers anticommuniste « de gauche» que défenseur de l’« Occident chrétien », malgré une poussée notable d’un néo-reaganisme gaulois, Pierre Ceyrac et Jean-Pierre Gabriel réussissent évidemment mieux sur le terrain de l’entrisme.
Paris: capitale mondiale de l’anticommunisme 332
Faute n’est pourtant pas de manquer d’imagination et de culot dans la recherche de compagnons de route plus prestigieux que les fidèles du FN, du CNIP ou du RPR. Très discrètement, mais avec insistance, les moonistes français ont ainsi approché quelques vedettes du Tout-Paris qu’ils espéraient bien voir à la tribune de la conférence des Médias prévue fin octobre 1985 dans la capitale française : Catherine Nay, encore tout auréolée du succès d’un best-seller sur François Mitterrand; Christine Ockrent, symbole talentueux de la résistance des professionnels — « formés à l’américaine » — de l’audiovisuel à la « mainmise socialo-communiste sur la télévision »; Henri Amouroux, proche d’un professeur d’économie qui pourrait bien, un jour, présider aux destinées de la France; Bernard-Henri Lévy, auquel les revues de CAUSA International ont consacré plusieurs articles élogieux… Mais aucun de ces ténors des médias n’acceptera l’invitation 1.
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1. L’un des organisateurs de l’événement m’affirmera, en revanche, que Louis Pauwels, du Figaro-Magazine, avait accepté l’invitation.
Faut-il établir un lien entre ces défections et l’annulation tardive de la VIIIe conférence mondiale des Médias prévue au Palais des Congrès de Paris à l’automne 1985 ?
La Famille semblait en effet bien décidée — au terme d’une fulgurante percée américaine — à faire de cet événement le point de départ de la « marche sur Moscou ». Plusieurs leaders de guérillas antimarxistes, dont l’Angolais Jonas Savimbi de l’Unita et le Nicaraguayen Eden Pastora, avaient été pressentis. Le Washington Times au sommet de sa gloire se faisait fort de composer la plus prestigieuse délégation américaine jamais vue dans une conférence mooniste… Or, un mois avant ce rendez-vous tant annoncé, décision est prise de l’annuler. CAUSA-Europe avance deux arguments pour expliquer cette surprenante volte-face : en premier lieu, le gouvernement français serait revenu sur sa promesse de louer la galerie des Batailles du château de Versailles pour la cérémonie de clôture des travaux. L’idée était bonne : rassembler les nouveaux croisés de l’Occident sous les dorures de la demeure du Roi-Soleil, voilà qui aurait comblé Arnaud de Borchgrave — seizième prétendant en ligne directe au trône de Belgique — et sans doute électrisé nombre d’invités américains sevrés d’histoire…
« Cette rupture de contrat [Pierre Ceyrac assure qu’il avait déjà versé un acompte] reflétait parfaitement l’hostilité du gouvernement à notre égard », conclut une note d’information envoyée aux invités français.
En second lieu, poursuit cette note, « il était, dès lors, évident que nous ne pouvions compter sur une coopération efficace des services officiels pour résoudre le problème de la sécurité des participants. » La France, ajoute-t-elle, est « hélas trop connue comme abri de quartiers généraux de nombreuses organisations terroristes ».
Ces explications paraissent un peu courtes. La deuxième en particulier. On imagine en effet difficilement que les services de sécurité français se soient désintéressés de la protection d’anciens collaborateurs du président Reagan, de responsables de la résistance afghane ou de dissidents de l’Europe de l’Est.
J’en proposerai donc une autre : les moonistes ne pouvaient prendre le risque, dans un pays comme la France, de révéler à l’opinion publique – la conférence aurait bénéficié d’une très importante couverture radiotélévisée — que l’essentiel de leurs amis se recrute dans les cercles les plus conservateurs des États-Unis et au sein de l’extrême droite internationale. Et ce, au moment où CAUSA-Europe cherche à attirer des éléments plus modérés. « Nous ne sommes ni de droite ni de gauche », me confiait Pierre Ceyrac, tout sourire, peu de temps après l’annulation de la conférence. « Sun Myung Moon l’a répété à sa sortie de prison. La preuve, nous sommes en très bons termes, aux États-Unis, avec Edward Kennedy, qui est un homme de gauche, et en France nous sommes très introduits chez les radicaux… »
Petite précision: le très catholique Ted Kennedy, comme tous les croyants appartenant à une minorité — c’est le cas de l’Église romaine aux États-Unis —, est bien entendu sensible aux problèmes de liberté religieuse. Comme le sénateur McCarthy ou le révérend noir Lowery, eux aussi libéraux, il n’hésite pas à rejoindre les pasteurs ultra-conservateurs de la majorité morale lorsqu’il s’agit de défendre les garanties constitutionnelles prévues par le fameux premier amendement. Ainsi l’a-t-on vu s’asseoir aux côtés de Jerry Falwell, en février 1985, lors d’une convention organisée par les radios et télévisions religieuses. L’emprisonnement de Sun Myung Moon a donc permis à la Famille de faire la connaissance du dernier des Kennedy. Leurs relations s’arrêtent là. Pour le reste, tout les sépare. À commencer par l’appréciation portée sur la « guerre privée » au Nicaragua.
Quant aux radicaux valoisiens français, il est incontestable que CAUSA aimerait les entraîner dans son combat pour une « Europe unie libérée du totalitarisme». Les difficiles travaux d’approche, nous le verrons, vont bon train depuis deux ans.
Mais l’on comprend aisément que les amis du président Rossinot hésitent à se montrer en compagnie des proches de Jean-Marie Le Pen.
Privés de leurs cautions « de gauche » les moonistes ont donc préféré renoncer à la grande fête d’octobre 1985. Accessoirement, ils auront économisé une somme rondelette : prise en charge et voyages des invités compris, le budget de la VIIIe conférence des Médias s’élevait à 30 millions de francs. 3 millions et demi de dollars pour faire de Paris la « capitale mondiale de l’anticommunisme » !
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22. La France, tête de pont sur le front européen
La décision de CAUSA d’ouvrir un « front européen » tombe mal pour la Famille française. Elle se remet à peine de la « rafle rogatoire » que le fisc lui notifie un redressement fiscal de quelque 35 millions de francs (cf. chapitre 6).
Sur le conseil de son avocat, Me Haggaie, l’AUCM se replie en bon ordre : la publication du Nouvel Espoir est temporairement interrompue, les opérations de fundraising sont mises en veilleuse, la propagande sur la voie publique est progressivement abandonnée… Il faut « faire pauvre ».
C’est cette période de vaches maigres que l’état-major américain choisit pour lancer son offensive politique en Europe. Tout le poids de l’opération reposera sur l’équipe du Nouvel Espoir : Pierre Ceyrac, Jean-Pierre Gabriel, Laurent Ladouce, Abraham Lancry et quelques autres. On les juge plus politiques que leurs « frères » allemands à qui Sun Myung Moon fait en revanche totalement confiance pour accélérer le développement de la multinationale en Europe.
Guerre au pacifisme ! 335
L’Église française traversant une mauvaise passe, il faudra recourir au financement extérieur pour mettre en place les nouvelles infrastructures. La création de CAUSA-Europe implique en effet l’acquisition de locaux pour héberger les permanents et accueillir les séminaires de formation idéologique. Elle signifie aussi, à court terme, le contrôle financier d’un grand hôtel de luxe — type Victoria Plaza à Montevideo — équipé pour recevoir, sans déchoir, l’élite éclairée du vieux continent. Elle requiert enfin des fonds considérables pour l’organisation régulière de conférences et de voyages de presse.
L’argent viendra des Etats-Unis.
Le colonel Bo Hi Pak n’attendra cependant pas que CAUSA-Europe soit opérationnelle pour inaugurer sa campagne européenne.
En octobre 1983, dans la foulée de la réunion de Cartagène, la conférence mondiale des Médias et CAUSA International invitent environ 130 journalistes à réfléchir, de Londres à Berlin, en passant par Paris et Bonn, sur les dangers du pacifisme en Europe. Ce « voyage d’études sur le mouvement de la paix » sera dirigé par le numéro deux de l’Église lui-même. A chaque étape, les participants seront « briefés » par des « experts ». On leur montrera une grande manifestation pacifiste en Allemagne et, en contrepoint, le mur de Berlin.
C’est la contribution de Moon à la bataille des euromissiles.
Le colonel Bo Hi Pak a fait en sorte que l’Amérique sache que, sur ce terrain aussi, la Famille est en première ligne : les journalistes les plus nombreux sont américains. Oh ! pas des stars du petit écran, pas des éditorialistes de premier plan — ceux-là étaient à Cartagène —, mais d’honnêtes journalistes conservateurs, ravis d’être conviés à un si joli voyage, et qui ne manqueront pas d’en rendre compte à Miami, Los Angeles, Chicago ou Anchorage (Alaska).
Quelques Français acceptent l’invitation. La popularité de Moon est pourtant au plus bas en cette fin de 1983 : l’AUCM est accusée de fraude fiscale et le député socialiste Alain Vivien promet pour bientôt à l’Assemblée nationale un rapport détonant sur les sectes.
Le programme initial, distribué le 14 octobre aux participants, peu de temps avant la réception inaugurale offerte à l’hôtel Sofïtel, prévoit que Marie-France Garaud, présidente de l’Institut de géopolitique, prendra la parole le lendemain lors du premier dîner officiel. Elle se désistera au dernier moment. Cela n’empêchera pas la revue CAUSA (1984, n° 1) publiée aux Etats-Unis de rapporter à ses lecteurs les propos qu’elle n’a pas tenus : « Prenant la parole devant les participants au voyage d’études, Marie-France Garaud […] a décrit le rôle de la France dans l’Alliance atlantique et celui des forces armées de son pays dans le dispositif défensif occidental. » L’orateur avait-il préalablement communiqué le texte de son allocution aux organisateurs ? Je n’ai pu éclaircir ce point de détail.
En revanche, un proche de l’ancienne candidate aux présidentielles, le général Pierre Gallois — numéro quatre sur sa liste aux législatives de mars 1986 — interviendra quelques jours plus tard à Londres devant les invités de Bo Hi Pak sur le thème : « La signification politique et militaire des euromissiles. »
Jacques Soustelle et Philippe Malaud, le président du CNIP, prévus au « menu » des banquets des 18 et 19 octobre seront, eux, au rendez-vous.
Tout comme Edouard Sablier, célèbre chroniqueur diplomatique de France-Inter, gaulliste et curieusement antisoviétique militant, qui préside la séance plénière de la conférence. Convenons-en, malgré les difficultés du moment, Pierre Ceyrac et Jean-Pierre Gabriel ont rassemblé un échantillon d’« invités d’honneur » tout à fait convenable.
Les conférenciers intervenant en commission ne sont pas non plus des inconnus : Jean-Marie Benoist, collaborateur de l’hebdomadaire Valeurs actuelles, disserte sur l’« idéologie et la stratégie du pacifisme et du neutralisme » ; François-Georges Dreyfus, universitaire strasbourgeois spécialiste de l’Allemagne et conseiller de la direction de Magazine Hebdo, se penche sur les liens existant entre « protestantisme et pacifisme en République fédérale d’Allemagne » ; et… l’inévitable Nicolas Tandler évoque les liens existant entre le Mouvement de la Paix français et le PCF.
Sous les lambris de l’Hôtel de Ville 338
Indubitablement, cette première campagne mooniste sur le sol français connaît quelques succès. La presse ne s’est pas encore intéressée aux activités politiques de Pierre Ceyrac et de ses amis, CAUSA-Europe n’existe toujours pas officiellement, et les invités peuvent, en toute quiétude, s’afficher en compagnie du colonel Bo Hi Pak. La visite du Coréen et d’une partie de l’état-major de CAUSA International passera d’ailleurs quasi inaperçue.
Les moonistes ont pourtant tout fait pour donner le maximum de retentissement à l’événement. Jean-Pierre Gabriel a même réussi à négocier avec les conseillers de Jacques Chirac, à la mairie de Paris, que les participants au Fact Finding Tour, Bo Hi Pak en tête, soient officiellement reçus à l’Hôtel de Ville. Cela n’a pas été facile, mais l’adjoint de Pierre Ceyrac a su utiliser intelligemment ses quelques atouts, et tout spécialement Nicolas Tandler qui, nous l’avons vu, a ses grandes et petites entrées au RPR. « J’ai eu plusieurs contacts téléphoniques avec un responsable de la mairie de Paris dont j’ai oublié le nom (sic). On ne m’a pas caché qu’il existait quelques réticences à nous recevoir, mais nos amis ont fini par convaincre la mairie de le faire. »
Il vient tout de suite à l’esprit que Joël Galli, conseiller en communication de Jacques Chirac, aurait pu, un an avant son invitation à Tokyo, intervenir avec Nicolas Tandler pour ouvrir les portes de l’Hôtel de Ville à Bo Hi Pak. Autre relais possible : François-Georges Dreyfus qui, s’il est bien directeur du Centre d’études germaniques de l’université de Strasbourg, est aussi, et surtout, maire adjoint RPR de la capitale alsacienne…
N’épiloguons pas : le 18 octobre 1983, Jacques Toubon reçoit le bras droit de Moon et la centaine de journalistes moonistes et non moonistes — les plus nombreux — qui l’accompagnent. Le programme original prévoyait que ce redoutable honneur serait réservé à Alain Juppé. La Famille n’a pas perdu au change. Aussi son photographe fixe-t-il pour la postérité le futur secrétaire général du RPR prononçant son allocution de bienvenue sous l’œil satisfait du président de CAUSA International et de son adjoint américain, Tom Ward.
La délégation aura moins de chance en République fédérale d’Allemagne : Helmut Kohl s’opposera in extremis à ce que la moindre personnalité officielle honore de sa présence le banquet offert par la World Media Conférence à l’hôtel Steigenberger de Bonn. La visite s’annonçait pourtant sous les meilleurs auspices : Jeremy Gaylard, membre de l’Église et correspondant local des journaux du groupe News World Communications, avait obtenu du porte-parole du gouvernement, Peter Boenisch, que de hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et des parlementaires participent aux travaux. Celui-ci, parfaitement renseigné sur la qualité des sponsors de l’opération, refusait de céder aux pressions des antimoonistes allemands qui réclamaient l’annulation de ce concours officiel. Il faudra que le très conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung dénonce cette collaboration pour que le chancelier intervienne.
Malgré ce « couac » imprévisible, les stratèges de CAUSA jugent le bilan de cette première bataille européenne globalement positif. Ils persistent dans leur volonté d’établir et de consolider une tête de pont opérationnelle dans la capitale française.
L’AUCM délaisse temporairement ses programmes d’évangélisation et engage ses maigres troupes — guère plus de deux cents « frères » et « sœurs » à plein temps — dans l’ultime combat contre Satan.
Bricolages… 339
Les fenêtres donnent sur le bas de l’avenue de l’Opéra et les guichets du Louvre. En se penchant un peu, sur la gauche, on aperçoit les colonnades de la Comédie-Française. CAUSA-Europe a établi ses quartiers 4, place André-Malraux, au cœur du Paris rive droite le plus chic.
Pour transformer cet immense appartement bourgeois, un peu vieillot, en un luxueux siège social, une bonne dizaine de moonistes ont travaillé ici jour et nuit, bénévolement bien sûr, pendant plus d’un mois. Michel Picard, notre « espion » québécois, a vécu ces moments de fièvre où même les « chefs » — Blanchard, Ceyrac et Gabriel — mettaient la main à la pâte, empoignaient un pinceau, tiraient des fils ou posaient la moquette. La Famille n’a fait appel à de la main-d’œuvre professionnelle que pour certains travaux spécialisés : pose des circuits électriques, installation d’un standard téléphonique, etc. La « restauration » des lieux est menée tambour battant car les moonistes ont pris beaucoup de retard sur leur programme.
Pensez donc : nous sommes au printemps 1985 et CAUSA n’a toujours pas de locaux où accueillir dignement ses membres, pas de bureau où installer ses permanents, sa documentation, ses fichiers et son ordinateur… Or, l’organisation fonctionne effectivement depuis juin 1984, date à laquelle elle a invité un premier groupe de sympathisants, tous frais payés, à un premier séminaire d’introduction à la « cosmovision de CAUSA »… dans un grand hôtel de Washington. Manière élégante de faire comprendre aux anticommunistes français que leurs nouveaux amis ont les moyens de leurs ambitions et qu’ils pourront le cas échéant bénéficier de leurs largesses.
Le choix de ces premiers séminaristes éclaire le propos tactique de CAUSA-Europe : il s’agit moins de chercher la caution de personnalités en vue — tâche assignée à la conférence mondiale des Médias — que de gagner à la doctrine politique mooniste des cadres intermédiaires de la politique, de l’économie ou de la presse. Aux grandes conférences les « coups de pub », à CAUSA le travail de fond.
Sont ainsi conviés à ce premier séminaire en langue française deux conseillers et un chargé de mission au Conseil régional d’Ile-de-France, dont le maire RPR de Poissy Jacques Masden-Arus, le journaliste Pierre d’Harcourt et le correspondant du Figaro en Allemagne Jean-Paul Picaper — déjà présent au Fact Finding Tour sur le pacifisme ; un ancien secrétaire général adjoint du parti radical socialiste, Gérard Pince, animateur depuis 1981 d’une Fondation pour l’Europe très liée aux réfugiés de l’Est ; et beaucoup d’autres, dont bien entendu Nicolas Tandler, sans qui, à l’évidence, Jean-Pierre Gabriel et Pierre Ceyrac hésitent à se déplacer,
Depuis ce voyage initiatique au pays de la « providence divine », CAUSA a multiplié les séminaires : à l’hôtel Coquibus de Milly-la-Forêt en octobre 1984 ; à l’hôtel Lutétia de Paris en décembre où elle invite tout spécialement des ecclésiastiques ; à l’hôtel Méridien en février 1985 où une filiale de CAUSA International — l’International Security Council, l’indispensable « boîte à penser » de la panoplie mooniste — regroupe quelques priviligiés, dont Roland Gaucher du Front national, autour des généraux latino- et nord-américains venus sensibiliser l’Europe à « la menace soviétique dans la Caraïbe ». Et tandis que « frères et sœurs » s’affairent au milieu des plâtres du 4, place André-Malraux, elle prépare très activement son premier séminaire européen prévu en juin au Montparnasse Park hôtel…
Surmenage idéologique 341
Parallèlement elle a lancé en octobre 1984 un magazine politique et culturel, intitulé CAUSA, imprimé au château de Mauny sur les Presses de Normandie.
Le surmenage guette la Famille. Dans l’attente de locaux dignes de ce nom, la cellule politique de l’AUCM travaille où elle peut : chez Pierre Ceyrac à La Celle-Saint-Cloud, rue de Lisbonne, dans un appartement provisoirement loué, rue Gît-le-Cœur, siège des activités religieuses de l’Église, rue de Tolbiac, adresse théorique de la Fondation pour la paix mondiale, association paravent par laquelle transitent les fonds américains destinés à CAUSA-Europe.
C’est la valse des papiers à en-tête. Se fiant aux invitations qu’elle subtilise çà et là, la préfecture de police ne sait plus où loger les moonistes. Seule référence stable, le thème des séminaires : « Comment répondre au défi idéologique du marxisme ? »
De nouveaux visages apparaissent à la direction de CAUSA : Catherine et Rudi Weber, qui habitent chez les Ceyrac. Comme leurs hôtes, ils ont été mariés par Sun Myung Moon. Abraham Lancry, juif pied-noir et « anar » post-soixante-huitard, plutôt versé jusque-là dans les activités missionnaires. Danielle Catois — séparée de son mari — une mystique reconvertie dans l’activisme politique ; la professeur de danse qui accueille Picard à CAUSA, c’est elle. Henri Blanchard enfin, le président de l’Église, qui se passionne pour le jeu politique. Il prendra un jour Michel Picard à part pour lui dire : « Tu as le profil type du jeune que nous pourrions un jour présenter aux élections… »
Tous les permanents de CAUSA-Europe sont moonistes. À la différence des Etats-Unis où le colonel Bo Hi Pak a pu s’offrir le luxe d’installer successivement deux non-moonistes à la présidence de CAUSA-Etats-Unis : le général David Woellner, puis Philip Sanchez, ancien ambassadeur des Etats-Unis au Honduras. La séparation entre l’Église et CAUSA n’est, en France, même pas plaidable sur le papier !
Il est pourtant vital d’entretenir le flou ! L’organisation, tout en reconnaissant son inspiration mooniste, doit éviter, dans la mesure du possible, d’afficher des relations trop étroites, financières en particulier, avec l’Église de l’Unification. Il serait maladroit, par exemple, que les nouveaux locaux de CAUSA, et l’hôtel que l’on projette d’acquérir, soient achetés au nom de l’AUCM ou d’un de ses dirigeants connus. En outre, le fisc français n’admettrait sans doute pas que l’Église, qui fait des pieds et des mains pour ne pas payer sa lourde amende fiscale, dépense parallèlement des millions pour étoffer son patrimoine immobilier.
C’est justement cette volonté de discrétion qui retarde l’installation de CAUSA dans ses murs. Le Mouvement de l’Unification a dû, en effet, mettre en œuvre des trésors d’imagination et un mécanisme très complexe pour financer, de l’extérieur et en sous-main, les achats et les locations de sa filiale politique française.
Une « combinazione » bien dans le style de la Famille.
Son excellence l’ambassadeur 343
Les quelque trente privilégiés présents à l’inauguration du 4, place André-Malraux n’ont d’yeux que pour le décor. Le grand salon n’a rien à envier aux hôtels de luxe qui hébergent régulièrement les colloques et les festivités moonistes : moquette moelleuse, tapis de haute laine, chaises et fauteuils Louis XV tendus de velours vert pâle, canapés profonds, grandes glaces dans leurs cadres dorés.
Sous deux lustres imposants, Pierre Ceyrac, flanqué d’Henri Blanchard, annonce sous un tonnerre d’applaudissements que le colonel Pak vient de verser 100 000 dollars au Nicaraguân Freedom Fund et annonce la prochaine tenue à Paris de la conférence des Médias.
De petits groupes se forment et commentent les projets de l’organisation. Des personnages encore inconnus du lecteur attirent l’attention. Pierre de Villemarest, la soixantaine chauve et sportive, est de ceux-là. Comme Nicolas Tandler, et… comme Jean-Pierre Gabriel — c’est peut-être le moment de le rappeler — il collabore à La Vie française. Animateur pendant de longues années de la revue Est-Ouest de feu Georges Albertini, il est surtout connu pour ses activités militantes. Il préside en effet la Conférence internationale des résistances en pays occupés (CIRPO) qui s’est fixé comme objectif la « libération totale des pays sous domination soviétique ». CAUSA et la CIRPO sont en relations très étroites. L’une et l’autre puisent largement dans le vivier des réfugiés des pays de l’Est et du tiers monde socialiste ou anti-américain.
Un personnage manque pourtant à la fête : l’homme qui a loué le somptueux huit-pièces de la place André-Malraux pour le compte de la CAUSA : son excellence l’ambassadeur José Maria Chavez. Il est à New York « pour affaires ».
Le Colombien est en effet un personnage terriblement occupé depuis que son chemin a croisé celui de Bo Hi Pak. A l’heure où les moonistes français et leurs amis pendent la crémaillère — petits fours et orangeade de rigueur car l’on ne sert pas d’alcool dans les réunions internes de CAUSA —, José Maria Chavez peut se vanter d’être l’un des principaux collaborateurs du colonel coréen. La Famille l’utilise systématiquement sur tous les fronts où elle ne peut agir en son nom.
Lorsque, par exemple, dans la perspective de la libération de Sun Myung Moon en août 1985, les moonistes américains décident de lancer une imposante campagne publicitaire présentant « Père » comme la victime d’un abus de pouvoir judiciaire, ils s’adressent à Chavez pour contrôler la structure ad hoc constituée pour l’occasion, baptisée Comité pour la défense de la constitution américaine. Coordonnant ses efforts avec ceux de la Coalition pour la liberté religieuse, ce dernier avatar de la propagande unifïcationniste paiera des fortunes pour publier, pleine page, dans tous les grands quotidiens de solennelles mises en garde : — « La Constitution ne sert à rien si elle ne s’applique pas à chacun !» — « Qui sera le prochain ? » Après Sun Myung Moon évidemment… — « Le premier amendement protège tout un chacun ! » Sous-entendu : en emprisonnant Sun Myung Moon, c’est sa propre liberté que l’Amérique a mise derrière les barreaux.
José Maria Chavez est le principal animateur du comité avec deux activistes ultra-conservateurs : Warren Richardson, l’un des leaders de la nouvelle droite, avocat d’une collaboration ouverte avec l’Église de l’Unification, et David Finzer, ancien de la Ligue anticommuniste mondiale, très lié au lobby sud-africain.
L’ambassadeur préside aussi, depuis quelques années, une « doublure » de CAUSA en Amérique latine : l’Association pour l’unité latino-américaine, dont le secrétaire général n’est autre que son ami colombien, Antonio Betancourt, qui occupe les mêmes fonctions à CAUSA International. L’objectif d’AULA est de rapprocher de la Famille des personnalités plus modérées — démocrates-chrétiennes ou social-démocrates — que l’anticommunisme viscéral et certaines relations de CAUSA gênent aux entournures. L’unité du continent est en effet un vieux mythe, entretenu contre l’évidence depuis plus d’un siècle, autant par la gauche révolutionnaire que par la droite démocratique.
Il fait toujours recette et AULA a su en profiter pour se faire quelques relations chez les démocrates chrétiens espagnols et centro-américains ou les sociaux-démocrates dominicains. Le profil « rond » et respectable de José Maria Chavez est tout a fait adapté à la recherche de nouveaux appuis au-delà des frontières rigides de l’anticommunisme. Cela ne l’empêche pas de présider le conseil consultatif de CAUSA International…
Du bureau que Bo Hi Pak lui a fourni, tout près de lui, dans l’immeuble de Manhattan qui abrite les états-majors du groupe de presse et des Filiales politiques de l’Église, José Maria Chavez supervise aussi des opérations plus discrètes.
L’acquisition pour le compte du Mouvement de nouveaux biens immobiliers en France l’a ainsi occupé tout au long des derniers mois.
Tout comme Georges Catois s’était vu confier la mission de négocier discrètement la propriété de l’ex-député RPR d’Evry Michel Boscher, José Maria Chavez est chargé de louer le plus discrètement possible l’appartement de la place André-Malraux et d’acquérir… le mondialement célèbre Trianon-Palace de Versailles.
Comment le choix de la Famille s’est-il fixé sur cet hôtel, quels partenaires — complices ou abusés — lui ont permis, pour une fois encore, d’avancer masquée ? L’histoire de ces tractations révèle l’étendue du réseau d’amitiés de CAUSA et de ses « compagnons de route ». Car les théoriciens de l’Église, qui semblent s’inspirer en tous points — pour mieux le combattre ! — de la représentation mécaniste et manœuvrière qu’ils se font du communisme international, qualifient en effet leurs alliés non moonistes de fellow travellers !
Les paravents du Palace 346
De passage à Paris fin 1983, au terme du voyage d’études sur le pacifisme qui l’a conduit en Europe, le colonel Bo Hi Pak fait savoir à quelques grosses agences immobilières qu’il est preneur d’un hôtel particulier ou, éventuellement, d’un château en proche banlieue. Il ne mènera pas l’affaire jusqu’au bout car entre-temps José Maria Chavez s’est mis en chasse.
Profitant de la première conférence d’AULA en France — à l’hôtel Meurice de Paris en mai 1984 —, il expose ses projets à quelques personnalités amies. Le lecteur a déjà fait la connaissance de certains invités : Jacques Soustelle, l’ambassadeur Jurgensen ou Marie-France Garaud — qui une nouvelle fois se décommande au dernier moment. Il ne sera pas surpris d’apprendre qu’un conseiller de Jacques Chirac assiste aux travaux : l’ambassadeur Kosciusko Morizet, le « ministre des Affaires étrangères » du maire de Paris, ancien représentant de la France à Washington.
En revanche, il pourrait légitimement s’interroger sur la présence de deux « figures » parisiennes, plus connues des cercles mondains et des milieux d’affaires que des spécialistes de stratégie ou de géopolitique : le baron Yves le Mauff de Kergal de la Châtaigneraie et Olivier Giscard d’Estaing. Sont-ils vraiment là pour disserter sur l’inaccessible unité latino-américaine ? Non.
Jean-Pierre Gabriel me donnera quelques mois plus tard la clé de l’énigme : « Vous ne devez pas oublier que l’ambassadeur Chavez est un aristocrate. Marquis et grand d’Espagne. Il entretient à ce titre des contacts suivis avec les plus vieilles familles d’Europe. Le baron de Kergal est un de ses vieux amis. C’est lui qui nous l’a présenté en 1984 à l’hôtel Meurice. »
Mais pourquoi le frère de l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing prend-il la parole au cours de la conférence ? Ce n’est pas à proprement parler un homme politique malgré un bref passage au Parlement (1968-1973) comme député républicain-indépendant des Alpes-Maritimes. Administrateur de sociétés (IBM en particulier), ancien directeur des Aciéries de Pompey puis de Gibbs France, c’est avant tout un homme d’affaires international. Et ni son frère, ni les ténors de l’UDF ne souhaitent — c’est un secret de polichinelle à droite — lui confier de nouvelles responsabilités. Peut-être parce que dans les années soixante-dix on l’a vu flirter avec quelques intellectuels ultra-conservateurs comme Alain de Benoist, de la nouvelle droite, ou Louis Pauwels au sein d’un club de pensée appelé Maïastra.
S’il n’a jamais vraiment fait carrière dans la politique, Olivier Giscard d’Estaing est en revanche apprécié des hommes d’affaires internationaux et des experts économiques. Ancien directeur des études de l’Institut européen d’administration des affaires (Insead), il parcourt le monde pour donner des conférences. Le Marché commun est l’un de ses thèmes favoris. Officiellement, il préside donc la commission économique d’AULA. En fait, il est là pour autre chose.
Le baron de Kergal, que je rencontre la veille de Noël 1985 dans le grand salon de CAUSA, acceptera, à quelques jours du « bouclage » de ce livre, de me raconter, dans les grandes lignes, comment José Maria Chavez, Olivier Giscard d’Estaing et lui-même se sont retrouvés à l’hôtel Meurice pour envisager l’achat du Trianon Palace.
C’est un personnage imposant, au verbe sonore, qui ne met pas son drapeau dans sa poche : « Comme beaucoup de Français qui sont venus à CAUSA — hommes politiques ou militaires de haut rang —, je pense que le communisme est le pire fléau de notre temps. Pour relever le défi, la lutte contre le communisme doit passer par une résurgence de la spiritualité dans le monde. Car l’Occident est menacé sur tous les plans. Pas seulement militairement. Notre société est aussi déstabilisée par la pornographie, la drogue, la pédérastie officielle, etc. »
Les bribes de biographie qu’il me livre en toute modestie — « Je ne suis pas un personnage important » — balisent un itinéraire étonnant : issu de la vieille noblesse bretonne — son aïeul était le second de l’amiral d’Estaing, le commandant des troupes françaises engagées contre les Anglais pendant la guerre d’indépendance américaine — il a d’abord fait de la Résistance pendant le second conflit mondial. À la Libération, il part en Afrique du Nord comme officier de la Légion étrangère. Il quitte l’armée en 1952 et s’expatrie au Brésil où il épouse une petite-fille de l’ex-empereur du Brésil, Pedro II — « Le grand-père de la comtesse de Paris », me précise-t-il —, avant de regagner la France, en 1958, où il s’établit comme industriel. Le baron ne me le dit pas, mais il connaît alors plusieurs faillites.
La politique le saisit alors. Il est gaulliste et fait partie des premiers fondateurs de l’UNR. Partisan de l’Algérie française, il s’en sépare après l’indépendance et rejoint le CNI, puis le PR. « Comme Dominati », ajoute-t-il. Jacques Soustelle et lui se connaissent bien.
Depuis quelques années, enfin, il est secrétaire général d’une très vieille association, les Cincinatti de France, qui perpétue depuis deux siècles le souvenir de l’aide française à la guerre d’indépendance américaine. Un poste qui lui permet de rencontrer beaucoup de monde.
Précisément, n’est-ce pas à travers les Cincinatti que le baron aurait fait la connaissance d’Olivier Giscard d’Estaing ? Valéry Giscard d’Estaing est en effet membre honoraire de la vénérable association depuis 1976. « Non, je tiens à vous préciser que ni l’un ni l’autre ne sont membres à part entière des Cincinatti de France ou d’Amérique. Ils auraient beaucoup aimé l’être et nous l’ont demandé avec beaucoup d’insistance, mais les statuts de notre association ne le permettent pas car ils ne sont pas les descendants de l’amiral d’Estaing dont ils ont acquis le nom depuis. Devant notre refus, l’ancien président de la République a obtenu ce titre purement honorifique, par l’intermédiaire de Kosciusko Morizet, à l’époque ambassadeur de France à Washington et lui-même membre honoraire des Cincinatti d’Amérique. Les maréchaux Foch et Pétain, qui n’étaient pas non plus des descendants directs, avaient été distingués de la même manière dans le passé… » L’homme qui reconnaît s’occuper depuis quelques mois des relations extérieures de CAUSA ne badine pas avec l’histoire et l’hérédité.
Stratégie hôtelière 349
« Non, affirme Yves de Kergal. Ce n’est pas moi qui ai fait venir Olivier Giscard d’Estaing à la réunion d’AULA à l’hôtel Meurice ; c’est Chavez. Moi j’y ai amené Kosciusko. Chavez et Olivier Giscard d’Estaing se connaissent depuis de nombreuses années ; ils se croisent régulièrement dans des conférences ou chez des amis. Dès que Chavez a pris la décision d’acheter un hôtel en France — au départ, c’est le Mouvement qui souhaitait l’acquérir directement —, il a tout de suite pressenti le frère de Valéry Giscard d’Estaing comme actionnaire et président du conseil d’administration. Il savait que ses moyens financiers lui permettaient de participer à l’opération.
« La négociation pour l’achat du Trianon a commencé après la conférence de l’hôtel Meurice. Elle a été très difficile. Je peux en parler… C’est moi qui l’ai menée. »
Interrompons quelques instants le baron de Kergal et revenons un peu en arrière. José Maria Chavez réunit donc à Paris les principaux candidats-acheteurs du Trianon Palace : son frère Enrique, florissant homme d’affaires, qui assiste à la conférence au titre d’ancien doyen d’une université colombienne (!), Yves de Kergal et Olivier Giscard d’Estaing. Les travaux durent trois jours et les quatre hommes ont tout loisir d’évoquer des variantes possibles du futur montage financier. Olivier Giscard d’Estaing, quant à lui, a maintes occasions de constater que son ami Chavez partage l’intimité des organisateurs moonistes de la conférence : Bo Hi Pak, Antonio Betancourt, Pierre Ceyrac, Jean-Pierre Gabriel…
Mais pourquoi donc le choix de l’ambassadeur colombien se porte-t-il sur le célèbre hôtel de Versailles ? Parce que ce palace « quatre étoiles luxe » et ses trois hectares de parc jouxtant le palais de Versailles combleraient d’aise les dirigeants du Mouvement, très sensibles aux symboles extérieurs de la puissance et de la légitimité ? Sans doute. N’est-ce pas au Trianon que Clemenceau et les alliés remirent aux Allemands, en 1919, leurs conditions de paix ? N’est-ce point là que descendaient traditionnellement les têtes couronnées de passage à Paris ? L’acquisition de ce joyau de l’hôtellerie européenne serait dans la logique de l’achat du New Yorker à Manhattan ou du Victoria Plaza à Montevideo.
Parce que CAUSA souhaite, comme elle le fait en Uruguay, transformer un vieil hôtel prestigieux en moderne centre de conférences ? Pierre Ceyrac me le confirmera à demi-mots, une fois l’affaire conclue : « Chavez veut faire d’importants travaux au Trianon. Le rénover pour le mettre au niveau du Crillon ou du Bristol… Il est sûr, par ailleurs, que l’hôtel appartenant à un éminent dirigeant de CAUSA, il donnera des facilités à son organisation pour y tenir des conférences… »
Toutes ces raisons suffiraient à justifier la décision de José Maria Chavez. Mais il en est une autre, plus politique : l’un des principaux actionnaires du Trianon intéresse beaucoup les dirigeants de CAUSA-Europe. Il s’appelle Jean-Pierre Peyraud. Ancien PDG de la banque Rivaud — « la banque des caoutchoutiers » pour les spécialistes —, il occupe en 1984 des fonctions susceptibles d’attirer leur attention : il est PDG de La Vie française et associé de Bruno Bertez, le patron du groupe de presse qui vient de s’emparer du Nouveau Journal.
Pour les amateurs de coïncidences, contentons-nous de signaler, sans malice :
1) qu’au printemps 1984 Jean-Pierre Gabriel, Nicolas Tandler et Pierre de Villemarest collaborent toujours à La Vie française ;
2) que les relations entre les trois hommes n’ont jamais été aussi bonnes : Villemarest rentre à peine d’un « voyage d’études » en Extrême-Orient sous la direction de Bo Hi Pak. Tandler s’apprête lui à partir à Washington puis à Tokyo avec ses compagnons moonistes ;
3) que la CIRPO, l’organisation qui fédère sous la houlette de Villemarest un certain nombre de guérillas antimarxistes, compte… Bruno Bertez parmi ses présidents d’honneur. Le directeur du groupe La Vie française-Agefi-Nouveau Journal a participé personnellement aux premières réunions de cette très discrète association (cf. ci-après chapitre 24) ;
4) que plusieurs sympathisants étrangers de CAUSA-Europe sont, bien entendu, membres de la CIRPO.
Résumons. Le principal interlocuteur de José Maria Chavez et Yves de Kergal dans l’affaire du Trianon Palace n’est pas un inconnu des moonistes français. Il est l’associé d’un homme et le dirigeant d’un groupe qui, par de multiples canaux, coopèrent avec CAUSA.
La proposition d’achat soumise aux propriétaires du Trianon tombe à pic. L’exploitation du Palace rapporte peu. Seule la vente peut permettre de rentabiliser l’investissement initial. Par ailleurs, Jean-Pierre Peyraud a besoin d’argent frais. Bruno Bertez et lui envisagent en effet de lancer en 1985 un grand quotidien économique — la Tribune de l’économie — dont tout laisse prévoir qu’il coûtera très cher…
La cession des parts du Trianon — évaluées à 35 millions de francs — apportera « du cash ». Bruno Bertez le confessera un peu plus tard devant son comité d’entreprise. Mais la négociation sera longue et serrée car Jean-Pierre Peyraud veut à la fois tirer le maximum de la vente et conserver quelques parts de l’hôtel.
Paradoxalement, cette volonté de continuer à siéger au conseil d’administration du Trianon au côté de deux responsables de CAUSA — José Maria Chavez et Yves de Kergal — fait politiquement bien l’affaire du Mouvement. Elle permet à la Famille de resserrer des liens, jusque-là purement idéologiques, avec un groupe de presse qui accueille volontiers la prose des antisoviétiques français les plus orthodoxes.
Tout milite donc pour l’acquisition du Palace de Versailles.
Pour quelques millions de dollars 352
Reste à mettre sur pied le montage financier qui préserve l’anonymat de l’« inspirateur » de la transaction : le Mouvement de l’Unification.
José Maria Chavez, son fils, sa fille et son frère constituent donc une société de droit américain nommée Solamerica, qui se porte acquéreur de l’hôtel. La Famille affirme qu’elle n’y a pas investi un sou et que Enrique Chavez a une fortune suffisante pour se lancer dans une opération financière de cette ampleur. Le fait qu’aucune filiale reconnue de l’Église, qu’aucun mooniste avoué, ne soit actionnaire de Solamerica ne suffit malheureusement pas à établir que la Famille n’a pas acheté l’hôtel. Toute l’histoire de la multinationale plaide en effet pour la thèse inverse !
Souvenons-nous : quand le très catholique Julian Safi et quelques comparses totalement inconnus du milieu financier s’emparent du Victoria Plaza de Montevideo et du Banco de Credito d’Uruguay, ils ne crient pas sur tous les toits que les fonds leur sont fournis par le « ministre des Finances » de Moon, Takeru Kamiyama, à travers une banque off shore de Gran Cayman !
Quand Georges Catois monte de toutes pièces la société immobilière La Restauration pour acheter la propriété d’Evry pour le compte de l’AUCM, il ne se présente pas aux banques comme le principal mandataire de la Famille. Certes, il n’est pas mooniste, mais sa femme et son fils le sont. Et l’annuaire 1985 des anciens de l’Ecole centrale — dont il fut l’élève — nous confirme pourtant qu’il préside depuis plusieurs années la filiale française de l’Entreprise océanique internationale, la multinationale mooniste de la pêche !
Les autorités françaises ne se douteront pas, en tout cas, que CAUSA se cache derrière Solamerica. L’ambassadeur Chavez interviendra d’ailleurs peu dans la négociation. La société a en effet mandaté le baron de Kergal qui mènera l’affaire à bien avec l’habileté et la discrétion dont il a su faire preuve en d’autres occasions.
Il se charge d’abord d’obtenir les autorisations nécessaires. Le feu vert du ministère des Finances et du secrétariat au Tourisme est indispensable pour une telle transaction. Yves de Kergal les obtient sans coup férir. «J’ai rencontré personnellement le directeur de cabinet du secrétaire d’Etat au Tourisme. Il s’est montré très bien disposé vis-à-vis des investissements étrangers. Les Finances n’ont pas posé de problème non plus. » Le Trésor a bien sûr exigé de Solamerica des attestations de solvabilité. C’est la Chemical Bank de New York qui les a fournies. Pour la petite histoire, elle gère le principal compte de l’Église de l’Unification aux Etats-Unis…
En six mois, tout est réglé. Les fonds transiteront par la Banque de Suez. Le 11 décembre 1984, le conseil d’administration du Trianon Palace coopte Yves de Kergal, José Maria Chavez, Enrique Chavez et Olivier Giscard d’Estaing comme nouveaux membres. Le 27 décembre, il entérine la prise de participation majoritaire de Solamerica, qui acquiert 66 % des parts de l’hôtel. Jean-Pierre Peyraud garde un tiers des actions.
Le dispositif est complété par l’entrée au conseil d’un spécialiste de l’hôtellerie, Roger Godino, promoteur de la station de ski des Arcs, ami d’Olivier Giscard d’Estaing et du baron Secondât de Montesquieu, lié autrefois à l’OAS, aujourd’hui directeur international de Moët Hennessy, introduit au Trianon par Yves de Kergal.
Comme prévu par José Maria Chavez, avant même que l’offre d’achat n’ait été formulée, Olivier Giscard d’Estaing est élu président du conseil d’administration. Cette promotion lui vaudra bien des ennuis. Le Canard enchaîné découvre que « le frère Giscard est en affaires avec la bande à Moon ». Un journaliste uruguayen, Alejandro Alem, collaborateur de l’auteur, est aussi sur la piste. La rumeur fait bientôt le tour de Paris et la presse de gauche s’en empare. Le choix d’un grand nom pour « couvrir » l’affaire, bien dans la tradition des opérations « paravent » menées par la Famille, se retourne contre le Mouvement de l’Unifïcation.
Acculé, le frère de l’ancien président répond au Canard qu’« il est tout à fait faux de dire que monsieur José Chavez est connu pour ses responsabilités à la tête de CAUSA-Moon. Il doit s’agir, ajoute-t-il, d’une confusion avec l’ambassadeur Sanchez, Américain d’origine mexicaine ».
Réaction surprenante ! Comment Olivier Giscard d’Estaing peut-il savoir que Philip Sanchez — qu’il a rarement croisé — est président de CAUSA-Etats-Unis, et ignorer que Chavez — qu’il fréquente depuis des années — est président du comité consultatif de CAUSA International ? Chavez lui réaffirme, en tout cas, par courrier, qu’il n’exerce aucune fonction « exécutive ou administrative » au sein du Mouvement de l’Unification.
Le Canard lui ayant apporté la preuve des liens existant entre son ami et la Famille, il lui fait part, le 8 juillet 1985, plus de six mois après l’acquisition de l’hôtel, de « sa désagréable surprise ».
Au moment où le président du Trianon fait cette réponse, son hôtel s’apprête à accueillir un « séminaire d’introduction au Mouvement de l’Unification » et, dans la foulée, un colloque, organisés par l’Académie pour la paix mondiale, équivalent de la conférence mondiale des Médias dans les milieux universitaires… Les travaux se prolongeront du 25 au 31 août. Les frais des invités — des intellectuels d’Afrique du Nord — seront totalement pris en charge par l’Académie pour la paix mondiale. Les responsables de l’organisation qui négocient avec l’hôtel sont : Walter Gottesman, ex-fondateur de l’Église de l’Unification de New York, et Didier Rias, pilier de la Famille française !
Depuis l’acquisition de l’hôtel, Olivier Giscard d’Estaing a eu plusieurs fois l’occasion d’évoquer ces questions avec ses partenaires. José Maria Chavez est à Paris deux fois par mois. Il descend au Trianon et travaille place André-Malraux avec le baron de Kergal. Tous trois se rencontrent souvent et, malgré le scandale qui menace, le frère de l’ex-président décide de conserver ses fonctions. Yves de Kergal lui conseille vivement de ne plus entretenir de polémique avec la presse. Pour les moonistes, l’affaire est close. Solamerica contrôle à elle seule beaucoup plus de la moitié des parts.
Il s’agit maintenant de rénover l’hôtel pour en faire le centre de conférences tant attendu. « Au bas mot, les travaux engagés coûteront 50 ou 60 millions de francs lourds », m’avoue l’un des directeurs de l’hôtel. L’opération Trianon, une fois achevée, aura donc coûté une fortune au Mouvement de l’Unification : près de 90 millions de francs en comptant les 35 millions payés presque entièrement cash pour le rachat des actions.
Faut-il que la Famille nourrisse une grande ambition pour la France et pour l’Europe !
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25. Moon prisonnier de l’Amérique
L’ambition planétaire du Mouvement de l’Unification s’inscrit sur la carte du monde : sous une forme ou sous une autre les moonistes sont présents dans plus de cent pays. Leur prodigieuse percée en Amérique latine, aux États-Unis et en Europe, ces dernières années, ne doit pas masquer d’autres réussites. Et les dîners en ville avec les maîtres de la Maison-Blanche ne doivent pas faire oublier les complicités politiques entretenues depuis trente ans dans des dizaines de capitales moins en vue. Comme les usines de Corée, du Japon ou des États-Unis ne doivent pas éclipser la myriade de petites entreprises commerciales ou artisanales qui alimente la Famille à travers le monde.
Adopté par la droite japonaise 391
L’influence acquise par le Mouvement de l’Unification au Japon, par exemple, laisse rêveur. Depuis le début des années soixante-dix, Victoire sur le communisme est devenu un partenaire officiel de la droite nippone. Sur les campus, dans le corps enseignant, dans les lycées, il affronte en première ligne les syndicats de gauche et les militants du parti communiste.
Lors des grandes campagnes électorales — aux municipales de Tokyo en particulier, lorsque les candidats de gauche sont en mesure de l’emporter — il met ses colleurs d’affiches et ses finances au service du Parti libéral-démocratique, le grand parti conservateur de l’après-guerre. En 1978, interpellé au Parlement par un député communiste sur ses liens avec l’Église de l’Unification, le Premier ministre Takeo Fukuda répond : « Le révérend Moon est un homme remarquable et sa philosophie rejoint la mienne, en particulier en ce qu’elle a trait à la coopération et à l’unité. » Sommé de rompre définitivement avec Victoire sur le communisme, il réplique que, sur la base de ce qu’il connaît de l’organisation, il ne voit pas pourquoi couper les ponts avec elle.
Au nom de l’anticommunisme, la Famille japonaise ne répugne pas à passer des alliances plus compromettantes. Ainsi, les documents officiels de la Ligue anticommuniste mondiale reconnaissent-ils Rioshi Sasagawa, grande figure de l’extrême droite et parrain d’un clan de la mafia japonaise, comme membre du chapitre japonais de la WACL, dirigé par Osami Kuboki, président de l’Église au Japon et de Victoire sur le communisme.
Rioshi Sasagawa est pourtant un personnage bien différent de l’homme nouveau, délivré de l’influence de Satan, qui doit naître de la croisade mooniste. Condamné à la fin du second conflit mondial pour crimes de guerre, inculpé plus tard pour activités économiques délictueuses, mêlé ensuite au scandale Lockheed, il incarne tous les vieux démons d’un empire japonais autrefois allié de l’Allemagne nazie. Peu importe. Ses affaires, légales ou illégales, prospèrent et il peut puiser dans le milieu la main-d’œuvre nécessaire en période de campagne électorale. Rioshi Sasagawa bénéficie à l’époque de la discrète protection des secteurs ultras du Parti libéral-démocratique au pouvoir, sans interruption, de 1954 à 1974.
L’establishment conservateur japonais continue, encore aujourd’hui, à manifester au grand jour son estime pour le Mouvement de l’Unification. À Tokyo, les dirigeants moonistes sont accueillis avec des égards exceptionnels : le Premier ministre Yasuhiro Nakasone reçoit ainsi officiellement le colonel Bo Hi Pak et les journalistes qui l’accompagnent, en avril 1984, dans le cadre de leur « voyage d’études » en Asie. Sept mois plus tard, il adresse un message de bienvenue aux sept cents participants à la VIIe conférence mondiale des Médias, réunis dans sa capitale, s’excusant de ne pouvoir assister en personne aux travaux.
Le Parti libéral-démocratique, lui, y a délégué plusieurs personnalités : Nobusuke Kishi, ancien Premier ministre, ancien secrétaire général du parti, ami de Sasagawa et théoricien de l’ultra-libéralisme économique, a accepté de coprésider la conférence avec Jacques Soustelle et l’ancien ambassadeur américain au Japon, Douglas MacArthur, neveu du célèbre général. Nobusuke Kishi est un très vieux monsieur à qui l’Église de l’Unification doit beaucoup mais qui, hélas, n’est plus un homme d’avenir. Il est cependant toujours très actif dans les coulisses du pouvoir. Mais d’autres dirigeants du parti sont heureusement dans la salle : l’un était, il y a peu, ministre de la Défense ; l’autre, président de la commission des Affaires étrangères de la Diète. Ne comptons pas les directeurs de journaux ou de radios et les consultants auprès de quelques multinationales…
Sans aucun doute — le général Singlaub nous l’a déjà dit — la Famille a été adoptée par la droite japonaise.
C’était un objectif ancien de Sun Myung Moon. En 1974, il confiait à ses proches : « Si nous pouvons manipuler au moins sept nations, nous contrôlerons le monde entier… Dans le camp de Dieu, la Corée, le Japon, l’Amérique, l’Angleterre, la France, l’Allemagne et l’Italie sont les nations sur lesquelles je compte pour gagner le monde. »
Face aux « prétendus libérateurs » de l’Afrique 393
En revanche, l’attention que le « Nouveau Messie » a portée depuis à l’Afrique — continent qu’il ne jugeait pas à l’époque « décisif » — surprend. Mais s’explique : la décolonisation des possessions portugaises d’Angola et du Mozambique, la crise rhodésienne et l’encerclement consécutif de l’Afrique du Sud par des régimes révolutionnaires ouvrent un nouveau front pour l’Amérique. Sun Myung Moon ne peut s’en désintéresser s’il veut mériter sa considération.
L’Église est aujourd’hui très active en Gambie, en Côte-d’Ivoire, au Ghana, au Nigeria, au Kenya et au Zimbabwe. Elle a des bureaux à Johannesburg et a ouvert une mission à Soweto.
Sur la question sud-africaine elle vient habilement au secours du gouvernement de Pretoria. Sur le terrain, en Afrique, elle condamne le principe de l’apartheid, certes, mais se bat avec beaucoup plus de véhémence encore contre les « prétendus libérateurs » que seraient les leaders marxistes de l’African National Congress, et soutient les dirigeants noirs — zoulous en particulier — qui acceptent la politique de développement séparé dans les bantoustans.
Aux États-Unis, où se joue largement l’avenir du régime blanc, elle travaille l’opinion publique dans le même sens. Quelques jours après sa première parution, en 1982, le Washington Times défendait, dans un éditorial engageant le journal, une position très proche de celle de l’Église : « Nous sommes totalement opposés à l’apartheid en Afrique du Sud. Cependant, nous avons le sentiment que les institutions démocratiques qui prévalent dans ce pays, malgré ces restrictions racistes, offrent plus de possibilités de construire à terme une véritable société de liberté que n’en offrirait le renversement violent de ces mêmes institutions. Quand nous pensons à l’Afrique du Sud, nous tenons autant compte de l’aspect géopolitique du problème et des ressources minières uniques de ce pays que de l’apartheid… »
C’est globalement le même message que tente de faire passer, dès la fin des années soixante-dix, le magazine Afrique Espoir, imprimé par l’AUCM et distribué au Cameroun, en Centrafrique, en Gambie, au Sénégal, en Sierra Leone et au Zaïre. Ce journal est aussi l’un des tout premiers — avec une autre publication de la Famille, le Rising Tide de Washington — à consacrer de longs reportages aux guérillas du FLEC et à leur leader Francisco Lubota.
Ce patient travail politique s’appuie dans de nombreux pays sur une action missionnaire et humanitaire exemplaire et apparemment irréprochable. Sous la houlette de Rémi Blanchard, le frère du président de l’AUCM, des dizaines de « frères et sœurs » français et européens consacrent leur vie depuis des années à la Fédération mondiale de secours et d’amitié. Cette branche de l’IRFF — l’organisation qui achemine l’aide mooniste dans les camps de la Contra au Honduras — construit des hôpitaux de campagne (Zambie), développe des projets agricoles (Zaïre et Côte-d’Ivoire) et gère des centres d’apprentissage pour handicapés (Sénégal). Plus discrètement, en collaboration avec CAUSA, elle fournit médicaments et personnel médical aux guérillas du FLEC et de l’Unita.
Certaines communautés moonistes africaines ont grandi plus vite que leurs Églises « mères » de France ou d’Europe. Au Zaïre et en Côte-d’Ivoire, elles comptent déjà plusieurs centaines d’adeptes.
Comme ailleurs dans le monde, l’Église cherche en Afrique à infiltrer systématiquement les milieux intellectuels. La conférence mondiale des Médias y recrute moins que dans les pays développés car la presse africaine, encore embryonnaire, n’exerce pas une influence déterminante sur l’opinion publique. En revanche, un effort tout particulier est produit en direction des universités. L’Association des professeurs pour la paix mondiale, dirigée par Morton Kaplan, un chercheur américain membre du Conseil éditorial du Washington Times, regroupe plusieurs dizaines de « mandarins » d’Afrique anglophone, du Maghreb et du Machrek. Les conférences pour « l’unité des sciences », organisées par la Fondation pour la culture internationale du révérend Kwak — l’alter ego de Bo Hi Pak —, drainent chaque année les représentants d’une vingtaine de pays africains.
À travers ces différents forums, une part non négligeable de l’intelligentsia du continent maintient un contact permanent avec les élites scientifiques, philosophiques et politiques de la droite américaine et mondiale. De retour au pays — au terme de voyages inoubliables — elle a à cœur de se montrer digne de l’amitié de ses pairs. Les politiques locales, à terme, peuvent s’en ressentir.
C’est, à tout le moins, le pari de Sun Myung Moon.
Présents partout où se joue l’avenir du monde, les moonistes ne pouvaient pas, non plus, se désintéresser du Moyen-Orient.
Disons rapidement que, depuis les années soixante-dix, Rémi Blanchard et d’autres « frères » français à sa suite ont séjourné au Liban sur instructions express de « Père ». Quelques liens ont été noués chez les chrétiens. En Israël et en Egypte, par l’intermédiaire de CAUSA-États-Unis et de ses relations américaines, le Mouvement a su se faire quelques amis dans la presse et à l’Université. Le grand quotidien israélien Yediot Aharonot et l’agence égyptienne Middle East News sont régulièrement représentés aux conférences des Médias depuis 1982.
La « stratégie de l’araignée » ? 396
On pourrait ainsi, inlassablement, passer en revue les capitales du monde et constater que partout, avec plus ou moins de succès, d’Indonésie en Autriche, de Hong Kong au Yémen, de Thaïlande en Jamaïque, le Mouvement de l’Unification continue d’avancer ses pions.
Son influence à travers le monde reste cependant très inégale. À l’exception de quelques bastions — États-Unis, Honduras, Salvador, Uruguay, France, République fédérale d’Allemagne, Corée et Japon —, il éprouve toujours beaucoup de difficultés à prendre pied dans l’establishment politique ou militaire des pays où il s’installe. Le cas de la République fédérale d’Allemagne se situe un peu en marge des nations précitées : malgré des succès économiques indéniables — nettement plus flatteurs qu’en France — la Famille se heurte en République fédérale à la méfiance tenace de la droite démocrate chrétienne et chrétienne sociale, très influencée par le mouvement anti-sectes.
En Europe du Sud, malgré quelques percées isolées et temporaires, elle n’a point d’autres partenaires que l’extrême droite anticommuniste. En Espagne, par exemple, ses amitiés se limitent à quelques personnalités franquistes — comme le duc Emilio Baladiez, ancien ambassadeur —, membres du parti Alianza popular, et aux cercles locaux de la Ligue anticommuniste mondiale. José Maria Chavez a bien réussi à attirer l’ancien Premier ministre Adolfo Suarez à la conférence d’AULA en 1984, mais le subtil leader de l’opposition espagnole ne s’est plus montré depuis en compagnie des moonistes.
En Espagne, en Italie, en Grèce, CAUSA entretient une représentation officielle, mais la sensibilité antifasciste dominante dans ces pays freine les progrès de l’organisation discréditée par ses relations avec les dictatures d’Amérique latine et d’Asie.
En Grande-Bretagne — où elle a perdu en mars 1981 un procès à sensation intenté contre le Daily Mail pour diffamation — l’Église n’a jamais pu se faire accepter par les milieux conservateurs traditionnels. Comble de l’injustice, c’est un député du parti de Margaret Thatcher qui a instruit le rapport anti-sectes adopté par le Parlement européen en 1984… malgré un lobbying effréné mené dans les couloirs de l’assemblée de Strasbourg par l’ambassadeur Chavez, Jacques Soustelle et le comte Otto de Habsbourg.
Dans le monde musulman, malgré une « diplomatie » très active menée par quelques universitaires arabes amis de la Famille — pour la plupart résidant aux États-Unis —, l’audience politique de Moon est faible.
Confiant dans son étoile, « Père » s’acharne pourtant à tisser sa toile. « Moon ou la stratégie de l’araignée », titrait méchamment, à l’été 1985, la revue de la « nouvelle droite » française Éléments. La comparaison est tentante, mais ne rend pas compte d’un trait essentiel de la démarche du « Nouveau Messie » : Sun Myung Moon est pressé ; l’araignée ne l’est pas.
Fort de ses alliés 398
Sun Myung Moon verra-t-il le royaume de Dieu sur terre avant sa mort ? L’ascension de la Famille vers les sommets de la puissance et du pouvoir est-elle déjà inscrite dans l’histoire ? Cinq cents millions de dollars de bénéfices annuels et une centaine de milliers de « moines-soldats » suffiraient-ils à conquérir le monde ?
On ne s’avancera guère en répondant non.
Ces pages vous en auront convaincu : Sun Myung Moon ne pèse que du poids de ses alliés, de la légitimité que lui confèrent les milieux anticommunistes. Sun Myung Moon est puissant parce qu’il est utile. Non parce que sa théologie convainc.
La faiblesse des effectifs de l’Église de l’Unification le confirme. La puissance politique du « Nouveau Messie » et de ses principaux lieutenants est sans commune mesure avec le nombre de ses fidèles. Citons des chiffres admis, en privé, par les dirigeants de la Famille : au Japon, 50 000 « fidèles à plein temps » pour 500 000 croyants « non actifs » ; en Corée, 300 000 personnes « influencées par la foi » dont guère plus de 10 % « travaillent pour l’Église » ; aux États-Unis, l’ensemble des tâches politiques, économiques et religieuses repose sur les épaules de 8 à 10 000 missionnaires ! L’influence religieuse de la Famille s’étend peu au-delà de ce petit noyau ; en France, 200 « plein temps » pour 1 000 « sympathisants » au maximum…
Moon est utile car il est le premier à mettre clairement, sans restrictions ni fausses pudeurs, l’idée de Dieu au service de l’activisme anticommuniste. La question que martèle le colonel Bo Hi Pak à longueur de conférences est d’une redoutable efficacité : « God or no God ? Dieu ou pas Dieu ? » « Si Dieu n’existe pas, ajoute-t-il, alors le communisme pourrait très bien avoir raison. Une fois Dieu écarté, le communisme peut, en effet, apporter une explication convaincante de la vie. Cependant, si Dieu existe, alors, il n’y a pas de doute : le communisme ment. Car le communisme est fondé sur la négation de Dieu. Deux croyances contradictoires ne peuvent être vraies l’une et l’autre. […] Dieu ou pas Dieu, l’une des deux propositions est un mensonge. » Simple, cohérent, rassembleur — TOUS les croyants peuvent être sensibles à cette rhétorique —, le discours mooniste dénonce le rapprochement opéré depuis l’époque des indépendances entre les marxistes et les progressistes chrétiens et musulmans dans le tiers monde.
L’alliance entre les Églises et la révolution sociale est une alliance contre nature : Sun Myung Moon clame tout haut et depuis longtemps ce que les conservateurs de l’Église catholique, par exemple, pensent de plus en plus fort depuis l’élection de Jean-Paul II.
L’évolution des relations entre le Mouvement de l’Unification et le Vatican est à cet égard symbolique. On a pu croire un temps, en effet, que Sun Myung Moon trouverait dans la hiérarchie catholique ses adversaires les plus acharnés. Les épiscopats d’Amérique centrale (Honduras et Panama en particulier) avaient condamné sans nuances les activités politiques et religieuses de la secte dans leurs pays. Au lendemain de l’octroi au « Nouveau Messie » et à Bo Hi Pak d’un doctorat honoris causa par l’université catholique de Le Plata, Rome avait fait part, discrètement, de ses regrets. Ne se prononçant pas sur la qualité des personnalités distinguées, le Saint-Siège faisait seulement remarquer que le recteur de La Plata n’avait pas respecté l’ordre donné par les autorités du diocèse de surseoir à la cérémonie… Mais Sun Myung Moon a bien fait de ne pas désespérer. La campagne lancée en 1985 par Jean-Paul II contre les tenants de la « théologie de la libération » est venue conforter sa volonté d’établir des ponts avec le Vatican.
Son entêtement a été récompensé : le 6 décembre 1985, le Souverain Pontife recevait officiellement, dans ses salons privés, des participants à la conférence d’AULA, réunis à Rome, conduits par José Maria Chavez, Bo Hi Pak et Antonio Betancourt. Plusieurs anciens chefs d’Etat et de gouvernement latino-américains composaient la délégation. Jean-Pierre Gabriel, attaché de presse de la conférence, réussissait même à se faire photographier aux côtés de Sa Sainteté.
Utile, Sun Myung Moon l’est aussi car il met à la disposition du combat anticommuniste des militants très bien formés et infatigables. Tom Ward, Bill Lay, Dan Fefferman, Neil Salonen et la plupart des têtes politiques du Mouvement sortent de l’université mooniste de Barrytown, près de New York, où ils étudient jusqu’au niveau de la maîtrise. La Famille leur offre ensuite une bourse pour poursuivre un doctorat de théologie dans une grande université protestante.
Leur capacité de travail, leur résistance au sommeil sont déjà légendaires dans les milieux anticommunistes. Jean-Pierre Gabriel a bien voulu me dire comment, par exemple, les membres de l’Église participant aux grandes conférences organisaient leur emploi du temps : « Nous travaillons en général jusqu’à une heure du matin et nous levons à cinq heures. Malgré cela nous trouvons le temps de prier. Nous respectons en effet, dans ces moments importants, la tradition de la chaîne de prière : à tour de rôle, pendant que les autres dorment, l’un d’entre nous veille et prie. »
Utile — irremplaçable pensent certains —, Moon l’est enfin parce que aucun autre milliardaire occidental, aucune autre multinationale n’est disposé à investir plusieurs centaines de millions de dollars par an dans le seul combat anticommuniste. Le baron de Kergal résume très bien le sentiment des alliés du « Nouveau Messie » : « Si, au lieu de dépenser des fortunes pour son bien-être et celui des siens, monsieur Rockefeller avait autant donné pour notre lutte… je dirais : merci, monsieur Rockefeller ! Si le pape en faisait autant, je dirais : merci, mon pape ! Aujourd’hui je dis : merci, monsieur Moon ! »
Surf précaire sur la vague Reagan 401
La force et la faiblesse de l’organisation mooniste sont clairement inscrites dans cet aveu. Les leaders naturels de l’anticommunisme se nommeront toujours Nelson Bunker Hunt, Dupont De Nemours, Mellon-Scaife, Rockefeller, Standard Oil ou ITT. Et la hiérarchie catholique saura encore s’opposer efficacement à la propagation des idées révolutionnaires.
C’est la défaillance temporaire de ces piliers de la défense de l’Occident capitaliste et chrétien qui a ouvert à Sun Myung Moon les voies de la puissance et de la gloire. Le concile Vatican II et l’émergence de la théologie de la libération lui ont offert une opportunité inespérée : réconcilier la religion et la tradition, l’idée de Dieu et le libéralisme économique, la foi chrétienne et la défense du statu quo social. En Amérique latine, en particulier, il gagnera ainsi la sympathie des intégristes et des traditionalistes, très nombreux chez les militaires au pouvoir. Le repli américain des années soixante-dix achèvera de faire le lit du Mouvement de l’Unification. Chaque fois que s’écroulait un nouveau symbole de la puissance des États-Unis, « Père » et ses « enfants » se dressaient, seuls aux côtés du dernier carré conservateur, pour stigmatiser les fourriers de la décadence. La crise du Watergate, la démission de Richard Nixon, la débâcle vietnamienne, la réorganisation de la CIA, l’intervention cubaine en Angola, le projet de Jimmy Carter de retirer ses troupes de Corée, la victoire sandiniste et la révolution salvadorienne : autant d’occasions pour l’Église d’augmenter son crédit auprès du mouvement conservateur.
Depuis 1980, Sun Myung Moon « surfe » sur la vague Reagan : situation enviable mais précaire. En premier lieu, parce que, au sein même de la droite reaganienne, quelques voix discordantes ont commencé à se manifester dans le concert de louanges qui monte vers le Washington Times et ses heureux propriétaires. Paul Weyrich, l’un des principaux leaders de la nouvelle droite religieuse avec Richard Viguerie, répète à qui veut l’entendre qu’il est dangereux de collaborer à ce niveau avec une organisation dont on ignore les objectifs réels. Même son de cloche chez Ralph Reed, ancien président du College Republican National Committee, le plus important mouvement conservateur étudiant des États-Unis. Il connaît bien les moonistes pour les avoir vus à l’œuvre sur les campus. « Ces gens-là, dit-il, capitalisent nos succès pour faire avancer leurs propres desseins. »
Ils ne sont pas les premiers à formuler de telles réserves, en public ou en privé. La plupart des alliés de Moon ont eu connaissance du rapport Fraser et, même s’ils se méfient des conclusions de cet homme réputé « ultra-libéral », ils savent que « Père » et ses adjoints ne sont pas des personnages au-dessus de tout soupçon.
Une conjoncture extrêmement favorable — consécutive en particulier au virage conservateur opéré par l’opinion publique et la classe politique dans l’affaire du Nicaragua — leur permet de revendiquer publiquement leurs relations avec l’Église de l’Unification au nom de la croisade antimarxiste. Mais que cette conjoncture se modifie un tant soit peu, et la Famille risque de connaître bien des désillusions…
L’amitié, en politique, tient à si peu de choses ! Ne prenons qu’un exemple : il a suffi que le gouvernement coréen — pièce maîtresse du dispositif de la Ligue anticommuniste mondiale — glisse quelques remarques désobligeantes sur Sun Myung Moon à l’oreille du général Singlaub, pour que le héros de la « guerre privée » au Nicaragua décide de ne plus se montrer dans les grandes conférences moonistes. Certes il maintient le contact avec CAUSA, mais né veut pas que son organisation — la WACL — apparaisse liée au Mouvement de l’Unification.
Deux ans après sa publication intempestive, le petit monde politique de Washington a sans doute encore en mémoire l’avertissement contenu dans un mémorandum secret rédigé, en pleine campagne électorale présidentielle de 1984, pour les services d’analyse politique du Pentagone. Mémorandum remis à la presse par de bonnes âmes. « Si des mesures ne sont pas prises, y lisait-on, pour stopper l’influence croissante des moonistes et mettre un terme à leurs liens au sein du gouvernement, le président court le risque d’être dépeint dans les médias comme un pauvre ingénu incompétent, très fort en idéologie mais manquant de sens commun. […] Les médias ont déjà commenté certaines initiatives des moonistes et la probabilité qu’un reporter ou un membre du staff démocrate regroupe toutes les pièces (pour établir un dossier complet de leurs activités) est trop grande pour être négligée. » En conclusion, le rapport suggérait une surveillance accrue de l’Église de l’Unification « en particulier pour prévenir toute action illégale ».
Le gouvernement américain n’a, semble-t-il, pas tenu compte de ces lignes ni des mises en garde de James Whelan après son licenciement du Washington Times. Il s’est même trouvé quelques conservateurs pour faire courir le bruit que l’Irlandais quittait son poste à la suite d’un différend financier avec ses patrons. L’affaire a cependant fait grand bruit et l’image de marque de l’Église n’y a rien gagné.
Mais la Famille n’a accordé que peu d’importance à ces péripéties et veut voir l’avenir en rose. Le président et son entourage n’ont-ils pas officiellement reconnu en 1985 que le Washington Times était une arme essentielle dans la panoplie du mouvement conservateur ?
Une question de fond se pose, pourtant, qui souligne à terme la fragilité des positions acquises et l’utopie du rêve mooniste de domination mondiale : combien de temps encore l’Amérique conservera-t-elle un président qui partage les idées du Washington Times ? Combien de temps encore, « idéologues », « fondamentalistes », « religieux » et « néoconservateurs » tiendront-ils le haut du pavé ?
Le Washington Times et CAUSA coûtent chaque année plus de 100 millions de dollars à l’Église américaine. Cet effort financier permet de maintenir un contact quotidien avec le pouvoir. Il ne se justifierait plus si le président des États-Unis lisait en priorité un autre journal, pratiquait une autre politique vis-à-vis de l’Union soviétique et fermait les portes aux dirigeants de la Famille.
Le retour à la détente, la mise en œuvre concertée d’un désarmement réel peuvent ruiner la stratégie mooniste d’investissement de l’exécutif américain fondée sur le développement de la tension entre les blocs. Si le cordon ombilical avec le pouvoir était coupé, le Mouvement de l’Unification ne serait plus alors, en effet, qu’un courant parmi d’autres du conservatisme américain.
À sa sortie de prison, en août 1985, Sun Myung Moon semble d’ailleurs avoir compris qu’il ne doit plus compter sur les seuls États-Unis pour asseoir et consolider sa puissance. À la fin de l’année, il part pour Séoul et décide de consacrer désormais la moitié de son temps aux projets de la Famille coréenne.
Ce soudain départ ne doit pas surprendre. Il nous rappelle que le « Nouveau Messie » est doué d’un sens tactique peu commun. N’ayant jamais abandonné l’espoir d’être reconnu comme un leader national dans son pays, il préfère y retourner, encore auréolé des succès américains du colonel Bo Hi Pak et du Washington Times.
« Père » doute en effet que l’influence de son Mouvement puisse encore s’étendre aux États-Unis. Malgré la réussite des « politiques » de la Famille, il ne fait plus confiance à l’Amérique. Moon en veut beaucoup à la Maison-Blanche et aux conservateurs de l’avoir laissé croupir au pénitencier de Danbury, lui qui leur avait offert le Washington Times. Il ne cache pas en outre une autre déception : depuis plusieurs années, les effectifs américains stagnent. L’Église de l’Unification, il le pressent, ne sera jamais une religion de masse aux États-Unis.
À soixante-six ans, il va donc tenter une dernière fois sa chance en Corée où le gouvernement de Séoul, qui s’en méfie beaucoup, l’attend de pied ferme.
Le « Nouveau Messie » ne fera pas mieux que le Christ. Il ne verra pas le royaume de Dieu sur terre. Sun Myung Moon laissera, en revanche, derrière lui l’une des plus formidables machines politiques de l’après-guerre.
La droite américaine saura, s’il le faut, s’en servir encore.
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LISTE DES PRINCIPAUX SIGLES UTILISÉS
AUCM : Association pour l’unification du christianisme mondial.
ADFI : Association pour la défense de la famille et de l’individu.
CAUSA : Branche politique de l’Église de l’unification (AUCM).
CIEL : Comité des intellectuels pour l’Europe des libertés.
MURS : Mouvement universitaire pour la révolution spirituelle.
FLEC : Front de libération du Cabinda.
APVSM : Association pour la promotion des valeurs spirituelles et morales.
KAPA : Association politique coréano-américaine.
UCI : Unification Church International.
KCIA : CIA coréenne.
KCFF : Fondation coréenne pour la culture et la liberté.
APACL : Ligne anticommuniste des peuples d’Asie (branche asiatique de la WACL).
WACL : World Anticommunist League (Ligne anti-communiste mondiale).
AIM : Accuracy in Media.
ASC : American Security Council.
USCW : United States Council For World Freedom.
FIVC : Fédération Internationale pour la Victoire sur le Communisme.
ACWF : American Council for World Freedom.
FLF : Freedom Leadership Foundation (Fondation pour la suprématie de la liberté).
CIRPO : Conférence internationale des résistances en pays occupés.
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Index
Abramovici Pierre, 205
Afrique Espoir, 394
Aggio Antonio, 212
Agres Ted, 270
Aharonot Yediol, 396
Ahmadzai Hadi Ghani, 382
Albert Carl, 185, 269
Albertini Georges, 343
Alem Alejandro, 354
Allen Richard, 309, 310
Alpha et Omega, 86-92, 94, 98
Alfaya Andres, 383
Alvarez Gustavo, 222, 224, 227
Amadou Jean, 375
Amouroux Henri, 332
Anderson Jack, 229, 238
Anderson Jon Lee, 229, 231, 236, 237, 238
Anderson Robert, 310, 327
Anthony Bernard, voir Marie Romain
Argentato Nicolas, 220
Asian Outlook, 250, 251, 252
AUCM, passim
Auffray Hugues, 375
Autres Mondes, 331
Ballet René, 82, 83, 84, 85, 86
Baker James, 273
Bakshian Aram, 271
Baladiez Emilio, 397
Barbie Klaus, 216
Bartlett, 197
Bas Pierre, 373, 374
Bauman, 197
Belot Mario, 227
Benoist Alain de, 347, 357, 379, 380
Benoist Jean-Marie, 337
Bergman Susan, 185, 269
Bermudez Enrique, 232, 241
Berthez Bruno, 330, 350
Betancourt Antonio et Caroline, 318, 327, 345, 350, 400
Blanchard Henri, 18, 32, 38, 44, 61, 63, 65, 72, 85, 89, 91, 93, 293, 340, 342, 343, 357, 363, 365, 367, 368, 369, 374, 377, 387 Blanchard Hildegarde, 91, 92
Blanchard Rémi, 33, 65, 67, 69, 395, 396
Block John, 273
Boenisch Peter, 339
Bonafini Hebe de, 219
Bonnemaison Didier, 21, 24, 34, 37, 38, 40
Bonner Ray, 203
Boothe Luce Claire, 204, 271
Borchgrave Arnaud et Alexandra de, 280-290, 292, 296, 299, 300, 304, 306, 307, 308, 321, 324, 333, 386, 390
Borrero Misael Pastrana, 324, 327
Boscher Michel, 65, 66, 345
Boucher Lynn, 296
Bourbon Michel, 239
Bourillon Claude, 378
Boyd Stephen, 214, 223, 225
Brédard Michel, 67
Britos Dolcey, 226
Brownfeld Allan, 324
Bruel Rémi, 10, 12
Buchanan Patrick, 276
Bungei shunju, 156
Burdic, 185
Bush George, 274, 390
Calero Adolfo, 236, 241, 255, 297, 382
Camps (général), 228
Canard enchaîné, Le, 319, 320, 328, 354
Casey William, 279
Catois Georges, 61-68, 69, 70, 73, 85, 86, 98, 100, 345, 352, 364
Catois Danielle, 61-63, 70, 342
CAUSA, passim
Ceyrac Pierre, 77, 79, 80, 85, 93, 234, 274, 292, 293, 299, 321, 325, 326, 329, 331, 333, 335, 337, 340, 341, 343, 350, 356, 357, 358, 363, 367, 369, 370, 371, 372, 373, 374, 375, 377, 379, 383, 385, 386, 390
Chamorro Edgar, 228
Chamorro Fernando, 237, 238
Chateau Claire, 10, 11, 362
Chaunu Pierre, 382
Chavez Enrique, 352, 353
Chavez José Maria, 324-327, 344-346, 347, 349-353, 355, 356, 400
Chicago Tribune, 208
Chin Hwa, 151
Chirac Jacques, 74, 331, 338, 356, 357
Choi Sang-Ik (Nishigawa Masaru en Japon) (Papasan Choi), 126
Choi Sun-gil, 112
Christian Bernard, 91, 92, 93, 94, 161
Clausen, 197
Clay Philippe, 375
Cline Ray, 205, 288
Cloarec Michel, 75, 358
Close Robert, 228
Colby William, 239
Conable Barber, 193
Coors Joseph, 203
Copel Etienne, 228
Cronkite Walter, 203
Crozier Brian, 285-286, 288
Cuomo Mario, 209
Curiel Henri, 280-281
Daillet Jean-Marie, 374
Daily Mail, 397
Danjou Jean-Francis, 83, 86, 88-90, 92, 98
Danet Olivier, 384
Deckter Midge, 291, 385
Deniau Jean-François, 320
Devedjian Patrick, 374
Dobriansky Lev, 296, 330
Dolan John Terry, 264, 268, 302, 303
Domenach Jean-Marie, 78
Dominati Jacques, 348
Dona Alice, 375
Dreyfus François-Georges, 337, 338
Dupont De Nemours, 401
Durand Pierre, 369
Durst Mose, 174, 175, 302, 313
Eberlé Harold, 293, 294, 296-300
Ecorcheville Gérard, 330
Église de l’Unification, passim
Eisenhower Dwight, 129, 131, 134, 253, 310, 325
Estellano Carlos, 222
Est-Ouest, 323, 326, 343
Estrella Miguel Angel, 226
Eu Hyo-Won, 76, 118, 119, 121, 125
Fagoyh Steadman, 226, 234
Faiers Martin, 11
Falwell Jerry, 268, 314, 319, 334
Fayçal d’Arabie, 244
Fefferman Dan, 190, 253, 400
Ferraro Geraldine, 311
Figaro, Le, 320, 341, 373, 376
Figaro-Magazine, Le, 236, 319, 320, 323, 326, 332
Finzer David, 344
Fitoussi Claude, 376
Flores Segundo, 222
Fontaine Jean, 369
Fontaine Roger, 271
Fouillet Catherine, 330
Franks Didier, 286
Fraser Donald, 131, 133, 208, 264, 311, 402
Fuentes Juan Manuel, 212, 215
Fukada Takeo, 392
Gabriel Jean-Pierre, 75-77, 79-81, 111, 113, 120, 122, 216, 321, 326, 327, 331, 335, 337, 340, 341, 343, 346, 350, 351, 359, 361, 363, 377, 378, 380, 382, 383, 400
Galli Joël, 331, 338
Gallois Pierre (général), 337
Galvez José, 222
Gannett, 306
Gantier Gilbert, 375
Garaud Marie-France, 246, 326, 337, 346
Garaud Henri-René, 379
Garcia Meza (général), 216, 217, 221
Gaucher Roland, 330, 341, 369
Gavin James, 275, 302
Gaylard Jeremy, 339
General Electric, 144, 145
Gheorgiu Virgil, 382
Giscard d’Estaing Olivier, 346-350, 353, 354
Giscard d’Estaing Valéry, 10, 347
Glucksman André, 385
Godino Roger, 353
Godwin Ronald, 314
Goetz François, 357
Goldsmith James Michael, 204
Goldwater Barry, 202, 259
Gomez Régis, 61
Gomez Luis Arce (général), 216
Gorbatchev Mikhaïl, 371, 374-377, 387, 389, 390
Gottesman Walter, 354
Graham Daniel O., 204, 258, 303
Greene Phil, 307
Griotteray Alain, 318, 319, 326, 329
Guion Jean, 378
Guldenzoph Jorge, 226
Haggaie (maître), 10, 311, 335
Haig Alexander, 274, 304
Han Hak-Ja, 126, 149
Han Sang-Keuk (dit Bud Han), 124, 129, 140, 269, 308
Han Sang-Kil, 124
Hanna Richard, 185
Hansen George, 197, 312
Happy World Inc., 157, 159, 160, 165, 167, 173, 175
Harcourt Pierre, 341
Harguindeguy Albano, 218
Hatch Orrin, 312
Helms Jesse, 189
Hempstone Smith, 306
Herrington John, 304
Hersant Robert, 318-320, 329
Herschensohn Bruce, 189-191
Heston Charlton, 291, 293
Heyligenstaedt, 147
Hong Young, 151
Howell Instrument, 242
Hunt Nelson Bunker, 242, 265, 401
Hurlbut Bert, 240
Hwan Chon-Doo, 308, 309
Ikle Fred, 275
Il Hwa, 88, 89, 98, 148-150, 152, 157, 168, 169
Il Shin Stone, 89, 150, 157
Il Sang, 151
Il Song, 151
Inoue Hiroaki, 156, 172
Insight, 314
Intersud, 90
Iran (chah d’), 281, 286, 287
Irvine Reed, 203, 324
Jean-Paul II, 219, 399, 400
Jenkins Louis « Woody », 265, 304
Jeusset Andrée, 38-40
John Birch Society, 202
Juppé Alain, 338
Jurgensen Jean-David, 326, 346
Kami Limited, 223
Kamiyama Takeru, 159, 162, 171, 352
Kang Ku-Cheng, 244
Kaplan Morton, 395
Kennedy Edward, 333, 334
Kergal (baron de), 346-351, 353, 355, 379, 400
Kim Baek-Moon,
Kim Charles, 171
Kim Chong-Hwa, 110, 112
Kim David, 126, 150
Kim Hyung-Wook, 131
Kim Jong-Pil, 123, 124, 127, 129, 131, 134, 140, 248, 257
Kim Kae-Hwan, 99, 152
Kim « Mickey » 140, 141
Kim Sang-In (« Steve »), 123, 124, 127, 129, 140, 269
Kim Won-Pil, 88, 115, 121, 123, 124, 138, 148-151
Kim Young-Hui, 151
Kim Young-Oon, 118-120, 122, 125, 126
Kirkpatrick Jeane, 204, 245, 289, 291, 297, 299, 306
Kishi Nobusuke, 393
Kissinger Henry, 284, 288
Klu Klux Klan, 202
Kohl Helmut, 339
Kosciusko Morizet Jacques, 346, 349, 356
Kuboki Osami (« Henri »), 135, 159, 250-255, 257, 389, 392
Kwak Chung-Hwan, 234, 235, 395
Ky Nguyen Cao, 324, 330
Labin Suzanne, 474
Lacontre Robert, 319
Ladouce Laurent, 335, 359
La Haye Tim, 264, 268, 314
Lancry Abraham, 335, 342
Langemann Hans, 285
Larkin Jeanie, 181
Lay Bill, 400
Le Cabellec Pierre, 107
Le Diguerher Jean, 9, 15-18, 72-74, 78, 376
Lee Rex, 312
Lee Sang-Hun, 96, 151
Lee Sung-Soo, 249
Lee Yo-Han, 115, 151
Le Garrec Jean-Paul, 79
Leigh (général), 245
Le Mauff Yves, voir Kergal, baron de
Le Pen Jean-Marie, 69, 323, 334, 360-363, 366-370
Le Pen Pierrette, 366, 368, 369
Lesnik Renata, 386-388
Lévy Bernard-Henry, 332, 385
Lindeman Ingrid et Werner, 214, 225
Lindomar (société), 223
Llamas Antonio (général), 218
Lopez Claudio (général), 217
Los Angeles Times, 299, 307
Lowery Joseph, 311, 314
Lubota Francisco, 92, 383, 384, 395
MacArthur Douglas, 330, 393
MacCarthy, 311, 314, 334
MacDonald Kathryn, 203, 303
MacDonald Larry, 203
MacFarlane Robert, 304
MacGoff John, 262, 263, 268, 272
MacGovern George, 206
MacHale Thomas, 212
Macias Enrico, 373
MacPherson Tommy, 239
Magazine Hebdo, 337
Maierhofer Hildegarde, 91
Malaud Philippe, 331, 337, 372, 373, 374, 377, 380
Maluf, 221
Marcilly Jean, 323, 361, 362, 366-370
Marie Romain, 358-360
Martin-Prével Patrick, 69, 70, 83-86, 88-90, 92, 93, 98
Masden Arus Jacques, 341
Massera (amiral), 218, 245
Master Marine, 165
Matin, Le, 365, 366
Maximov Vladimir, 79, 326, 386
Médecin Jacques, 374, 382
Meese Edwin, 304
Megret Bruno, 379
Mélard Colette, 363, 364
Mellon-Scaife Richard, 203, 268, 401
Menudo, 222
Merglen Albert, 228
Michel Robert, 193
Middle East Times, 317
Miller Donald, 267
Mingolla Alfredo, 216, 221 MISURA, 233-235, 238
Mojaaddidi (commandant), 390
Monclin Hilja, 387
Monestier Françoise, 369
Monterrosa Domingo, 226
Monribot Jean-Pierre, 91
Moon Sun Myung, passim
Moss Robert, 283-288
Mulder Connie, 263
Mun Kyung-Yoo, 105
Nahavandi Houchang, 382
Nakasone Yasuhiro, 392
National Hebdo, 330, 369, 384
National Review, 306
Nay Catherine, 332
Negroponte John, 232
New Hope News, 182, 194
Newsweek, 280-283, 287
NewsWorld, 193, 206-210, 212, 213, 264, 269, 330
New Yorker (hôtel), 350
New York Times, 193, 203, 205, 206, 213, 264, 287, 299, 306, 389
New York Tribune, 213
Nguyen Bernard, 91
Nicaraguayan Freedom Fund, 280-300, 343, 380
Niedegger Yves, 390
Nixon Richard, 133, 187-191, 197, 204, 253, 284, 291, 292, 401
Nofzeger Lynn, 306
Nol Lon, 244
Nordmann Jean-Thomas, 380
Noticias del Mundo, 222
Novak Michael, 291
Novoa Jovino, 217
Nouveau Journal, 350
Nouvel Espoir, Le, 27, 34, 70, 71-86, 94, 101, 322, 335, 383
Nouvelles Perspectives, 390
Nunn, 197
Ockrent Christine, 332, 373
Ogny Jean d’, 384
Oheix Gérard, 378
O’Leary Jeremiah, 271, 273
O’Neil (« Tip »), 279
Orme Dennis, 207
Ormesson Olivier d’, 382
Outrequin Gérard, 87, 88, 90
Pacepa Ion Mihaï, 365
Pak Bo Hi, passim
Paniagua Patricio, 329
Park Chung Hee, 123, 124, 126, 132, 133, 137, 139, 141, 194, 248, 249, 257
Parker J.A., 259
Pasqua Charles, 330
Pastora Eden, 237, 295, 332
Pauwels Louis, 332, 347, 375
Pelbois Bruno, 375, 377, 387
Percy Charles, 191
Perry Paul, 221
Peyraud Jean-Pierre, 350, 351, 353
Picaper Jean-Paul, 341
Picard Michel, 45-50, 53, 56, 58, 59, 63, 73, 77, 292, 340, 342, 372, 375-377, 383, 387
Pince Gérard, 341, 357, 369, 370
Pinochet Augusto, 218, 245, 328
Piva Omar, 222
Plaza Antonio (Mgr), 219
Point, Le, 280, 281, 326
Polo Impresora, 222, 225
Pordea Gustave, 69, 70, 326, 363-366, 368, 369, 370
Porter Martin, 180
Queirolo Luis, 214
Rapela (général), 224
Ravennes Alain de, 78
Reagan Ronald, 75, 192, 193, 200, 202, 204, 205, 210, 211, 227-229, 236, 254, 255, 258, 259, 263, 266, 268, 271, 273, 275, 278, 279, 289, 292, 295, 296, 298, 301, 302, 304, 309, 313, 314, 319, 320, 333, 373 374, 385, 389, 390, 402
Reed Ralph, 402
Renazé Dominique, 359
Revel Jean-François, 289, 322, 326, 328-331, 385, 386
Rhee Jhoon, 128, 130, 171
Rhee Syngman, 121, 123, 244, 247, 257
Rias Didier, 35, 355, 364
Richard Jean-Pierre, 23, 24
Richardson Robert, 226
Richardson Warren, 344
Rios Hugo Manini, 212, 222, 224
Rios Montt (général), 228
Rising Tide, 193, 201, 202, 204-206, 209, 395
Rivet Paul, 325
Robelo Alfonso, 237
Robertson Pat, 242
Rockwell, 143
Rockwell Collins, 143
Roland Robert, 128, 129
Rossinot André, 334
Rostolan Michel de, 331, 371-374, 376, 377, 379
Rovira Alejandro, 214
Rusher William, 306, 307
Sablier Edouard, 321, 337
Sacramento Union, 270
Saeilo, 146, 160, 168
Safï Julian, 211-214, 221, 223-225, 352
Saint-Pierre Michel de, 382
Salonen Neil, 171, 189-191, 196, 201, 253, 254, 400
Sanchez Philip, 342, 354
Sanders Alain, 369, 383
Santamaria Amilcar, 386
Santoni Yacinthe, 357
Sarraute Claude, 323
Sasagawa Ryoichi, 392, 393
Saunier-Séité Alice, 331
Savimbi Jonas, 332
Savy Bernard et Alex, 331
Schlaffly Fred et Phyllis, 203, 319
Schlesinger James, 288
Secondat de Montesquieu, 353
Sekai Nippo, 156, 317, 330
Shapiro Lee, 234
Sharon Ariel, 201
Sheeran Josette, 270
Sheftick Joseph, 191
Shiso Shimbun, 251
Shultz George, 274, 390
Simon William, 204, 271, 291, 295, 297, 298
Singlaub John (général), 232, 239-244, 246, 247, 255-259, 264, 265, 268, 275, 303, 324, 327, 330, 381, 389, 393, 402
Slevin Jonathan, 269
Soejima Yoshikazu, 156-158, 160, 161, 170, 172, 175
Somoza Anastasio, 203, 234, 236, 241, 245, 277, 286, 287, 295
Sorman Guy, 266, 267, 291
Soustelle Jacques, 318, 325, 328-331, 337, 346, 348, 374, 382, 393, 397
Speakes Larry, 319
Stephens Charles, 185
Stroessner Alfredo, 215, 245
Suarez Adolfo, 397 Sudo Ken, 36, 180, 186
Suffert Georges, 280, 281, 318, 326, 329, 331
Sunday Times, 363, 369, 370
Swain Jon, 366, 368, 370
Symms Sam, 197, 290
Takashi Ikehata, 26
Tandler Nicolas, 323, 326, 331, 337, 338, 341, 343, 351
Taylor David, 231
Tchang Kaï-Chek, 298
Teran Jorge Aguila (général), 216
Thatcher Margaret, 239, 285, 286, 397
Thurmond, 197
Toledano Ralph de, 324
Tong-Il, 65, 139-143, 145-148, 150, 152, 153, 157, 160, 161, 168, 175
Toubon Jacques, 338
Tovar Alvaro Valencia (général), 325, 327
Truman Harry S., 129, 131, 253
Ultimas Noticias, 211, 222, 225
Valeurs actuelles, 337
Van Thieu Nguyen, 244
Vargas Llosa Mario, 328, 331
Varona Antonio de, 296
Veil Simone, 360, 369, 388
Vicenz Reiner, 38, 89, 147, 180, 205
Videla Rafael, 218
Vie française, La, 323, 330, 331, 343, 350, 351
Viguerie Richard, 265-268, 272, 273, 319, 402
Villegas Osiris (général), 228
Villemarest Pierre de, 343, 351, 381, 390
Violet (maître), 284
Vives Juan, 326, 383, 384, 386
Vivien Alain, 337
Von Habsbourg Otto, 81, 397
Von Hammerstein Olivier, 24, 25
Wacom, Wakomu 161
Walters Barbara, 191
Wanderer, 147, 153
Ward Tom, 216, 339, 368, 400
Warder Michael, 92
Washington Post, 188, 202, 206, 213, 238, 240, 246, 261, 262, 271, 272, 278, 287
Washington Times, 159, 176, 204, 207, 213, 222, 238, 259, 261-279, 288, 289, 292, 293, 295, 297-309, 317-321, 322, 332, 334, 395, 402-404
Washington Weekly, 263
Watt James, 271-273, 306
Weber Rudi, 342
Weinberger Caspar, 273, 275, 319, 389, 390
Werner Paul, 89, 90, 99, 147, 148, 180, 190, 205
Werner et Winkler, 89, 90, 99, 148
Weyrich Paul, 265, 402
Wheeler Jack, 385
Whelan James, 261-265, 267-273, 275, 305-310, 319-321, 327
Whyman Louis, 185
Woellner (général), 226, 232, 234, 256, 259, 303, 327, 342
Won Il, 151
Wood Allen Tate, 11, 187
Yewha Shotgun, 139
Yoshida Motoo, 159
Young, 185
Zamora Jaime Paz, 216
« L’empire Moon » pages 177-238
« L’empire Moon » pages 239-314
« L’empire Moon » pages 315-419
J’ai arraché mes enfants à Moon – Nansook Hong
« L’ombre de Moon » par Nansook Hong
Transcription de Sam Park Vidéo en Français
« Billet pour le ciel » par Josh Freed
Moon La Mystification – Allen Tate Wood