L’empire Moon 2

L’empire Moon

 

Jean-François Boyer 1986


L’empire Moon, pages 1-176

L’empire Moon, pages 177-238

L’empire Moon, pages 239-314

L’empire Moon, pages 315-419


I. LA PHOTO DE FAMILLE

Introduction

1. « Frères et sœurs » 14

2. Le don de soi 26

3. Une ambition pour le monde 45

4. La société Moon-France : combines 61

5. La société Moon-France : propagande 71

6. La société Moon-France : indélicatesses 87

II. LA CONSTRUCTION D’UN EMPIRE

7. Le prophète solitaire 105

La révélation 106

Allié des « rouges » 108

Cherchez la femme 110

Un saint en enfer 113

Traversée du désert 115

8. La naissance d’une Église 118

Deux bonnes fées 118

Inquiétudes bourgeoises 120

Une recrue majeure 122

Reconnaissances officielles 125

9. De l’Église à l’Internationale 128

Le sourire d’Ike, l’œil de la CIA 128

Fructueuse idylle 132

Les Petits Anges 134

Le tournant stratégique 136

10. La naissance de la multinationale 139

Au commencement était le fusil 139

Une usine peut en cacher une autre 141

Cent fois plus 143

Objectif République fédérale d’Allemagne 145

La racine miracle 148

Un et indivisible 150

Engagés personnellement 151

Vases communicants 154

11. Les rouages d’un empire financier mondial …. 155

Les révélations d’un renégat 156

Huit cents millions de dollars pour l’Amérique 159

Une mafia mooniste 162

L’Église de l’Océan 165

12. L’une des cinquante premières puissances privées du monde 168

La mystérieuse Unification Church International 169

De curieux actionnaires 171

Combien vaut Moon ? 173

III. MOON AU SERVICE DE L ’AMÉRIQUE

13. Des petits Français pour Nixon 179

Sans papiers 179

Une bataille de vie ou de mort 181

Relations publiques 184

Sauver Nixon 187

Sur les marches du Capitole 189

Transformer New York en royaume céleste 192

Réveiller l’Amérique ! 195

14. La « marée montante » du reaganisme 198

« America is beautiful » 198

La « Marée montante » 201

Un « vrai » journal pour la Famille 205

La bombe Fraser 207

15. À la rescousse en Amérique latine et centrale 211

Né de la confiance de Moon 211

La tournée des dictatures 214

Des chrétiens pas très catholiques 218

Un journal, une banque et un hôtel à Montevideo 221

Du cône Sud à l’Amérique centrale 225

16. Sur le terrain avec la Contra 229

La guerre privée 229

L’arme des Miskitos 233

Des agents-disciples 236

17. Moon, la « guerre privée » et la Ligue anticommuniste mondiale 239

18. Au cœur de la droite américaine : le Washington Times 261

19. Le Nicaraguan Freedom Fund 280

20. Dîners en ville et jeux d’influences 301

IV. MOON À LA CONQUÊTE DU MONDE

Introduction : le Washington Times, journal planétaire 317

21. Gagner les élites européennes 322

22. La France, tête de pont sur le front européen 335

23. Gustave Pordéa : un mooniste au Parlement européen 356

24. La marche sur Moscou et la contre-révolution mondiale 371

25. Moon prisonnier de l’Amérique 391

Liste des principaux sigles utilisés 406

Index 407

Table 414


p. 177

III

Moon au service de l’Amérique


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13. Des petits Français pour Nixon

Thibault prend l’avion le 9 décembre 1973 pour les États-Unis. Le cœur en fête. Voilà deux mois à peine qu’il a rejoint l’AUCM et, déjà, le « Père » l’appelle…

Pas tout seul. Plusieurs jeunes moonistes français s’envolent cette même année pour New York : Martine, Lionel et bien d’autres l’ont précédé. Catherine, une infirmière rennaise de vingt-deux ans, est partie, elle, à la mi-septembre : « Nous avons gagné le Luxembourg en autocar. Nous étions une vingtaine, originaires de toutes les villes de France. De là nous avons pris l’avion pour New York… Je suis restée là-bas quinze mois. Mon rôle consistait à rencontrer des personnes dans la rue pour les inviter à assister aux conférences du révérend Moon, et entreprendre une œuvre d’évangélisation… »

Ils retrouvent sur place plusieurs centaines de « frères » étrangers —japonais et allemands en majorité — intégrés en deux équipes — les International Mobile Teams — chargés de préparer les tournées du « Nouveau Messie » dans les grandes villes américaines.

Sans papiers  179

Le prophète juge en effet nécessaire de frapper un grand coup en cette année 1973. La Famille américaine ne grandit pas assez vite à son goût et s’il veut réaliser son rêve il n’a pas d’autre choix que de la développer rapidement.

La Corée ne l’a pas totalement reconnu. L’Amérique reste sa dernière chance.

Il lui faut la prendre à bras le corps. Se faire connaître, diffuser sa pensée, gagner les fidèles et les militants sans qui la conquête du pouvoir économique et politique est impossible. Or, à son arrivée en 1971, Moon n’a trouvé qu’une poignée de disciples et quatre missionnaires. Il tablait sur 8 000… Furieux, il a pris les choses en main, réorganisé le recrutement et imposé à ses adeptes la discipline de fer qui a si bien réussi à la Famille coréenne.

Il lui faut maintenant partir à la conquête du pays, prendre la parole dans toutes les métropoles américaines, exposer ses idées aux grandes masses chrétiennes et anticommunistes de l’Amérique profonde avant de s’attaquer aux bastions du pouvoir : l’industrie, la banque, la presse, le Congrès et la Maison-Blanche.

Et surtout, il lui faut faire vite. En 1973, Sun Myung Moon a déjà cinquante-trois ans…

Alors, puisque la Famille américaine n’est pas capable d’assumer seule sa responsabilité historique, « Père » fera appel aux meilleurs des « frères » étrangers. En janvier 1973, Moon convoque 109 cadres et responsables européens du Mouvement aux États-Unis. Le pays est divisé en dix régions de mission dotées, chacune, d’un état-major local. « Père » en confie la moitié à des leaders étrangers : les Allemands Paul Werner et Reiner Vincenz sont affectés à Los Angeles et Seattle, l’Italo-Américain Martin Porter à Atlanta, le Japonais Ken Sudo à Chicago…

La nouvelle structure est extrêmement hiérarchisée, presque militaire. Les responsables locaux sont baptisés « commandants régionaux de la Croisade internationale pour un monde uni ». Leurs croisés viennent du monde entier. Plus de cinq cents jeunes moonistes non américains ont été appelés en renfort et assignés, selon les besoins, aux équipes mobiles de propagande et de collecte qui sillonnent nuit et jour les autoroutes américaines.

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Dès leur arrivée aux États-Unis, les petits soldats de Moon ne s’appartiennent plus. Sans argent, sans revenus — ils travaillent à temps plein pour l’Église et n’exercent pas d’activités salariées —, sans connaissances hors du cercle de la Famille, ils sont totalement pris en charge par l’organisation.

Si, d’aventure, l’un d’entre eux décidait de regagner son pays — cas qui ne se présente que très rarement —, il ne le pourrait même pas : à peine débarqués à New York, ils remettent leur passeport ou leurs papiers d’identité au département Immigration de l’Église de l’Unification. Ils ne sont pas contraints de le faire, certes, mais les « grands frères » qui les accueillent ont tôt fait de les convaincre que la perte de ces pièces officielles serait catastrophique.

En échange de leurs documents personnels, ils reçoivent un nouveau passeport, frappé du sigle et du logo de l’Église, dont certaines mentions témoignent de leur vie tout entière abandonnée à la Cause. Sous l’intitulé « Adresse aux États-Unis », on peut lire : « Le signataire de ce passeport est actuellement en tournée missionnaire à travers les États-Unis. Jusqu’au 31 décembre 1974, son itinéraire sera le suivant : du 11 au 13 novembre, Chicago, Illinois [suit une adresse] ; du 14 au 29 novembre, Seattle, Washington [suit une autre adresse] ; du… au…, etc. »

À l’intention des autorités qui pourraient contrôler les jeunes moonistes, cette recommandation : « Si vous vous posez quelques questions sur la situation légale de l’intéressé, contactez, s’il vous plaît, Mlle Jeanie Larkin au numéro ci-dessus. En cas de mort ou d’accident, notifiez-le à l’état-major de l’Église de l’Unification [suit une adresse et un numéro de téléphone à Washington]. »

Les croisés de l’Unification n’existent plus en tant qu’individus. L’Église décide et répond pour eux.

Une bataille de vie ou de mort  181

Grâce à l’afflux de cette main-d’œuvre militante, Sun Myung Moon lance, coup sur coup en 1973 et 1974, trois tournées spectaculaires qui touchent successivement soixante et une villes américaines. L’époque est euphorique. Les commandements régionaux rivalisent de zèle pour remplir les salles où « Père » prend la parole, inviter les personnalités politiques et religieuses du cru aux banquets qui clôturent les meetings et, bien sûr, collecter les fonds qui alimentent partiellement l’opération.

Français, Japonais, Allemands et Américains travaillent nuit et jour au coude à coude. Ils ne pensent plus. Moon l’a bien compris qui leur propose un nouveau mot d’ordre : « Laissez-moi devenir fou pour la mission du “Père”. »

En Californie, dans le Sud, en Utah et dans le Centre-Ouest, de fructueux contacts sont établis avec les divers courants chrétiens qui formeront bientôt la « majorité morale », les mormons en particulier. Lors de son passage à Salt Lake City, Moon reçoit à sa table un adjoint au maire de la ville et plusieurs maires de la région, tous liés à l’Église des Saints des Derniers Jours. Dix ans plus tard, la communauté mormone se mobilisera pour le « Nouveau Messie » emprisonné pour fraude fiscale. Dans d’autres États, Moon ou Bo Hi Pak — son interprète pendant les tournées — lisent à la tribune des messages de sympathie signés du sénateur ou du représentant de la circonscription.

Cette première grande campagne américaine porte le joli nom de « Tour du jour de l’espoir ». Elle a pour thème officiel : « Christianisme en crise et nouvel espoir. » Moon proclame publiquement que le monde et les chrétiens doivent se préparer à recevoir la seconde venue du Christ.

Voilà pour le discours extérieur. En Famille, on n’hésite pas à s’exprimer en termes moins religieux. Témoin cet extrait du New Hope News — le magazine mooniste de l’époque — qui rend compte du bilan d’une première tournée dans trente-deux villes : « Dans cette bataille de vie ou de mort, pour devenir ici en Amérique une organisation suffisamment puissante pour défendre notre nation contre le communisme, lors de la prochaine crise prévue pour 1977-1978, nous avons pris trois ans de retard par rapport à notre programme. Au cours des trois prochaines années, nous devons rassembler suffisamment de jeunes soldats pour défendre l’Amérique avec succès (et si nécessaire au sens propre du terme). » Disciples et dirigeants sont à ce point politisés que la perspective de prendre les armes contre les communistes ne choque ni n’effraie personne.

L’organisation mooniste tient cependant à polir son image religieuse. Pour de multiples raisons. D’abord, parce que l’idée de Dieu reste centrale dans l’idiosyncrasie américaine, et que, si elle fait effectivement de la politique, l’Église de l’Unification reste une organisation religieuse. Moon sait qu’il est porteur d’un nouveau fondamentalisme tout à fait adapté à l’âme américaine. Ensuite, plus pratiquement, parce que la législation américaine n’autorise pas les associations « exemptées d’impôts » telles que l’Église de l’Unification à prendre part au débat politique.

« Père » ne manque pas une occasion de le rappeler à ses enfants. En 1974, alors que ses troupes new-yorkaises s’apprêtent à aller manifester devant le siège des Nations unies contre un éventuel retrait des GI de Corée du Sud, il avertit les organisateurs : « Vous devez toujours vous souvenir que vous ne devez rien présenter en termes politiques ; vous devez dire : nous ne sommes pas concernés par la chose politique, nous n’agissons pas pour des raisons politiques mais pour des motifs purement humanitaires… »

« Père » se garde d’autant plus d’apparaître comme un leader engagé qu’il tente, en cette année 1974, de négocier avec le département de l’Immigration des visas longue durée pour les centaines de disciples qu’il a fait rentrer aux États-Unis comme touristes. Il sollicite des autorités que leur soit appliqué le statut de « stagiaire religieux ». C’est une question cruciale pour l’Église, car, privée de la masse de ses missionnaires étrangers, l’organisation n’aurait plus les moyens de poursuivre l’offensive tous azimuts qu’elle projette.

Sun Myung Moon ne le dissimule pas à ses partisans. Le 14 avril 1974, il leur confie ses craintes : « Si nous ne réussissons pas à régulariser la résidence de nos membres étrangers, notre mouvement subira un échec. Nous ne pouvons pas échouer sur ce point. Si nous échouons, c’est toute ma stratégie qui en pâtira… » Il dira quelques semaines plus tard : « Le bureau de l’Immigration prévoit de renvoyer les membres étrangers de l’Église. Il est très possible que les communistes soient derrière cette manœuvre…. »

« Père » ne gagnera pas la bataille de l’immigration. La situation des « frères étrangers » ne sera pas régularisée. Les autorités ne prendront cependant aucune mesure drastique pour les contraindre au départ. Thibault et Catherine resteront, par exemple, près de deux ans aux États-Unis avec un visa de touriste. Peu à peu, l’Église mettra au point un habile système de rotation entre l’Amérique, l’Europe et l’Asie, assurant en permanence à la Famille américaine un important volant de main-d’œuvre militante.

Elle aura de quoi s’employer.

Tout en proclamant très haut sa mission divine, Sun Myung Moon assigne en effet à ses partisans d’incessants travaux pratiques politiques.

Relations publiques  184

Dès son arrivée, en 1971, il s’attaque au Congrès. Une petite équipe de jeunes et gracieuses moonistes se voit confier l’agréable mission de charmer quelques législateurs conservateurs. On les voit quadriller les couloirs du Sénat et de la Chambre des représentants, proposer leurs services aux secrétariats des congressistes — certaines « sœurs » y trouvent parfois des emplois fixes —, gagner la sympathie des assistants, et, enfin, se lier d’amitié avec telle ou telle célébrité du Capitole.

Soumis à un constant « bombardement d’amour », nombre de législateurs n’osent alors refuser l’invitation qui leur est proposée : un bon repas au Washington Hilton dans l’intimité d’une suite luxueuse, en compagnie de quelques responsables du Mouvement. Si l’ambiance est toujours au beau fixe à l’heure du dessert, on leur offrira en prime un petit film résumant les ambitions de la Famille.

L’objectif de ce patient travail de lobbying est double : dissiper les préjugés défavorables à l’Église et négocier l’appui de ces puissants personnages à l’une ou l’autre des initiatives politiques du Mouvement. L’important est de pouvoir utiliser leur nom ou leur présence pour légitimer la croisade anticommuniste et procoréenne de Sun Myung Moon. On demandera ainsi à l’une des grandes figures conservatrices du Congrès — Richard Hanna — de prendre la parole, en 1971, lors de la première convention de l’association politique coréano-américaine (KAPA), autre machine de guerre mooniste destinée à rassembler les activistes anticommunistes des deux pays autour de la défense du gouvernement de Séoul. Ainsi voit-on les sénateurs Burdic et Young, du Dakota du Nord, ou l’ultra-conservateur Jesse Helms de la Caroline du Nord, adresser, parmi d’autres, des messages de félicitations et de bienvenue au « Nouveau Messie » lors de sa tournée du « Jour de l’espoir ».

De 1971 à 1976, l’équipe de relations publiques du « Père » gagnera la confiance de dizaines de congressistes. Elle réussira même quelques beaux coups. L’une des plus brillantes moonistes américaines, Susan Bergman, se fera engager à cette époque au secrétariat parlementaire de Carl Albert, le président de la Chambre des représentants. Elle le côtoiera pendant plusieurs mois ainsi que ses principaux assistants.
Avec elle, la reconnaissance de Moon par la classe politique américaine fera un grand bond.

Obsédée par son désir de contrôler le Congrès, la Famille tentera même sans succès d’y faire élire des personnalités liées à l’Église. En 1974, la Freedom Leadership Foundation — la section américaine de Victoire sur le communisme — s’engagera activement dans deux campagnes électorales : avec Louis Wyman pour un siège de sénateur dans le New Hampshire, et Charles Stephens, leader d’une organisation de jeunesse infiltrée par l’Église, candidat à la représentation dans l’État de New York.

À la même époque, l’Église monte une autre opération de relations publiques d’envergure aux Nations unies. Craignant que l’Assemblée générale ne vote lors de sa réunion de 1974 le retrait du contingent international — et donc des divisions américaines — de Corée du Sud, Moon jette ses enfants dans la bataille.

L’arme utilisée par les moonistes dans cette guerre de couloirs s’appelle le « Forum pour un nouveau monde », structure légère mise sur pied pour la circonstance, qui multiplie les contacts, les séminaires et les invitations. La menace d’un vote défavorable à Séoul se représentant chaque année lors de la réunion de l’Assemblée générale, l’Église maintient son effort pendant plus de cinq ans: des dizaines d’ambassadeurs et de chefs de délégation sont invités et somptueusement reçus au Belvedere, la résidence de Moon, par les principaux dignitaires de l’Église; jusqu’à trente moonies et moonettes sont en permanence mobilisés pour cette seule opération…

Pour sensibiliser les Nations unies à la cause sud-coréenne, « Père » ira jusqu’à organiser, en pleine session de l’Assemblée générale d’octobre 1974, un jeûne public de sept jours face au bâtiment de l’organisation internationale. Six cents « frères et sœurs » du monde entier y participeront.

L’énergie dépensée dans cette opération prouve bien qu’au milieu des années soixante-dix Moon n’a toujours pas renoncé à ses ambitions coréennes. Ken Sudo, le minuscule révérend japonais qui impose un rythme infernal à l’Église de Chicago, le dit lui-même en 1975 à un groupe de cadres réunis pour un « séminaire théologique» de cent vingt jours : « Grâce aux actions des membres de l’Église de l’Unification, la Corée du Nord a été défaite. Les Nations unies ont décidé de rester en Corée du Sud. “Père”’ était très heureux de cette victoire. Car, à sa suite, la dette du gouvernement coréen vis-à-vis de l’Église de l’Unification s’est accrue… »

La direction de la CIA coréenne fera d’ailleurs savoir à l’ambassadeur de Séoul aux Nations unies, lui-même très réservé sur les techniques de relations publiques utilisées par les moonistes au « Palais de verre», que le « Nouveau Messie » est un élément très positif dans les relations américano-coréennes.

Sauver Nixon  187

« Père » n’a cependant pas battu le rappel de la Famille européenne et japonaise pour lancer ses disciples dans des initiatives aussi modestes que le lobbying aux Nations unies ou au Capitole. Il a des projets plus spectaculaires.

La tournée du « Jour de l’espoir » en fait partie. Mais ce marathon n’est rien en regard de l’opération que concocte le prophète à l’automne 1973 : il s’agit ni plus ni moins que de profiter du scandale du Watergate pour devenir un personnage central de la politique américaine. Dès novembre 1973, Moon et son Église prennent fait et cause pour le président Nixon.

Ils poursuivent deux objectifs : tenter de maintenir au pouvoir le seul homme qui, à leurs yeux, en pleine débâcle viêtnamienne, puisse tenir tête à l’Union soviétique. Mais, surtout, prouver aux conservateurs américains, et au président en particulier, que la Famille et l’Unificationnisme constituent le meilleur rempart contre les communistes et — c’est l’expression consacrée — « leurs alliés libéraux ».

Le premier président de la Freedom Leadership Foundation, Allen Tate Wood, intime de Moon entre 1969 et 1971, mais devenu depuis l’un de ses adversaires les plus farouches, a très cyniquement décrit la méthode utilisée à l’époque par les moonistes pour tenter de contrôler le pouvoir politique : « Vous vous rendez disponible pour servir un homme, et vous le servez par tous les moyens. Vous obéissez à ses ordres et appliquez ses directives jusqu’à ce qu’il ait en vous une confiance absolue… Finalement, quand vos services sont devenus indispensables, vous pouvez commencer à lui dicter votre politique. S’il s’en écarte, vous lui retirez votre soutien et il se retrouve alors sans pouvoir. Aussi n’a-t-il pas d’autre choix que de vous suivre… » En ferraillant au premier rang des défenseurs de Richard Nixon, Moon espère bien gagner ses galons de général de la droite américaine.

Le grand public découvre ce nouveau croisé de la « Grande Amérique » peu de temps après que le Washington Post a décoché ses premières flèches contre le président. Le 30 novembre 1973, trois des plus grands journaux du pays publient, pleine page, le portrait massif et volontaire du messie souligné, en caractères gras, d’une proclamation solennelle : « L’Amérique est en crise. La réponse au Watergate : oublier, aimer, s’unir. » Au cours des mois suivants, cinquante quotidiens reproduiront cet encart publicitaire.

Chaque commandement régional de l’Église reçoit alors l’ordre d’inonder la Maison-Blanche et les rédactions du Washington Post et du New York Times de télégrammes de soutien à la déclaration du « Père» sur Watergate. Parallèlement, dans tout le pays, les membres de l’Église célèbrent des journées publiques de prière et de jeûne, pour le salut du président menacé.

Richard Nixon réagit vite et très favorablement. Le 11 décembre 1973, Sun Myung Moon reçoit une lettre qui l’incite à persévérer : le président lui-même le remercie pour les efforts déployés. Trois jours plus tard, la Maison-Blanche convie les militants moonistes du Comité national de prière et de jeûne à participer à une cérémonie très symbolique : l’inauguration de l’arbre de Noël national dans les jardins de la Présidence.
Douze cents « frères et sœurs» surexcités transforment l’événement — habituellement empreint d’une certaine solennité religieuse — en un meeting de soutien au président.

Richard Nixon, rapporte son entourage, n’apprécie pas. Les moonistes en font trop ! Mais quand, quelques heures plus tard, ils s’installent face aux grilles de la Maison-Blanche pour une veillée de prières aux chandelles, le président félicite personnellement Neil Salonen, le principal responsable américain de l’Église à cette époque.

Anecdote qui illustre à merveille l’ambiguïté fondamentale des rapports que Moon commence à établir avec la droite américaine. Le « Nouveau Messie » dérange, irrite le monde politique washingtonien. Mais il a le don de convaincre qu’il peut être utile. Les plus conservateurs de ses soutiens, recrutés dans la white-anglo-saxon-protestant society, n’ont sans doute pas de sympathie ni d’estime particulière pour cet illuminé du tiers monde — ce charlatan « chinois » pensent certains — qui se croit investi de la mission de sauver l’Amérique. Un homme comme Jesse Helms, par exemple, ne le porte sans doute pas dans son cœur. Il se retrouvera cependant très souvent à ses côtés.

Moon, en retour, est lui aussi prêt à mettre de l’eau dans son vin quand l’intérêt de la Famille le commande. Le soutien à Richard Nixon le prouve. Comme ses alliés de la tendance dure du mouvement conservateur, « Père » a condamné le voyage du président en Chine populaire en 1972. La Freedom Leadership Foundation est même descendue dans la rue pour le dire.

Sur les marches du Capitole  189

À l’aube de 1974, l’enjeu mérite quelques concessions idéologiques. Car sauver la tête de Nixon, c’est assurer l’accès de l’Église au pouvoir. Rien ne sera donc épargné pour que l’opinion publique sache quel rôle joue l’Église dans la défense du président.

Premier impératif: Richard Nixon doit recevoir officiellement Sun Myung Moon. « Père » obtiendra son audience sans trop de mal. Il a fait savoir que ses partisans manifestent aussi à Tokyo, en Angleterre, en Allemagne et en Italie… Et Bruce Herschensohn, l’assistant chargé des discours du président, qui sympathise avec les moonistes depuis le début de l’opération, s’est chargé de convaincre son patron.
Remarquons au passage que Herschensohn, Neil Salonen et Dan Fefferman — les deux jeunes dirigeants de la Freedom Leadership Foundation — communient dans le même credo anticommuniste et fréquentent les mêmes cercles activistes : l’assistant du président sera l’un des principaux orateurs de la VIIe conférence de la Ligue anticommuniste mondiale, réunie à Washington en avril de cette même année 1974, où les moonistes sont comme à l’habitude représentés par les Japonais de Victoire sur le communisme, les Américains de FLF et, exceptionnellement, Paul Werner, le leader de l’Église allemande, pour le compte d’une énième filiale du Mouvement, la Fédération pour la paix mondiale. Le représentant de Richard Nixon y écoutera, sans broncher, d’acerbes critiques de la politique de détente menée par la Maison-Blanche en direction de la Chine populaire et de l’Union soviétique…

Herschensohn obtient donc du président qu’il reçoive Sun Myung Moon le 1er février 1974. Une date qui s’inscrira bientôt en lettres d’or dans les annales officielles du Mouvement. « Père » s’entretient et prie avec Richard Nixon.
Les photographes immortalisent cette rencontre historique.
L’Église se chargera de faire connaître ce cliché aux quatre coins de la planète.

Cinq mois plus tard, alors que l’étau se resserre autour du bureau ovale, l’Église mobilise ses troupes pour une opération encore plus spectaculaire.

Le 22 juillet, six cents moonistes prennent possession des marches du Capitole pour trois jours de prière et de jeûne. Moon a décidé de faire publiquement et directement pression sur les sénateurs et les représentants pour éviter l’issue fatale, l’impeachment du président.

L’ambiance est électrique : on chante la gloire de Dieu et de l’Amérique, on agite d’immenses bannières étoilées, on brandit des pancartes aux slogans inspirés : « Laissez Dieu parler. » — « Nous avons foi dans notre Congrès ! » — « Dieu bénisse l’Amérique et notre président Richard Nixon ! » À l’entrée Est de la célèbre coupole, les manifestants ont déployé une immense banderole, visible de très loin, qui identifie leur organisation : Comité national de prière et de jeûne.

Chaque participant, transformé en homme- ou en femme-sandwich arbore sur la poitrine le portrait du congressiste pour lequel il est censé prier. La répartition des posters n’a pas été laissée au hasard : Neil Salonen, le président de l’Église américaine, et son épouse prient bien entendu pour Richard Nixon et sa femme ; Joseph Sheftick, le « patron » pour Washington et sa région, a pris la lourde responsabilité d’intercéder en faveur de Gerald Ford…

À l’intérieur du Capitole, les « petites-sœurs » du « Public Relations Team » déploient des trésors de charme et de conviction pour amener leurs amis congressistes à sortir et à prendre la parole devant les manifestants. En trois jours, soixante-seize représentants et cinq sénateurs s’adressent à l’auditoire survolté. Charles Percy, de l’Illinois, déchaîne les hourras quand il affirme : « Au Sénat et à la Chambre, nous attachons une très grande importance à la prière… La prière est plus forte que l’épée. »

Cet extraordinaire show politico-religieux, en plein dénouement du scandale du Watergate, fait bien entendu la une de nombreux journaux et rameute les télévisions nationales et locales. Le grand quotidien conservateur de la capitale, le Washington Star, présente l’événement sur quatre colonnes, et la célèbre Barbara Walters invite Neil Salonen à son « Today Show » sur NBC TV.

Ménageant ses effets, Sun Myung Moon apparaît le troisième jour en compagnie de son épouse. C’est l’apothéose. Devant plusieurs caméras de télévision, Bruce Herschensohn, spécialement venu de la Maison-Blanche, lui remet un télégramme de remerciements signé du président. « … Je sais, dit Richard Nixon, que nous pouvons compter sur vous et sur votre groupe… » La suite n’a pas d’importance. Plus électrisé que jamais, Neil Salonen lève les bras au ciel et rend grâce au Seigneur.

Jusqu’à l’investiture de Ronald Reagan, le « Nouveau Messie » ne connaîtra pas de moment plus faste…

Il ne durera pas. Les lampions de la fête s’éteindront vite. Malgré une dernière offensive du lobby mooniste au Congrès, Richard Nixon devra partir.

Transformer New York en royaume céleste  192

L’échec ne sera pas aussi cruel qu’on pourrait le croire. Aux séminaristes qu’il reçoit au Belvedere peu de temps après la démission du trente-septième président des États-Unis, Sun Myung Moon tient un langage d’espoir : « Ce que nous avons accompli sera retenu par l’histoire d’Amérique et connu dans le monde entier et l’on saura bientôt que notre idéologie peut sauver le monde. […] Notre amour va à la Présidence, pas à tel ou tel président, et notre décision d’aider cette nation ne changera pas. Ainsi nous soutiendrons le président Ford et nous l’aiderons à faire des choses justes. » En fait, le prophète sait qu’il va toucher encore longtemps les dividendes de sa campagne au Capitole.

Il en a la confirmation très vite. Deux mois après la chute de Richard Nixon, il décide de s’adresser directement aux législateurs et à leurs assistants pour leur exposer la conception qu’il se fait du rôle de l’Amérique dans la Providence de Dieu.

Pour appuyer cette initiative, il obtient le soutien officiel de douze représentants et d’un sénateur qui adressent à leurs collègues une lettre apologétique les pressant d’assister à la conférence : « Les États-Unis ont aujourd’hui besoin d’un fort leadership moral. Les grandes valeurs morales et spirituelles sur lesquelles cette nation a été fondée doivent renaître à tous les niveaux de la société américaine… Beaucoup d’entre nous ont été très impressionnés par le travail du révérend Moon. Nous nous souvenons des trois jours de prière et de jeûne conduits par ses partisans sur les marches du Capitole, il y a un mois. […] Nous avons aujourd’hui, ici au Congrès, la chance de pouvoir écouter le message de cet homme dynamique. »

Parmi les signataires se sont glissés quelques personnages clefs de la vie politique américaine : Robert H. Michel, de l’Illinois, l’actuel leader de la minorité républicaine à la Chambre ; Manuel Lujan, dirigeant du mouvement hispano, ou Barber B. Conable, le très précieux responsable d’une commission parlementaire redoutée, celle des « Voies et Moyens », qui a la haute main sur la législation fiscale…

À des degrés divers, ces hommes et leurs cosignataires, démocrates comme républicains, participeront quelques années plus tard à la renaissance de la « majorité morale » qui propulsera Ronald Reagan vers les sommets.

Moon, à sa manière, sera de tous leurs combats.

On verra ses disciples descendre dans la rue, avec d’autres organisations conservatrices, pour pleurer la chute de Saigon, relever la tête et crier leur foi dans une Amérique dominatrice lors des cérémonies du Bicentenaire, lutter pied à pied contre Satan-Carter pendant les années noires du repli, ouvrir les colonnes du Rising Tide — « la Marée montante » —, le journal de la Freedom Leadership Foundation, puis celles du News World, le premier quotidien mooniste de New York, aux grandes signatures de la nouvelle droite reaganienne.

Pour l’heure, sur la lancée du Watergate, il termine en beauté la tournée du « Jour de l’espoir » au Madison Square Garden, le 18 septembre 1974, où il rassemble 20 000 personnes. La veille, ne lésinant pas sur la dépense, il a invité 1 600 convives à un dîner de gala dans les salons du « mondialement célèbre Waldorf Astoria ». L’expression est tirée d’un journal interne du Mouvement.

Avant de s’adresser aux politiques, aux diplomates et aux universitaires attablés dans la grande salle de bal de ce monument de l’establishment américain, « Père » s’est longuement entretenu avec les journalistes de CBS et du New York Times… Le lendemain, télévisions et photographes se presseront au meeting.

L’événement, il est vrai, pouvait difficilement passer inaperçu : les murs et les palissades de Manhattan ont été tapissés de 80 000 affiches à l’effigie du révérend. De mémoire de politicien new-yorkais, on n’avait jamais vu une telle campagne d’affichage. Même pour une présidentielle.

Jour et nuit, si l’on en croit le New Hope News, les « victorieux poster teams» ont transformé New York en « royaume céleste », recouvrant sans cesse jusqu’à l’heure du meeting les affiches déchirées ou masquées par des candidats alors en campagne ou par les adversaires du « Père ». Faisant d’une pierre deux coups, le responsable mooniste de la propagande en profitera pour « glaner de précieuses informations sur l’activité communiste dans la ville » en repérant les quartiers où apparaissent le plus souvent, sur les posters de « Père », des inscriptions hérétiques comme « cochon fasciste» ou « suppôt du dictateur Park »…

« Frères et sœurs » étrangers prennent une part essentielle à la préparation du meeting. Sans eux, il n’eût pas connu le même succès. Monique, notre infirmière bretonne, vit là une aventure inoubliable. Voulant communiquer son enthousiasme à ses parents, elle leur envoie les photos de la campagne new-yorkaise, du meeting et du banquet tirées du New Hope News et annotées de sa main. Touchant.

Sur la photo du Madison Square Garden, plein comme un œuf, elle a marqué sa place d’une croix, juste derrière « Père » et « Monsieur Bo Hi Pak, le traducteur ». Parmi les convives du Waldorf Astoria, elle a désigné d’une flèche les parents « positifs » d’un mooniste français… Elle leur a même adressé le menu…

Touchant, mais révélateur. Car nombre de clichés attestent de la présence massive des non-Américains au premier rang de cette croisade pour le salut de l’Amérique. C’est une « sœur » allemande qui prend la parole, la veille du meeting, au rallye préparatoire organisé à Wall Street, autour de la statue de George Washington. À ses pieds, deux « frères » ont déroulé une banderole : « Dieu a choisi un homme pour parler à l’Amérique : le révérend Sun Myung Moon. » À ces côtés, à la tribune de ce théâtre improvisé, Monique désigne d’une flèche une « sœur » française.

C’est un autre Allemand, le tout jeune Ulrich Truente, qui apparaît, prêchant dans la rue sur fond de panneaux annonçant le rendez-vous du Madison Square Garden… C’est un « frère » japonais qui, à quelques mètres de là, distribue les tracts… Enfin, sur la photo où posent fièrement les tout jeunes colleurs d’affiches, perdue entre les Japonais et les Allemands, Monique repère d’un trait son copain Lionel « du centre de Rennes ».

Qu’ils sont loin, les petits Français jetés dans cette implacable lutte pour le pouvoir, du jour où, sur un trottoir de province, un jeune garçon bien mis leur a pour la première fois parlé d’amour et de paix…

Réveiller l’Amérique !  195

Leur engagement politique ne fera que croître.

Plus que la droite américaine encore, Moon ressent la défaite viêtnamienne comme une tragédie. Prise entre la Chine et l’Indochine contrôlées par Satan, quel avenir attend la Corée ? Qu’adviendra-t-il des propriétés de l’Église et du groupe industriel ? Stopper l’avancée de la révolution en Asie devient une question de vie ou de mort pour la Famille.

« Père » le ressent d’autant plus fortement qu’à l’heure où les Nord-Viêtnamiens et le FNL foncent sur Saigon, il est en Corée pour une longue tournée du « Jour de l’espoir », avec la fine fleur de ses missionnaires internationaux, dont une partie des Européens employés aux États-Unis.

Sa réaction sera vive. Deux mois plus tard, lors du meeting millionnaire de Yoïdo, il fera promettre à la foule, on s’en souvient, de combattre, les armes à la main s’il le faut, pour défendre le pays en cas de guerre contre le Nord.

Mais, avant même que les Viêtnamiens ne consolident leur victoire, Moon ordonne à l’Église américaine d’agir. Pourquoi ? Neil Salonen apporte la réponse lors d’une réunion de son état-major à la mi-avril 1975 : « L’incroyable tragédie dont nous sommes témoins est un exemple dramatique de l’effondrement de la volonté de l’Amérique de remplir sa mission. Une nation qui a symbolisé l’espoir de liberté à travers le monde en est à se demander si elle a encore un rôle international à jouer. La leçon fondamentale de ce qui se passe au Viêtnam est la suivante : nous ne pouvons plus compter sur les États-Unis ; la responsabilité et l’engagement des États-Unis ne signifient plus rien… »

Il faut donc « réveiller » l’Amérique, faire pression sur elle pour lui redonner l’envie de se battre. L’Église de l’Unification doit prendre le relais d’un gouvernement défaillant et affirmer très haut, plus qu’elle ne l’a fait jusqu’ici, que « LE problème du monde, c’est le communisme » « Nous devons enseigner au peuple américain, ajoute Salonen, que la raison d’être de l’Amérique, c’est d’affronter le monde communiste et de le vaincre… » Peu de gens tiennent ce langage à Washington en ce mois d’avril 1975. Prenant à rebrousse-poil une opinion publique qui rêve de paix et de repli, la Famille va descendre dans la rue, pour la première fois sur des mots d’ordre aussi clairs.

Le 10 avril, la Freedom Leadership Foundation rameute une dizaine de groupes ultra-conservateurs, dont la Fédération nationale des jeunes républicains et l’American Legion, et organise une marche de l’ambassade du Sud-Viêtnam à la Maison-Blanche et au Capitole. Neil Salonen, le président de l’Église américaine, en prend la tête sous une immense banderole qui, pour une fois, évoque sans détour la préoccupation centrale de la Famille : « Amérique, réveille-toi, le communisme en lui-même est mauvais ! »

La foule, en majorité mooniste, agite des pancartes et crie des slogans extraordinairement profanes: « Qui a trahi le Viêtnam ? » — « Les grandes nations ne trahissent pas leurs promesses ! » — « À quoi sert l’Amérique? » — « Russie, Chine, Europe de l’Est, Asie du Sud-Est… À qui le tour ? » Sur les marches du Capitole, les petits soldats de Moon retrouvent, moins d’un an après le jeûne pour Nixon, le noyau dur de la droite parlementaire. Plusieurs heures durant, c’est un défilé ininterrompu de personnalités qui viennent remercier les manifestants de leur initiative : les sénateurs Thurmond, Bartlett, Nunn et Clausen ; les représentant Symms, Hansen, Bauman… Le gratin du conservatisme sudiste et mormon. Tous contribueront dans les années quatre-vingt à légitimer le Mouvement mooniste au sein de la majorité reaganienne.

Les « frères et sœurs» qui portent les pancartes — un millier environ — ne se doutent pas que la Famille confirme là un tournant majeur : pour sauver la Corée et préserver l’avenir de son rêve de théocratie mondiale, Sun Myung Moon doit faire porter tous ses efforts sur les États-Unis ; il lui semble donc essentiel qu’un président conquérant arrive à la Maison-Blanche, et que lui, Moon, apparaisse à ses yeux comme le plus efficace des leaders anticommunistes.


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14. La « marée montante » du reaganisme

En politique, « Père » manie le symbole avec une légèreté toute manichéenne. Le bicentenaire des États-Unis lui donne l’occasion d’en apporter une nouvelle fois la preuve. L’Église ne peut laisser passer cet événement sans se manifester de façon spectaculaire.

Comme un écho aux fastueuses festivités offertes par la Maison-Blanche au peuple américain et aux puissants venus du monde entier, le nom de Sun Myung Moon résonnera donc tout l’été 1976, de New York à Washington. « Père » aura, lui aussi, ses cérémonies du Bicentenaire. Pour organiser un premier meeting au Yankee Stadium puis un rassemblement monstre dans la capitale, le prophète va, à nouveau, mobiliser le ban et l’arrière-ban de ses contingents internationaux.

« America is beautiful ! »  198

Après Thibault, Monique, Lionel et tant d’autres, c’est au tour de Loïc de répondre à l’appel. De Luxembourg, il écrit à sa famille le 6 mai 1976 : « Le révérend Sun Myung Moon parlera très bientôt aux États-Unis à l’occasion du Bicentenaire… Comme Luxembourg est plus proche de moi que Paris, je m’y rends pour prendre un avion vers New York… » Difficile d’avouer à des parents « négatifs» que l’AUCM fait voyager ses missionnaires de base sur des vols charter ou à bon marché alors que les dignitaires de l’Église ont droit à la première ou à la business class…

Le 10 mai, il donne ses premières impressions de New York: « La Famille américaine prépare un festival. Nous sommes ici 1 500 actuellement. La situation de l’Unification Church n’est pas du tout la même ici qu’en France. En gros, la moitié des gens nous connaît. De cette moitié, à peu près la moitié nous aime bien…. Même s’ils n’aiment pas
M. Moon, ils sont forcés de nous voir, parce que nous existons en chair et en os. Et ils sont forcés d’admettre : Vous êtes en bonne santé, vous souriez toujours, vous êtes propres…” »

« Vous êtes propres ! » Cela n’est pas une image. La tenue des équipes de propagandistes que l’Église lance dans Manhattan pour appeler au meeting du Yankee Stadium, le plus grand stade de New York, évoque irrésistiblement la divine pureté de l’Amérique renaissante. Sanglés dans leurs combinaisons blanches, le cheveu taillé court, brandissant d’immenses drapeaux américains, ils proposent au public new-yorkais, ébahi, une image de la jeunesse radicalement différente de celle qui manifestait, il y a peu, contre la guerre au Viêtnam. Pour ceux qui n’auraient pas compris ce symbolisme limpide, les jeunes gens portent au dos de leur combinaison un slogan radieux : « America is beautiful. »

C’est le nom que Moon a donné à une campagne très originale qui s’achèvera le jour du rassemblement : pendant un mois, entre marches, rallyes et distribution de tracts, on verra nos 1 500 jeunes moonistes, armés de pelles et de balais, s’attaquer à la crasse de New York… Explication donnée par les brochures officielles du comité mooniste pour le Bicentenaire : « Le but de ce programme était de créer un environnement propre et beau que l’esprit de Dieu puisse animer… »

« Père » le proclame bien avant la future majorité morale : une Amérique forte est une Amérique propre !

Le meeting du 1er juin au Yankee Stadium et le rassemblement du 18 septembre à Washington sont des dates cruciales pour Sun Myung Moon. Il a déjà convaincu les milieux conservateurs de son orthodoxie politique, de sa détermination, des capacités militantes et financières de son organisation. Il lui reste à prouver qu’il est, en puissance, un leader populaire.

Pour rassembler les dizaines de milliers de personnes qui lui conféreront cette légitimité — environ 40 000 au Yankee Stadium et 200 000 au Washington Monument —, tout sera mis en œuvre : le programme des manifestations sera intelligemment bâti autour de la présentation de deux troupes internationales de la Famille, le Korean Folk Ballet et les New Hope Singers ; des transports gratuits seront mis à la disposition des habitants des banlieues populaires, noires en particulier, où l’Église développe des programmes sociaux pour attirer des disciples ; enfin, pour lancer des dizaines de milliers d’invitations par la poste, le Mouvement aura recours, pour la première fois aussi massivement, aux modernes techniques du mailing.

Le seul meeting du Yankee Stadium coûtera environ un million de dollars…

Le rallye du Washington Monument constituera un véritable événement dans cette froide capitale américaine peu coutumière des grandes manifestations de masse. Les chauffeurs de taxi se souviennent encore des embouteillages causés par le rassemblement. Sun Myung Moon y prononcera son discours public le plus politique depuis son arrivée aux États-Unis cinq ans plus tôt.

Devant un parterre cravaté à perte de vue et frémissant de milliers de drapeaux, « Père » lancera des paroles prophétiques pour qui veut bien les comparer à de récentes allocutions de Ronald Reagan. En substance : la mission de l’Amérique n’est pas seulement de se sauver elle-même, mais aussi d’accepter la responsabilité de sauver le monde.

Il ira jusqu’à proposer la constitution d’un nouvel axe mondial pour assurer la suprématie de Dieu sur terre : « Le judaïsme fut la première religion centrale de Dieu, et le christianisme la seconde. L’Église de l’Unification est la troisième religion, venue avec la nouvelle révélation qui marquera le chapitre final de la Providence de Dieu… Ces trois religions sont naturellement comme trois frères dans la Providence de Dieu. Par conséquent, Israël, les États-Unis et la Corée, où ces trois religions trouvent leurs origines, doivent également être comme des frères… »

La prophétie mooniste se réalisera six ans plus tard en Amérique centrale où les « trois frères » uniront discrètement leurs efforts pour bâtir une guérilla antisandiniste solide et bien armée.

Ariel Sharon et le Mossad fourniront des Kalachnikov prises aux Palestiniens à Beyrouth en 1982. La Corée, par des intermédiaires très divers, ravitaillera la Contra en munitions.
Un journaliste américain accompagnant les commandos antisandinistes au combat affirmera les avoir vu utiliser des obus de mortier fabriqués en Corée. La CIA et les groupes privés conservateurs américains maintiendront à bout de bras cette petite armée qui, en 1985, comptait environ 15 000 hommes. La Famille participera elle aussi directement au soutien des « Combattants de la liberté » (cf. chapitre 16 à 18).

La « Marée montante »  201

La Freedom Leadership Foundation s’est dotée très tôt d’un journal — le Rising Tide, la « Marée montante » —, publié deux fois par semaine à Washington, dès le début des années soixante-dix. C’est un organe d’informations politiques et de commentaires qui proclame très haut son orientation ultra-conservatrice. Neil Salonen, le président de l’Église américaine, en est le directeur.

Dès sa naissance, le Rising Tide donne la parole à la myriade d’organisations qui compose la nébuleuse de la droite extrême. Le Rising Tide est sans doute à cette époque le seul journal américain à couvrir régulièrement les activités des organisations membres de la Ligue anticommuniste mondiale… Il n’a pas été établi à Washington par hasard. Depuis que le mouvement conservateur a pris conscience de son existence à l’occasion de la campagne de Barry Goldwater, il rêve d’un grand quotidien « rouge, blanc, bleu », capable de combattre l’influence du libéral Washington Post au sein de la classe politique américaine.

Malheureusement, le lancement d’un nouveau titre coûte cher et les habituels financiers de la cause conservatrice, qui sont avant tout des hommes d’affaires, préfèrent investir dans les campagnes électorales ou faire des dons — exonérés d’impôts — aux fondations et « boîtes à penser »…

Voilà pourquoi l’initiative mooniste est très bien accueillie par des hommes comme Barry Goldwater. « Je vous complimente, écrit-il au journal, pour le travail du Rising Tide.
La sauvegarde de la liberté est bien entendu un noble objectif que l’on évoque souvent. […] Mais trop de gens ne font que cela, en parler. […] Vous, à la Freedom Leadership Foundation, à travers le Tide, y travaillez jour après jour. » Pour saisir l’importance de cet hommage, il faut savoir que l’ancien candidat à la présidence jouera au sein de la droite américaine, jusqu’à l’élection de Ronald Reagan, un rôle équivalent à celui de Mendès France sur la scène du socialisme français avant l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand.

Pendant les longues années du « repli », sous les présidences de Ford et de Carter, le Rising Tide deviendra donc, tout naturellement, la tribune privilégiée de quelques grandes signatures ultra-conservatrices. Les passer en revue, c’est comprendre aussitôt l’étendue des relations de Sun Myung Moon, dès cette époque. Voici quelques exemples de collaborations célèbres.

Larry MacDonald, qui signe quatre éditoriaux dans le Tide, entre 1975 et 1978, anime alors la John Birch Society, association d’extrême droite, plus modérée et plus politique que le Klu Klux Klan, mais idéologiquement proche de cette organisation terroriste et raciste. Dans les années soixante, la John Birch a disposé, elle aussi, d’une structure paramilitaire.

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MacDonald lui donnera une image plus convenable. Plus viscéralement anticommuniste que « Père » lui-même, représentant démocrate de Georgie, il mourra dans le Boeing de la KAL abattu par les Soviétiques en 1983. L’URSS, bien malgré elle, en fera un héros national et sa femme Kathryn collaborera dès lors avec CAUSA et d’autres organisations moonistes.

Fred et Phyllis Schlaffly, les deux principaux dirigeants de l’American Council for World Freedom. Fred a présidé la Conférence de la WACL (Ligue anticommuniste mondiale) de Washington en 1974. Invité d’honneur : Anastasio Somoza, président-dictateur du Nicaragua.

Reed Irvine, l’un des principaux éditorialistes non moonistes du Rising Tide, est un inlassable pourfendeur de la presse américaine, jugée de gauche dans son ensemble. Il préside depuis 1971 une véritable machine de guerre idéologique baptisée Accuracy in Media (AIM) — « Vérité dans les médias» — qui, par voie d’articles dans les journaux conservateurs, de publicité dans les grands quotidiens ou de « révélations » fournies aux confrères, tente de convaincre l’opinion publique — jusqu’aujourd’hui réfractaire — de l’existence d’un complot moscovite dans les médias américains. De Walter Cronkite, le célèbre présentateur de CBS — suspecté d’avoir été recruté par le KGB lors de son passage à Moscou comme correspondant — à Ray Bonner, grand reporter au New York Times, accusé de « colporter la propagande de la guérilla » salvadorienne, peu de grands professionnels non conservateurs échapperont aux coups de griffes d’Irvine et de ses amis. Dans cette bataille pour la vérité de l’information, il sera de plus en plus difficile de faire la différence entre les méthodes utilisées par Irvine et celles qu’il dénonce globalement sous le terme — devenu célèbre depuis — de désinformation.

Derrière AIM se profilent de notoires financiers conservateurs, les multimillionnaires américains Richard Mellon-Scaife et Joseph Coors, ou le Britannique James Michael Goldsmith, patron du magazine français L’Express, et des personnalités politiques de premier plan1. Moon tirera avantageusement parti de ces amitiés nouées aux heures difficiles de l’opposition à Jimmy Carter. Quatre membres éminents du conseil d’administration de AIM trouveront très naturellement leur place, quelques années plus tard, au sein du conseil éditorial du Washington Times, le grand journal mooniste fondé dans la capitale en 1982 (cf. chapitre 19).

Leur ralliement au quotidien de Bo Hi Pak donnera à l’aventure mooniste une crédibilité inespérée. Retenons deux noms : William Simon, ancien ministre des Finances de Nixon et de Ford. Il « pèse » vingt millions de dollars. Claire Boothe Luce, ancienne ambassadrice au Vatican, « duchesse » de la droite américaine bien avant Jeane Kirkpatrick, consultante de Johnson, Nixon, Ford et Reagan en matière de sécurité et de renseignement.

La liste des contributions éditoriales au Rising Tide donne le tournis. Pas une tendance, pas une organisation du noyau dur de la future majorité reaganienne qui n’y ait collaboré.
Cette liste prouve notamment que, bien avant l’élection de Ronald Reagan, la Famille s’est fait de nombreux amis au sein des grandes « boîtes à penser » qui forgent, en ordre dispersé, les grands principes de la future doctrine présidentielle.

Le général Daniel O. Graham, par exemple, de l’American Security Council, l’institut qui a planché sur le programme de défense de Goldwater. L’ASC, qui prône la recherche de « la paix à travers la force » enfantera, après 1980, le lobby qui défendra le plus activement la « guerre des étoiles » aux États-Unis : High Frontier. Daniel O. Graham restera fidèle à ses sympathies moonistes ; il siégera plus tard au conseil d’experts de CAUSA-États-Unis, l’organisation qui prendra la relève de la Freedom Leadership Foundation.
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1. Voir Covert Action Information Bulletin, n° 21, Washington. Ce petit magazine d’inspiration marxiste s’est spécialisé dans la couverture des activités de la CIA et du mouvement conservateur américain. Malgré son engagement politique évident, il fait autorité dans ce domaine. Il consacre, dans son numéro 21, plusieurs pages à AIM et apporte la liste de ses principaux financiers.

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Autre collaborateur occasionnel du Rising Tide, Ray Cline, animateur du Center for Strategic and International Studies. Cet ancien historien de Harvard est un personnage clé du renseignement américain depuis la Seconde Guerre mondiale, directeur adjoint de la CIA puis patron des renseignements du ministère des Affaires étrangères. Pierre Abramovici, l’un des meilleurs spécialistes français de la droite américaine, voit en lui l’inventeur, le père spirituel de la WACL, la Ligue anticommuniste mondiale… Le CSIS remettra un énorme rapport de synthèse sur les relations Est-Ouest au nouveau président Reagan à son entrée à la Maison-Blanche.

Le Rising Tide se convertit donc, au long des années soixante-dix, en lieu de rendez-vous pour la droite extrême, privée d’un grand journal dans la capitale. Il donne surtout à Sun Myung Moon un avant-goût de la formidable influence que lui conférerait la propriété d’un grand groupe de presse.

Un « vrai » journal pour la Famille  205

Sept mois après son arrivée aux États-Unis, Loïc est en Californie où il prospecte les campus universitaires — Berkeley en particulier — sous la responsabilité de Reiner Vincenz, le nouveau commandant de la région I, qui prend la place pour quelque temps de son compatriote Paul Werner appelé à d’autres fonctions.

Le jeune Français profite d’un passage au quartier général de Los Angeles, le 13 janvier 1977, pour adresser une longue lettre à ses proches. Il les tient régulièrement au courant des progrès du Mouvement aux États-Unis et dans le monde, et ne rate jamais l’occasion de leur rappeler, sur un ton quelque peu revanchard, qu’il ne les a pas quittés pour une petite secte minable, mais pour une organisation puissante qui un jour dominera l’univers : « À New York, l’Unification Church vient de démarrer un quotidien. Les débuts seront difficiles. La jalousie du New York Times est terrible. Mais j’ai bon espoir que le News World percera un jour. »

Le premier « vrai » journal mooniste est né le 31 décembre 1976 dans un immeuble de style ancien du bas de la cinquième avenue de Manhattan. Derrière sa façade de marbre et de granit, il abritait autrefois la célèbre bijouterie Tiffany. C’est, après l’hôtel New Yorker, le deuxième immeuble de prix acquis par la Famille au cœur de la zone foncière la plus chère du monde.

Le New York Times n’en sera jamais « jaloux », car le tirage du News World n’en fera jamais un concurrent sérieux. En revanche, l’hostilité du nouveau venu pour le grand journal new-yorkais ne se démentira jamais. Le numéro du Rising Tide qui suit la première parution du News World expose clairement les raisons de cette vindicte : « Une récente enquête de l’université de Harvard sur les rédacteurs en chef et les reporters du New York Times, du Washington Post et des trois principales chaînes de télévision montre que 64 % des sondés ont voté pour George MacGovern en 1972. Cela veut dire qu’à travers ces médias le public n’a que très rarement accès à une parcelle de vérité sur le communisme, la course aux armements en Union soviétique, la stratégie et la tactique des partis communistes et de leurs organisations paravents, ou la vie de souffrance et d’oppression dans les pays communistes. »

« Pour que l’Amérique survive et progresse, chaque citoyen doit avoir accès aux faits et à l’information nécessaire à l’éclairage de ses décisions. » News World se veut la voix alternative et clairement conservatrice de la plus grande ville des États-Unis. Cette redoutable ambition coûte cher. Aussi des dizaines de missionnaires sont-ils rappelés à New York pour lancer une grande collecte de fonds destinée à soutenir le journal.

Loïc fait partie du lot. En novembre 1977, il écrit : « J’ai voyagé dans la banlieue de New York les mois derniers pour le journal News World. J’ai pu connaître de l’intérieur le monde fascinant et dangereux du business new-yorkais. Dieu ne dort pas être trop satisfait de tout ça. » Que dirait-il s’il avait accès aux petits et grands secrets de la multinationale mooniste ?…

La mobilisation de quatre groupes de la Croisade internationale pour un monde uni ne suffit pas, bien entendu, à financer le journal. En cinq mois, de novembre 1976 à avril 1977, Moon transfère personnellement deux millions et demi de dollars du compte de l’Unification Church International, à la Diplomat National Bank, sur celui du News World, à la Chemical Bank de New York.

Pour des raisons d’économie, la première équipe du News World est presque exclusivement composée de moonistes. Ils ne touchent pas de salaire ou en reversent une partie à l’Église. Certains ne feront pas de vieux os dans la presse, comme Dennis Orme, le président de l’Église anglaise, nommé temporairement au conseil d’administration de News World Communication, la société mère du journal. D’autres, plus jeunes et moins connus à l’époque, apprendront leur métier sur le tas, avant de poursuivre brillamment leur carrière journalistique et militante, après 1982, au Washington Times, le grand quotidien mooniste porte-parole de l’Amérique reaganienne.

La bombe Fraser  207

Le journal tombe à pic pour épauler l’Église dans la terrible polémique publique qui l’oppose, dès la fin 1976, au représentant démocrate — et libéral — Donald Fraser, le président de la sous-commission de la Chambre chargée d’enquêter sur les relations coréano-américaines.

Depuis que ses investigations ont commencé en 1976, la grande presse se fait régulièrement l’écho, souvent sans les vérifier, des premiers résultats de l’enquête. Présentées de façon plus ou moins sensationnelle, ces révélations finissent par établir dans l’opinion que Moon est un personnage multiple, autant politique et commercial que religieux. Les relations de son Église avec le gouvernement coréen et ses services secrets apparaissent jour après jour. C’est plus que ce que l’image de la Famille peut supporter sans pâlir.

Ne pouvant démentir sur le fond, le News World va tenter de discréditer l’enquêteur. Alors que Donald Fraser mène campagne électorale pour les sénatoriales dans le Minnesota, le journal l’accable, tout au long de l’année 1977, d’accusations dont on ne se remet pas aux États-Unis : Don Fraser serait un ancien trotskiste, il aurait des relations secrètes avec la Corée du Nord et travaillerait vraisemblablement pour l’Union soviétique. Plus efficace encore, le News World avance que Don Fraser a engagé pour mener l’enquête, sur des fonds publics, des personnalités connues pour leur antimoonisme militant, qu’il a transmis illégalement des informations à la presse pendant l’instruction du rapport et qu’il a largement utilisé dans sa campagne électorale le prestige que lui donne son poste de président d’une commission parlementaire chargée d’une enquête sur Moon.

Très vite, la minorité républicaine à la Chambre prend parti contre le démocrate du Minnesota. Les conservateurs en général lui emboîtent le pas. Don Fraser — l’un des représentants les plus progressistes du Parti démocrate — ne passera même pas l’obstacle des primaires pour les sénatoriales dans son État ! Les publications internes de l’Église évoqueront la Providence divine pour expliquer cet échec.

Quant au rapport définitif, publié en octobre 1978 après moult réajustements, dépouillé de certaines accusations non prouvées — « Moon tire ses origines d’un culte sexuel », titrait le Chicago Tribune le 27 mars 1978 —, il démontrera de manière prophétique que l’Église de l’Unification est tout à la fois multinationale et internationale politico-religieuse.

Huit ans plus tard, l’Église refuse toujours le qualificatif de politique, mais reconnaît ce qu’elle niait en 1978 : les différentes filiales et propriétés de la Famille constituent bien un tout un et indivisible : le Mouvement de l’Unification. Dès cette époque, le monde politique américain, et les conservateurs en particulier, savent donc qui est Sun Myung Moon. Ou, du moins, peuvent-ils le savoir s’ils le désirent. Le rapport Fraser est, en effet, déjà très complet sur les origines, la fortune, le financement, les moyens, les méthodes et les objectifs de la Famille. Ceux qui, désormais, collaboreront très étroitement avec « Père », à la Maison-Blanche, au gouvernement ou ailleurs dans les cercles du pouvoir, le feront en connaissance de cause.

À peine installé dans les kiosques, le News World plonge donc dans la mêlée. Pour se faire remarquer, il ne ménage pas ses efforts : format tabloïde, présentation agressive, qualité des photos, engagement de quelques bonnes signatures conservatrices et ouverture d’une tribune libre où s’expriment des personnalités diverses. Il réussit même un très beau « coup », en 1978, lors de la grande grève des journaux de New York. Alors que les trois principaux quotidiens de la ville cessent le travail, l’organe mooniste continue de paraître. Les journalistes et les ouvriers du livre moonistes ne sont pas des employés comme les autres…

Privés de leur lecture quotidienne, plus d’un million de New-Yorkais se rabattent sur le News World. Beaucoup y trouvent leur compte car le journal se veut résolument grand public. Le sport et les courses y tiennent, par exemple, une place de choix. Par ailleurs, s’adaptant, à ses débuts, à la situation très particulière de la grande ville et à sa tradition libérale et pluriculturelle, le journal n’affiche pas ses opinions ultra-conservatrices avec autant de vigueur que le Rising Tide. Il recevra même les félicitations du gouverneur de l’État, Mario Cuomo, un démocrate réputé modérément libéral.

Les échéances politiques majeures approchant avec l’élection présidentielle de 1980, le News World retrouvera sa voix pour soutenir Ronald Reagan. Toute la Famille se mobilise autour du candidat républicain. Sun Myung Moon et Bo Hi Pak contribuent officiellement au financement de la campagne, le CARP (la filiale universitaire de l’Église) fait cause commune avec les jeunes républicains sur les campus, et les colleurs d’affiches moonistes s’engagent dans les comités de soutien au futur président. Cette débauche d’énergie vaudra à « Père » un siège de VIP aux cérémonies d’investiture de 1981.

Le jour même des élections, alors que les Américains commencent à peine à voter, le News World titre sur toute sa première page : « Le raz de marée Reagan. » Se fiant aux derniers sondages et estimations qui lui ont été communiqués par l’état-major républicain, il prend le risque d’ajouter : « Il gagnera plus de 350 grands électeurs et l’emportera aussi à New York. »

Il sera le seul journal à le faire.

Dans la nuit, alors que toutes les télévisions confirment sa victoire, Ronald Reagan se saisit d’un exemplaire de la une historique du News World, la présente aux objectifs et pose ainsi longuement pour les photographes.

La photo fera le tour du monde.

Sun Myung Moon n’est plus très loin du Paradis.

 


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15. À la rescousse en Amérique latine et centrale*

(* Ce chapitre reprend en partie notre article, écrit avec Alejandro Alem, et publié dans Le Monde diplomatique de février 1985.)

Né de la confiance de Moon

C’est de son bureau situé au troisième étage du quotidien Ultimas Noticias, à Montevideo, que Julian Sali, le directeur du journal, gère aussi ses autres affaires : deux imprimeries, le principal hôtel de luxe de la ville et la troisième banque du pays, sans compter un certain nombre de propriétés foncières. Cet empire local, il le doit au fondateur de l’Église de l’Unification.

Au mur, une photo : le président Reagan serrant avec effusion la main du colonel Bo Hi Pak, ancien officier de l’armée sud-coréenne et actuel bras droit du révérend Moon.

À quarante et un ans, Julian Safi « vaut » aujourd’hui plus de cinquante millions de dollars. Ancien journaliste, responsable de la propagande de la dictature uruguayenne il y a encore cinq ans, il n’en revient pas : « Je ne suis pas un homme d’affaires… Si j’en suis là, ce n’est pas parce que je suis un génie des affaires, mais parce que j’ai la confiance du révérend Moon. »

Julian Safi a eu beaucoup de chance. À vingt ans, il est reporter à La Mañana, grand quotidien conservateur du matin, et ne semble pas destiné à une carrière brillante. Mais il rencontre et épouse la fille du patron du journal, Manini Rios, un cacique de la droite du Parti Colorado, l’un des deux grands partis traditionnels de l’Uruguay. Il n’en devient pas pour autant un journaliste talentueux. Ses anciens confrères gardent le souvenir d’un professionnel sérieux mais sans envergure. Il progresse néanmoins rapidement dans l’entreprise de son beau-père, pour devenir successivement directeur de La Mañana et d’El Diario, autre journal du groupe. Il se lie alors avec les milieux d’extrême droite, par l’intermédiaire de son beau-frère, Hugo Manini Rios, l’un des dirigeants de la Juventud Uruguaya de Pie, organisation de jeunesse fascisante. Julian Safi entretient déjà à l’époque de bonnes relations avec les ambassades de Taiwan, d’Afrique du Sud et de Corée du Sud. Invité, il réalise plusieurs reportages dans ces trois pays.

C’est sans surprise que, après le coup d’État militaire de 1973, on le retrouve à la tête de l’équipe de journalistes qui travaillent pour la direction nationale des relations publiques du gouvernement militaire. En janvier 1980, il fait la connaissance du colonel Bo Hi Pak, qui effectue, dit-il, la tournée des journaux conservateurs du cône sud, à la recherche de rédacteurs bilingues anglais-espagnol, pour lancer un grand quotidien de langue espagnole aux États-Unis. Un exemplaire du News World sous le bras, il a ainsi démarché La Nacion et El Mercurio à Santiago du Chili, mais aussi La Nacion et l’agence officielle de la dictature, Telam, à Buenos Aires, puis A Folha da Tarde au Brésil.

Sensibles aux arguments développés dans News World, qui ne cache pas ses positions anticommunistes et antiprogressistes, de nombreux journalistes de droite se lient à l’adjoint du révérend. Parmi eux : Manuel Fuentes (rédacteur en chef de La Nacion de Santiago), Tomas MacHale (rédacteur en chef du Mercurio de Santiago), Antonio Aggio (rédacteur en chef d’A Folha da Tarde de Sào Paulo, et surtout Antonio Rodriguez Carmona, journaliste à Telam, qui, depuis 1979, travaille au lancement du futur quotidien en espagnol. Carmona présente le colonel Bo Hi Pak à Julian Safï, qui accepte son offre de suivre un stage d’un mois à New York, au sein de l’équipe du nouveau journal, qui, quelques mois plus tard, paraîtra sous le titre de Noticias del Mundo.

L’Uruguayen en revient transformé. Il a rencontré Moon et découvert que le révérend, installé aux États-Unis, est beaucoup plus qu’un chef religieux. C’est l’un des hommes les plus riches de la planète, et il souhaite mettre les bénéfices de sa multinationale au service d’une nouvelle internationale anticommuniste. Le projet qu’il expose au petit directeur de journal uruguayen est grandiose. « La troisième guerre mondiale a commencé, dit Moon ; elle ne se gagnera pas les armes à la main mais sur le terrain des idées. » Pour vaincre le communisme partout où il menace — en Amérique latine en particulier — le « Nouveau Messie » veut se doter de deux instruments : un groupe de presse international moderne, très professionnel, et une organisation transnationale chargée de former et d’orienter des leaders dans les pays choisis, un bras politique pour l’Église de l’Unification.

Le groupe de presse devrait s’appuyer sur la société éditrice des deux premiers journaux publiés par Moon aux États-Unis : le News World et Noticias del Mundo (créé le 22 avril 1980). La société, qui s’appellera successivement News World Communications puis Time Tribune Corporation, s’enrichira, sous la houlette de son président Bo Hi Pak, d’un titre prestigieux, le Washington Times (1er mars 1982), chargé de concurrencer le grand quotidien libéral Washington Post ; ensuite elle fera du News World le New York Tribune pour le lancer avec beaucoup plus de moyens contre le libéral New York Times.

Quant à l’Internationale, nous l’avons déjà rencontrée plusieurs fois dans les pages qui précèdent : elle s’appellera CAUSA ; fondée en 1980 à New York par le révérend Moon lui-même, elle est aussi confiée au président Bo Hi Pak ; elle s’attaquera en priorité au cône sud de l’Amérique.

Julian Safi est chargé d’appliquer ce schéma en Uruguay ; on lui en donne les moyens : 51 millions de dollars sont déposés courant 1980 sur le compte de la Banco de Credito — troisième banque d’Uruguay — par l’intermédiaire d’une banque « off shore » de l’île de Grand Cayman 2, Kami Ltd 3, dont Safï lui-même est devenu propriétaire par l’un de ces jeux d’écritures rapides et discrets dont les places financières internationales ont le secret. La même année, il reçoit du renfort en la personne de Stephen Boyd, jeune missionnaire américain de l’Église, qui s’installe à Montevideo. Ils vont pendant quatre ans travailler la main dans la main, se répartissant les tâches, bientôt secondés par deux autres membres de la secte, les Allemands Ingrid et Werner Lindeman.

2. Paradis fiscal situé au sud de Cuba, au nord-ouest de la Jamaïque.

3. Raison sociale vraisemblablement inspirée du nom du « ministre des finances » de Moon, Takeru Kamiyama.

La tournée des dictatures  214

Tout va alors très vite. Les relations de Julian Safi dans les milieux militaires et conservateurs donnent à plein. En avril 1981, se réunit le premier séminaire de CAUSA-Uruguay. Il montre parfaitement à quel point Moon compte s’appuyer sur les militaires latino-américains pour mener sa croisade.

La réunion se déroule dans les locaux de la direction nationale du Tourisme, qui dépend du gouvernement. Assis dans la salle, écoutant le discours d’ouverture du colonel Bo Hi Pak : le général Luis Queirolo, commandant en chef de l’armée uruguayenne, que Bo Hi Pak vient de rencontrer en audience privée ; le ministre de l’Industrie et de l’Energie, Francisco Toureilles, qui lui aussi a reçu le colonel sud-coréen ; le colonel Larroque, patron de la direction nationale des Relations publiques, et le ministre de l’Intérieur, Alejandro Rovira.

La presse n’a pas été admise. Seule la revue El Soldado, le mensuel de l’armée, couvrira l’événement dans son numéro 72. Bo Hi Pak n’y va pas par quatre chemins : « Tous les hommes et toutes les nations doivent triompher ensemble du communisme… C’est un mouvement international qui doit affronter le communisme international. Mes chers amis, en matière de victoire sur le communisme, je veux que l’Uruguay soit un modèle pour le reste du monde. Ce pays fut le premier en Amérique du Sud à subir les assauts communistes et à les repousser avec succès ; dès lors, il est logique que le mouvement CAUSA arrive tout d’abord en Uruguay. Je crois que l’unificationnisme peut produire dans ce pays des leaders dynamiques et dévots qui aident le monde à se libérer de l’impérialisme communiste. »

Avant de quitter l’Uruguay, Bo Hi Pak rencontre le président de la République, Aparicio Mendes. Julian Safï assiste à toutes ces réunions où l’on évoque les projets de Moon en Uruguay.

En fait, Bo Hi Pak n’est pas venu spécialement de New York pour rencontrer les dirigeants uruguayens. Il inclut sa visite à Montevideo dans une tournée qui marque les débuts de CAUSA en Amérique latine. La première étape l’a conduit à Asuncion (Paraguay) où le général Stroessner le reçoit le 2 mars 1981. Bo Hi Pak ne cache pas que le dictateur paraguayen l’a profondément impressionné.

« Je crois, dit-il, que c’est un homme spécial, élu par Dieu pour diriger son pays. » Le premier séminaire d’Asuncion réunit à l’Institut d’éducation supérieure plusieurs ministres, leaders politiques et doyens de faculté. Grâce à l’entremise de Juan Manuel Fuentes, président local de la Ligue anticommuniste et proche du président-dictateur, les membres de l’Église de l’Unification donneront bientôt des cours politiques dans les locaux du parti au pouvoir.

Troisième étape, vraisemblablement la plus importante après l’Uruguay : la Bolivie. Le colonel Bo Hi Pak s’y trouve en pays de connaissance. Des transfuges nord-américains de l’Église de l’Unification ont affirmé à plusieurs reprises que Moon, depuis New York, avait annoncé en privé le coup d’État du général Garcia Meza un mois à l’avance. C’est précisément le dictateur bolivien qui préside le dîner offert en l’honneur de Bo Hi Pak au Sheraton de La Paz, et c’est son chef d’état-major, le général Jorge Aguila Teran, qui prononce le discours inaugural du désormais traditionnel séminaire.

Les militaires boliviens renvoient l’ascenseur à un homme qui les a beaucoup aidés. Un ancien de CAUSA-Bolivie a raconté comment : Alfredo Mingolla, agent des services argentins emprisonné à La Paz par la police du président Suazo, en 1983, après la tentative d’attentat contre le vice-président Jaime Paz Zamora, confie au magazine Stern en 1984 que Thomas Ward (membre de la direction de CAUSA International) a participé directement à l’organisation du coup d’État du 17 juillet 1980. Il aurait collaboré à cette occasion avec le patron de l’antenne bolivienne de la Ligue anticommuniste mondiale, et surtout avec Klaus Barbie, qui travaillait alors aux préparatifs avec le colonel Luis Arce Gomez 4.

4. Cf. Ladislas DE HOYOS, Barbie, Robert Laffont, Paris, 1984, p. 236.

Jean-Pierre Gabriel écoutera cette extraordinaire histoire avec un léger sourire, sans juger bon de démentir formellement les accusations de l’agent argentin. « Oui, me dira-t-il en 1985, après avoir consulté Tom Ward par téléphone, nous connaissons Mingolla. Il a travaillé avec nous en Bolivie à l’organisation de plusieurs séminaires. Mais pour que vous puissiez mieux juger de la valeur de son témoignage, je vous dirai qu’il a été libéré de sa prison bolivienne trois jours seulement après ses déclarations au Stern. »

Curieux mode de défense…

En 1984, le ministère de l’Intérieur bolivien, confirmant des informations émanant de transfuges moonistes de New York, révélera que Moon et CAUSA ont offert 4 millions de dollars aux putschistes de 1980 et que, dans les mois suivants, 50 000 livres de l’Église de l’Unification ont été acheminés d’Uruguay à La Paz par l’US Air Force.

CAUSA-Bolivie reconnaît en tout cas avoir organisé plusieurs séminaires sur l’unificationnisme au collège militaire de l’armée à La Paz, devant des auditoires de plusieurs centaines de jeunes officiers.

La chute du général Garcia Meza en septembre 1981 mettra un terme à l’un des projets les plus ambitieux de Moon en Amérique latine : quelques mois auparavant, la Famille avait sollicité un permis de construire pour un ensemble immobilier de 42 millions de dollars comprenant une station de radiotélévision.

La tournée des dictatures se poursuit au Chili du 22 au 26 juin 1981. Le premier séminaire de CAUSA au Chili se déroule dans les locaux officiels : la Casa Colorada, berceau de la Constitution chilienne.

Le président de séance résume ainsi l’objectif de la réunion : « Tout d’abord nous voulons exposer le thème central des conférences, qui consiste en une critique aiguë de la philosophie marxiste, dans sa forme originale, et des réformes introduites par les penseurs postérieurs. Ensuite nous voulons avancer une contre-proposition, l’unificationnisme, une idéologie qui peut vaincre le communisme sur le terrain philosophique et résoudre les problèmes qui ont favorisé la naissance et le développement du communisme. »

Dans la salle, comme toujours, une pléiade de journalistes, d’universitaires et de responsables politiques. Le banquet final offert dans les salons du Sheraton donne au colonel Bo Hi Pak l’occasion de rendre un hommage appuyé au général Pinochet et au renouveau économique du Chili. En présence du représentant personnel du dictateur, Jovino Novoa, et du général Claudio Lopez, qui s’écrie : « Nous savons que des hommes comme le révérend Moon et vous-même êtes des piliers de la lutte contre le communisme international ! »

Quelques semaines plus tard, une jeune missionnaire américaine de l’Église de l’Unification à Santiago avoue ingénument à un journaliste de la revue démocrate chrétienne Hoy que Bo Hi Pak a longuement rencontré Pinochet en 1980 avant de lancer CAUSA au Chili.

Des chrétiens pas très catholiques  218

Les militaires argentins au pouvoir depuis 1976 se montrent moins résolus à soutenir la croisade mooniste. Lors de sa tournée de 1979-1980, Bo Hi Pak, alors à la recherche de journalistes bilingues, profite de l’escale de Buenos Aires pour exposer au général Antonio Llamas, secrétaire à l’Information du dictateur Videla, ce qui fut le premier grand projet de presse de Moon en Amérique latine : acheter — pour en changer la ligne bien sûr — le Buenos Aires Herald, grand quotidien en anglais d’Argentine et ferme adversaire de la dictature sur le terrain des droits de l’homme. Le projet aurait eu, dit-on, la sympathie du général Videla. Toujours est-il que l’affaire ne se fait pas, le gouvernement n’ayant pas exercé de pressions suffisantes sur les propriétaires du journal. L’année suivante, quand Bo Hi Pak fait le tour de l’Amérique du Sud, de séminaire de CAUSA en séminaire de CAUSA, le général Videla et l’amiral Massera — tous deux pourtant membres actifs de la Ligue anticommuniste mondiale — refusent de rencontrer le colonel sud-coréen. Volonté de se démarquer politiquement de Moon ou méfiance religieuse du très catholique Rafael Videla, on ne saura pas ce qui motive le refus.

La collaboration entre la Famille et les militaires argentins se poursuivra cependant de manière très discrète. Comme en Uruguay, le colonel a en effet vite fait savoir à l’état-major que son Mouvement pouvait lui fournir du matériel ou des équipements militaires. L’offre sera très sérieusement examinée. Levant un coin du voile sur ces tractations, le général Albano Harguindeguy, ancien ministre de l’Intérieur de la dictature, affirmera à l’un de nos enquêteurs qu’une entreprise mooniste de Corée a vendu des parachutes et des uniformes à la deuxième junte militaire.

Les secteurs les plus réactionnaires de l’Église argentine soutiennent alors la démarche du Sud-Coréen : Mgr Antonio Plaza, archevêque de La Plata, offre son patronage au premier séminaire de CAUSA-Argentine, organisé par l’université catholique de La Plata. Mme Hebe de Bonafïni, présidente des Mères de la place de Mai, accuse Mgr Plaza d’avoir directement participé à la répression. Elle dit avoir eu recours à lui en février 1977, peu de temps après la disparition de son fils, alors qu’elle ne militait pas encore pour les disparus et les droits de l’homme. Son témoignage est accablant : l’évêque la reçoit et l’oriente vers un bureau au sous-sol de la cathédrale où un policier — à la retraite, lui dit-on — peut lui donner des informations sur son fils. Au bout de quelques minutes, elle se rend compte que l’homme n’est pas là pour l’aider mais bien pour lui soutirer, sur l’entourage de son fils, des informations que la police n’a pas pu obtenir par d’autres moyens. D’autres mères s’adressant à Mgr Plaza quelque temps plus tard tomberont dans le même piège.

Mgr Plaza, qui en cette année 1981 vient d’être reçu personnellement par Jean-Paul II, est l’un des prélats intégristes les plus engagés dans la bataille contre la théologie de la libération. Le deuxième numéro de la revue CAUSA en espagnol lui consacre sa couverture — la photo montre le Saint-Père lui donnant l’accolade — et un éditorial édifiant sur les alliances que Moon souhaite conclure avec l’Église catholique : « Pour tous ceux qui sont conscients de la menace que représente le communisme athée pour les chrétiens d’aujourd’hui, l’ascension du pape Jean-Paul II au leadership ecclésiastique constitue un acte de Dieu… L’archevêque [de La Plata] joue un rôle très important dans l’effort du Saint-Père visant à démontrer que communisme et christianisme sont incompatibles… »

Les convergences idéologiques n’expliquant pas tout, comment les moonistes ont-ils réussi à se lier aussi étroitement avec l’un des plus grands diocèses d’Amérique latine, alors que les épiscopats du continent — brésiliens et centro-américains en particulier — ne cachent pas leur répugnance face au phénomène sectaire ?

La réponse viendra trois ans plus tard, le 15 novembre 1984. Ce jour-là, dans un salon d’honneur des Nations unies à New York, le recteur de l’université catholique de La Plata, Nicolas Argentato, décerne un doctorat honoris causa à l’épouse de Sun Myung Moon — son mari est alors emprisonné pour fraude fiscale — et au colonel Bo Hi Pak. À peine connue, la nouvelle fait scandale en Argentine. D’autant plus que les rumeurs les plus alarmantes courent à Buenos Aires : la Famille aurait l’intention de racheter certains journaux en difficulté — La Prensa et Ambito financiero — pour les lancer dans la bataille contre le « marxiste » Alfonsin. Elle jouit en tout cas de nombreuses amitiés au sein de ces deux rédactions passablement anticommunistes.

Les envoyés spéciaux des grands magazines politiques argentins font donc le siège de Nicolas Argentato et lui demande de s’expliquer.

Ce qu’il fait sans la moindre gêne. Il déclare à l’hebdomadaire Siete Dias : « L’Université a établi des liens avec le révérend Moon et M. Bo Hi Pak. Ils nous ont beaucoup aidé […]. Ils nous ont fait un don que je qualifierais de très généreux. 120 000 dollars. Vous imaginez ce que ce chiffre représente en Argentine ? Cela nous a permis de créer la chaire de journalisme. Nous avons constaté que nous avions des intérêts communs […]. Il faut donc chercher à s’allier avec ceux qui vous sont philosophiquement proches.., »

Le dernier séminaire de la tournée se déroule à l’hôtel Othon de Rio de Janeiro, face aux plages de Copacabana. Aucune personnalité locale de premier plan n’y participe. Car, à la différence des autres pays de la région, Moon a ici investi plus d’efforts dans le développement de son Église que dans le renforcement de son organisation politique. En cet été 1981, Moon compte au Brésil des milliers de fidèles répartis dans cent vingt centres urbains, y compris toutes les capitales d’État. Jouant de la religiosité profonde, confuse et composite du peuple brésilien, l’Église de l’Unification a percé ici comme nulle part ailleurs en Amérique latine.

Certes, la secte jouit de sympathies chez certains officiers de l’armée, de l’Ecole de guerre ou de la police politique (on retrouvera leurs noms dans la liste des invités au séminaire panaméricain de CAUSA à Montevideo en 1984), et l’un des dirigeants de l’Église, M. Dairo Vicente Ferraboli, déclare à la police de Rio Grande do Sul, en septembre 1981, que le gouverneur Maluf de São Paulo, candidat présidentiel, qui sera battu en janvier 1985 par Tancredo Neves, a assisté à plusieurs dîners offerts par la secte. Mais tout cela tient plus de la relation et de l’engagement personnel que de la stratégie concertée, comme en Uruguay ou en Bolivie.

Le principal orateur au séminaire de Copacabana mérite néanmoins une mention : il s’appelle Paul Perry. La revue CAUSA ne lui attribue pas d’autre titre que celui de professeur. En revanche, Alfredo Mingolla, l’agent argentin déjà cité, l’a rencontré à La Paz dans les locaux de CAUSA et le tient pour l’un des quatre moonistes ayant collaboré avec le général Garcia Meza.

Un journal, une banque et un hôtel à Montevideo  221

Dans un tel contexte, il apparaît que Julian Safi n’est pas chargé d’une mission isolée. Sa première préoccupation : fonder à Montevideo le grand journal populaire sur lequel, le cas échéant, pourra s’appuyer la propagande de CAUSA. Le 18 septembre 1981 naît Ultimas Noticias, un tabloïd imprimé en quadrichromie sur des rotatives modernes. Investissement ambitieux en ces temps de crise. La rédaction, composée de bons professionnels, est assez pluraliste.

Lancé à un prix défiant toute concurrence, Ultimas Noticias vise le grand public : faits divers à la une, importante rubrique sportive, informations politiques neutres. Le journal paraîtrait objectif si l’on ne lisait ses éditoriaux, marqués par un anticommunisme virulent, rédigés par deux éminents membres de CAUSA : Segundo Flores, dont le principal titre de gloire est d’être le beau-père du général Alvarez, président de la République, et José Galvez, universitaire. Deux hommes veillent au maintien de la ligne du journal : Carlos Estellano, qui quelques mois avant les élections de novembre 1984 était toujours conseiller de la direction nationale des Relations publiques du gouvernement, et Omar Piva, vieil ami de Julian Safï, venu lui aussi du groupe de presse Manini Rios.

« La ligne éditoriale du journal, sur le plan international, est anticommuniste, dit Omar Piva. C’est la seule discipline qui nous marque… En matière nationale, elle est indépendante, n’appuyant par exemple aucun parti en lice pour les élections de 1984. Le journal peut prendre des positions de gauche, modérées mais de gauche, pas nécessairement de droite. La seule condition qu’on nous impose, c’est d’être anticommunistes. »

Nombre de « papiers » internationaux sont fournis par le Washington Times ou Noticias del Mundo, auxquels Ultimas Noticias est affilié et, entre deux buts du club Peñarol et une campagne effrénée pour le groupe rock Menudo (équivalent latin des Jackson Five de Michael Jackson), on retrouve les grands thèmes développés par CAUSA, le Pentagone ou les militants de la doctrine de la sécurité nationale. En trois ans, Ultimas Noticias atteint le troisième tirage de la presse uruguayenne.

Ultimas Noticias est imprimé par Impresora Polo, autre propriété acquise par le fondé de pouvoir de Moon. La modernisation de l’entreprise a, à elle seule, coûté 1,5 million de dollars. L’imprimerie couvre en 1985 70 % du marché des publications et 15 % du marché du livre.

La plupart des brochures en espagnol de CAUSA International sortent d’ici, ainsi que certaines revues « amies », comme El Soldado, mensuel du Centre d’études militaires. Mais, politique commerciale oblige, bon nombre de revues politiques d’opposition de gauche et du centre se faisaient imprimer chez Polo jusqu’en novembre 1984. Stephen Boyd, missionnaire de l’Église et représentant local de CAUSA International, explique cette apparente contradiction : « Le but des affaires que possède le mouvement est d’appuyer non seulement CAUSA mais aussi les cent cinquante organisations [du mouvement] au niveau mondial. Ainsi existe-t-il en Uruguay différentes entreprises qui peuvent, au niveau international, nous aider dans notre travail. »

C’est sans doute dans la même optique que le mouvement s’est doté en Uruguay, à la charnière des géants brésilien et argentin, de deux instruments bien utiles : une banque et un grand hôtel pouvant accueillir des conférences.

El Banco de Credito, troisième banque uruguayenne, tombe dans l’escarcelle de Julian Safi, par petits paquets d’actions successifs, entre novembre 1982 et février 1983. L’argent qui sert à la transaction est, nous l’avons vu, déjà déposé dans cette banque. Outre Julian Safi, les nouveaux actionnaires, Mmes Elena Decker et Cecilia Fraga et la société Lindomar, sont totalement inconnus du milieu bancaire. La législation uruguayenne d’alors ne pose aucune condition à l’achat d’une banque nationale par des capitaux étrangers. Surtout quand les nouveaux actionnaires obtiennent, toujours par l’intermédiaire de Kami Limited, de Grand Cayman, un prêt de 63 millions de dollars déposé en garantie à la Banque centrale, en échange du rachat par celle-ci d’un portefeuille d’actifs à haut risque de la Banco de Credito.

Devant une telle avalanche de dollars, la presse et certains milieux financiers nationaux s’émeuvent. « Moon veut-il acheter l’Uruguay ? » Qu’importe, l’opération se poursuit. Il faut au Mouvement un grand hôtel de luxe doublé d’un centre de congrès qui puisse accueillir les différents séminaires organisés par CAUSA. Julien Safi acquiert donc pour 8 millions de dollars le seul hôtel de luxe de Montevideo, le Victoria Plaza, un quatre-étoiles, et projette aussitôt de le transformer en un complexe hôtelier unique en Amérique latine : deux tours reliées par un pont à cent mètres du sol, deux mille cinq cents chambres, une salle de conférences de mille deux cents places. Coût prévu : encore 8 millions de dollars. Justification avancée : créer deux mille emplois dans un pays en crise et transformer Montevideo en centre international de congrès.

Problème à résoudre : la deuxième tour devrait être construite sur l’emplacement d’un bâtiment officiel classé monument historique par la municipalité. Solution : échanger ce bâtiment contre un édifice présentant les mêmes caractéristiques — à savoir l’ancien siège des journaux de Manini Rios racheté par Julian Safi — et faire déclarer le projet d’intérêt national. C’est chose faite depuis septembre 1983. Contre l’avis de l’ordre des architectes et de diverses associations de défense de l’environnement, le gouvernement militaire signe le décret autorisant l’opération 5.

5. Le projet de transformation du Victoria-Plaza sera temporairement gelé par le gouvernement démocratique élu en novembre 1984. Mais grâce aux excellentes relations qu’il entretient au sein du parti Colorado au pouvoir, Julian Safi obtiendra finalement un nouveau feu vert de l’administration.

Pressé de questions sur ce sujet, le général Alvarez, président de la République, rappelle alors que la liberté de culte doit aussi s’appliquer à l’Église de l’Unification et précise : « En matière de lutte contre le communisme, il est évident que nous pensons pareil. » Et, fin septembre 1984, le général Rapela, ministre de l’Intérieur, à qui nous demandons s’il y a convergence idéologique entre le Mouvement de l’Unification et le gouvernement militaire, nous répond : « Idéologique ? Évidemment oui ! C’est pourquoi nous lui avons apporté le soutien et l’appui que nous offrons à toutes les organisations internationales ayant des affinités avec notre politique… ; [en outre] ce sont des gens qui travaillent pour le bien du pays, ils y créent de l’activité et laissent leurs bénéfices sur place. »

Voire ! Il reste que toutes les estimations convergent : en quatre ans, Moon aurait investi ou déposé en Uruguay environ 100 millions de dollars. Le dixième des exportations du pays. De quoi être pris en considération.

Julian Safï n’est pas, contrairement à ce qu’il dit, le dépositaire exclusif de la confiance et de la puissance du révérend Moon en Uruguay.

Le très catholique directeur d’Ultimas Noticias, d’origine maronite libanaise (il est décoré de l’ordre du Cèdre), est « secondé » de très près par le noyau dur de la secte : Ingrid Lindeman, missionnaire à l’origine, est directrice du Victoria Plaza et vraisemblablement porteuse des actions Lindomar de la Banco de Credito. Son mari, Werner, des documents notariés le prouvent, est, avec Julian Safï, copropriétaire de l’Impresora Polo.

Enfin, un troisième personnage joue ici un rôle évident : l’austère et néanmoins souriant Stephen Boyd, chef de l’Église de l’Unification en Uruguay, qui a ses grandes et petites entrées à toute heure du jour ou de la nuit au Victoria Plaza ou à la direction d’Ultimas Noticias.

Stephen Boyd, l’idéologue de Moon en Uruguay, la cheville ouvrière de CAUSA, qui inlassablement découvre, démarche, réunit, forme les cadres à travers lesquels tous les jours l’organisation étend son influence : politiciens, hommes d’affaires, journalistes, dirigeants étudiants, professionnels de secteurs de pointe (informatique en particulier). De séminaires restreints (« Développement de la théorie communiste », « Matérialisme dialectique et historique », « Théorie économique marxiste », « Critique du système de valeurs de l’Occident ») en « réunions de camaraderie », il rassemble en trois ans quelque trois cents leaders d’opinion potentiels dans le pays.

Du cône Sud à l’Amérique centrale  225

La tenue du premier congrès panaméricain de CAUSA à Montevideo, en février 1984, consacre sa réussite. Sous la présidence de Bo Hi Pak, quelque quatre cents délégués et observateurs venus de toutes les Amériques, d’Europe et d’Asie se réunissent autour de cinquante-huit sympathisants de CAUSA-Uruguay. Parmi eux, plusieurs grands électeurs de la droite des deux grands partis traditionnels Blanco et Colorado, et un certain nombre de personnages liés à l’appareil répressif de la dictature, dont Dolcey Britos 6, le médecin psychologue accusé par Miguel-Angel Estrella d’avoir supervisé la torture au pénitencier de Libertad, et Jorge Guldenzoph, jeune fonctionnaire du ministère de l’Intérieur et secrétaire de CAUSA-Uruguay. Il y a dix ans, il était encore dirigeant étudiant… des Jeunesses communistes quand, dit-il, il a « abjuré le marxisme ». Depuis, si l’on en croit les témoignages d’actuels membres du comité central du Parti communiste uruguayen, il aurait personnellement dénoncé, arrêté, interrogé ou torturé près d’une centaine de militants de la Jeunesse communiste uruguayenne. Ses anciens camarades ne l’appellent plus que « Charletta » — le bavard.

6. Un portrait de Dolcey Britos, par Ernesto Gonzalez Bermejo, a été publié dans Le Monde diplomatique de décembre 1983 sous le titre « Le maître des prisonniers ».

Mais la liste des invités au séminaire fait apparaître qu’en 1984 les préoccupations stratégiques de CAUSA se sont déplacées du cône sud vers l’Amérique centrale. En témoigne la présence du colonel salvadorien Domingo Monterrosa, ex-commandant de la 3e brigade de San-Miguel, spécialiste de la guerre psychologique 7, et de Steadman Fagoth, patron de la guérilla Miskito antisandiniste, aux côtés de deux généraux américains à la retraite qui participent directement ou indirectement au programme d’aide à la Force démocratique nationale (FDN) basée au Honduras : le général Robert Richardson III, vice-président de « High Frontier », le lobby favorable à la « guerre des étoiles », et le général Ed Woellner, alors président de CAUSA-États-Unis, directeur de l’United Global Strategy Council, l’une des « boîtes à penser » de la droite républicaine qui pousse à muscler la politique centraméricaine du président Reagan.

7. Mort dans son hélicoptère abattu par la guérilla en novembre 1984.

La volonté de CAUSA de soutenir les « durs » de l’équipe Reagan apparaît manifestement dans son action au Honduras au cours des années 1981-1984, lorsque l’armée américaine s’installe en force à la charnière d’El Salvador et du Nicaragua. CAUSA invite tout d’abord une dizaine de personnalités honduriennes à visiter la Corée du Sud, tous frais payés. Elles y rencontrent Moon. Parmi elles, le secrétaire à l’information de la présidence du Honduras et l’ambassadeur qui lui succédera à ce poste, Amilcar Santamaria. Tous deux sont aujourd’hui des piliers de CAUSA-Amérique latine. Ces mêmes personnalités organisent ensuite un séminaire de quatre jours sur l’anticommunisme à San Pedro Sula pour un millier de cadres politiques, hommes d’affaires, journalistes.

Les plus déterminés seront désormais de tous les séminaires internationaux organisés par le mouvement de l’Unification. Parmi eux, un personnage clé, présent au congrès panaméricain de Montevideo : Mario Belot, président de la Chambre de commerce du Honduras et de l’Association des éleveurs et agriculteurs. C’est l’un des fondateurs de l’Association pour le progrès du Honduras (APROH), organisation de droite regroupant tout ce que le pays compte d’hommes d’affaires et de politiciens influents sous la présidence du général Gustavo Alvarez, commandant en chef des forces armées jusqu’au 31 mars 1984.

Homme fort d’une démocratie musclée, partisan d’une intervention massive des États-Unis en Amérique centrale, le général Alvarez entretient avec CAUSA des relations suffisamment cordiales pour que Bo Hi Pak verse en 1983 sur les fonts baptismaux d’APROH la somme de 50 000 dollars. Les vives réactions de l’épiscopat hondurien à l’implantation de l’Église de l’Unification amèneront le général à restituer cet argent à CAUSA… huit mois après réception de la somme. L’obsession centraméricaine poussera aussi CAUSA à organiser en 1983 une grande tournée d’information (Fact Finding Tour) pour une centaine de journalistes américains et européens, leur ménageant des interviews privilégiées avec le général Rios Montt, ex-président du Guatemala, ou Edgar Chamorro, membre de la direction de la FDN antisandiniste, à la frontière du Honduras et du Nicaragua.

C’est la même obsession, couplée à la volonté de sensibiliser l’Europe au conflit centro-américain, qui conduira la Famille à réunir à Paris, en février 1985, un extraordinaire « plateau » de généraux et d’experts internationaux pour traiter de la « menace soviétique dans la Caraïbe ». Thème central des discussions : le Nicaragua est une base russe.

Jamais, sans doute, l’hôtel Méridien n’avait accueilli un aréopage aussi guerrier : une quarantaine d’officiers américains — pour la plupart à la retraite et reconvertis dans les « boîtes à penser » et les lobbies qui militent pour « la paix par la force » et la « guerre des étoiles » ; quatre généraux et un amiral argentin ayant occupé des postes importants pendant la dictature, dont Osiris Villegas, le défenseur du tristement célèbre général Camps, symbole de la répression dans son pays ; des Chiliens ; des Centro-Américains ; le général Close, ancien membre de l’état-major de l’OTAN, et « cerveau » de la Ligue anticommuniste mondiale en Europe.., Parmi les Français : quelques gradés d’extrême droite 8 et Roland Gaucher, membre du bureau politique du Front national…

Le conseil international de sécurité qui les accueille — tous frais payés — est l’une des multiples filiales du Mouvement mises au service de la campagne centro-américaine de l’administration Reagan. L’engagement contre la révolution sandiniste coûte cher à la Famille. Mais il peut lui rapporter gros : la considération définitive de l’Amérique.

8. CAUSA-Europe réussira à « débaucher » pour d’autres séminaires les généraux à la retraite Albert Merglen — ancien patron du 2e REP — et Etienne Copel, auteur du best-seller Vaincre la guerre (Lieu Commun, Paris, 1984).


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16. Sur le terrain avec la Contra

Jon Lee Anderson n’est pas une signature très connue de la presse américaine. Pourtant beaucoup de portes s’ouvrent devant lui et il n’est pas rare qu’un scandale ou un scoop ponctue son enquête. Il travaille en effet pour l’un des plus célèbres chroniqueurs du pays, Jack Anderson, dont les révélations ont fait et défait bien des carrières politiques depuis une vingtaine d’années.

La guerre privée  229

En ce mois d’août 1984, il traîne ses guêtres le long de la frontière honduro-nicaraguayenne, en compagnie des guérilleros antisandinistes. La jungle est dense et humide, mais la saison des pluies ne semble pas affecter outre mesure des Contras bien nourris, bien entraînés et bien armés.

Jon Lee Anderson est surpris. Il pensait trouver ici des soldats démunis après l’interruption officielle, quelques mois plus tôt, de l’aide que leur apportait la CIA. Le soir, au bivouac, il interroge les officiers et découvre rapidement que «la guerre que mène l’administration Reagan contre le Nicaragua a trouvé d’autres sources de financement ». Une dizaine d’organisations conservatrices américaines — la plupart dirigées par d’anciens officiers de l’US Army — ont pris le relais de la Central Intelligence Agency. En un an, elles ont acheminé jusqu’ici près de 17 millions de dollars en espèces, en nourriture, en vêtements, en médicaments et en matériel de campagne.

La CIA n’a pas pour autant cessé d’agir. Quelques indiscrétions glanées dans les mess d’officiers honduriens, entre Tegucigalpa — la capitale — et la frontière sud, permettent à notre journaliste d’affirmer que les services secrets américains prennent toujours en charge 20 % des besoins de la Contra. Spécialement en armes et en munitions.

Officiers et dirigeants politiques de la guérilla antisandiniste n’ont pas de raisons de se taire. On leur a si souvent dit, a Washington ou à Miami, qu’ils étaient la défense avancée de l’Amérique face au marxisme ! Et surtout, pourquoi cacher l’aide de leurs amis conservateurs quand chacun peut constater ici le soutien logistique qu’apportent aux groupes privés les autorités américaines en poste au Honduras.

Tout le monde sait, par exemple, que la Setco — petite compagnie d’aviation commerciale — a été mise sur pied par la CIA pour transporter armes et bagages de la Contra. Personne ne s’offusque donc de ce qu’elle offre ses services à « Friends of America » qui en 1984 a acheminé vers les camps antisandinistes une dizaine d’équipes médicales mais aussi, si l’on en croit leurs publications, des talkies-walkies, des chaloupes, des moteurs hors-bord et du matériel électronique.

Tout le monde sait aussi que l’ambassade des États-Unis à Tegucigalpa sert de boîte aux lettres aux membres de Civilian Military Assistance, de braves boys d’Alabama et d’ailleurs qui, sous la direction d’un ancien du Viêtnam donnent, « un sacré coup de main » aux « combattants de la liberté ». Depuis 1983, ils ont fourni, à la FDN en particulier, plus de soixante tonnes d’équipement paramilitaire et près d’une centaine de conseillers militaires, de mécaniciens et de médecins. Les boys sont célèbres depuis que deux d’entre eux sont morts dans un hélicoptère abattu au combat par la DCA sandiniste.

Autre secret de polichinelle : des avions militaires américains transportent gratuitement des États-Unis au Honduras les stocks de médicaments et de nourriture accumulés au terme d’une mobilisation sans précédent de la droite. Le relais est pris sur place, le plus souvent, par des camions de l’armée hondurienne qui conduisent les précieux chargements dans les camps de réfugiés nicaraguayens situés tout près de la frontière, à proximité des bases arrière de la Contra.

Au hasard des visites et des rencontres, Jon Lee Anderson tisse patiemment la trame d’une histoire qui, dans quelques mois, fera la une de tous les grands journaux aux États-Unis : « Des citoyens américains mènent une guerre privée contre le Nicaragua sandiniste ! »

Il n’est pas au bout de ses surprises : çà et là dans les camps de réfugiés Miskitos 1, au repos, des civils et des guérilleros portent un tee-shirt rouge et blanc frappé d’un sigle peu connu : la carte des continents nord et sud de l’Amérique cerclée de deux flèches rouge et bleue. Sous le logo, cinq lettres : CAUSA. Compterait-on aussi le Mouvement de l’Unification du révérend Moon au nombre des croisés ? Des officiers de la FDN et de MISURA 2 le confirment.

Depuis l’interruption de l’aide de la CIA, au printemps 1984, les organisations moonistes sont l’une des sources principales de financement et de ravitaillement des guérillas antisandinistes. Interrogés par les reporters de BBC-TV David Taylor et Peter Kornbluh, des responsables militaires de la FDN feront la même réponse.

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1. Avec les Sumas et les Ramas, l’une des trois ethnies indiennes de la côte
Atlantique nicaraguayenne.
2. MISURA : organisation armée antisandiniste regroupant des Miskitos, des Ramas et des Sumas.

La nouvelle fait réfléchir. On a du mal à admettre qu’un mouvement religieux qui situe son action aux plans philosophique et idéologique s’investisse dans une aventure où se recyclent massivement anciens du renseignement, vétérans du Viêtnam et généraux à la retraite. Notons seulement que personne ne met en doute les déclarations d’Adolfo Calero, le président de la FDN, quand il déclare à la presse qu’une « part substantielle » de son financement en armes vient des réseaux mis sur pied par l’ancien commandant en chef des forces américaines en Corée, le général Singlaub. Ni celles du commandant en chef de la FDN, Enrique Bermudez, quand il affirme qu’une partie des fonds reçus à son état-major transitent par une très honorable institution basée à Miami et baptisée Human Development Fund.

CAUSA refuse en tout cas de se prononcer sur les déclarations faites à l’envoyé de Jack Anderson. Sa section nord-américaine répond par un bref no comment aux questions posées par les enquêteurs de l’Arms Control and Foreign Policy Caucus, le comité parlementaire qui prépare pour avril 1985 un rapport intitulé Qui sont les Contras ? Qui aide les Contras ?

CAUSA ne nie cependant pas tout en bloc. L’un de ses principaux dirigeants américains reconnaît que l’organisation « a mis en place des programmes et des canaux d’acheminement » afin de secourir les réfugiés du Honduras. David Woellner, général à la retraite et président de CAUSA-États-Unis de 1980 à 1985, estime à un million de dollars les envois effectués depuis la mi-1984 : nourriture, vêtements, jouets pour les enfants, couvertures et toiles de tentes… Pas question dans tout cela de matériel militaire ou d’espèces destinées à en acquérir.

L’opération est d’ailleurs si peu douteuse qu’elle bénéficie du concours actif de John Negroponte, ambassadeur des États-Unis au Honduras, ex-antenne de la CIA à Saigon pendant la guerre du Viêtnam. Un partisan de la manière forte contre les sandinistes, qui entretient des rapports suivis et amicaux avec les moonistes depuis que le colonel Bo Hi Pak, on s’en sou-vient, a fait de CAUSA-Honduras l’un des soutiens les plus actifs de la politique américaine dans la région (cf. chapitre
15).

CAUSA Report, publication interne de l’organisation aux États-Unis, a d’ailleurs offert à ses lecteurs une photo symbolique où l’on voit poser ensemble, tout sourire, monsieur et madame Negroponte aux côtés de monsieur et madame Woellner. La légende précise que l’ambassadeur a reçu les envoyés de CAUSA à sa résidence, à l’occasion du transfert à Tegucigalpa d’un important chargement destiné aux réfugiés.

Les petits prospectus que distribue CAUSA-États-Unis aux participants à ses séminaires ne font pas non plus mystère de ses activités à la frontière du Nicaragua. Sur papier glacé et en couleurs, ils nous transportent sur les bords du rio Coco où un responsable venu de Tegucigalpa remet un chargement à des Indiens vêtus du tee-shirt CAUSA. La photo nous montre plusieurs caisses surmontées d’une banderole tricolore « CAUSA International », entreposées sous une hutte faite de palmes et de bambou. Tout nous dit que nous sommes en pays miskito : les visages, la végétation environnante, l’architecture du dépôt.

L’arme des Miskitos  233

Avec Friends of America, l’Église de l’Unification est sans aucun doute l’un des plus fidèles soutiens de MISURA. Plus encore que CAUSA, c’est une autre filiale du Mouvement — peu connue, mais elle aussi fondée par le révérend Moon — qui œuvre dans ces régions très difficiles d’accès du Sud-Est hondurien. L’International Relief Friendship Foundation — c’est son nom — a acheminé vers ces zones insalubres où l’on manque de tout sept tonnes de nourriture et de médicaments et près de 500 kilos de vêtements. À portée de fusil des positions sandinistes qui campent de l’autre côté du fleuve, les camps de réfugiés se confondent ici avec les bases de la guérilla. Plusieurs films — dont celui de Werner Herzog — l’ont prouve.

Pour éviter de nourrir des hommes qui vont grossir les colonnes de la guérilla antisandiniste, la plupart des organisations humanitaires internationales préfèrent travailler avec le haut commissariat aux Réfugiés des Nations unies, qui a établi ses camps à plus de 25 km de la frontière.

Sans l’aide des moonistes et d’autres groupes, les quinze. cents combattants indiens du MISURA auraient bien du mal à fixer autant de bataillons sandinistes dans les marécages du Nord-Est nicaraguayen. Et le mythe du soulèvement massif des populations indiennes aurait du mal à survivre.

« Steadman Fagoth Muller, le leader de MISURA, entretient d’excellentes relations avec nous », m’avouera sans la moindre gêne Pierre Ceyrac, le secrétaire général de CAUSA-Europe, un an après l’enquête de l’envoyé de Jack Anderson. « Le cameraman et réalisateur de CAUSA, Lee Shapiro, a d’ailleurs tourné un excellent film sur le génocide des Miskitos par les sandinistes, pour les télévisions américaines… » Fils de pasteur de l’Église morave — secte protestante majoritaire chez les Indiens de la côte atlantique du Nicaragua —, tenté un moment par la révolution puis combattu par les sandinistes qui l’accusent d’avoir autrefois travaillé pour les services de Somoza, Steadman Fagoth sait ce qu’il doit à ses amis moonistes. Il est le seul représentant des mouvements antisandinistes à assister à la première conférence panaméricaine de CAUSA, en février 1984, à Montevideo.

Comme chacune des cent cinquante organisations qui articulent le grand corps mooniste, l’IRFF — en français la Fondation mondiale de secours et d’amitié — est une structure internationale qui vit des deniers du Mouvement de l’Unification. La branche américaine est née en 1976 d’un don de l’Église de 225 000 dollars et, dix ans plus tard, c’est encore l’Église qui alimente son budget à 90 %. CAUSA lui prête parfois main-forte : au cours de l’été 1984, les services du général Woellner paient 3 000 dollars de frêt aérien pour un chargement de l’IRFF destiné au Honduras. C’est un bon exemple de la souplesse d’affectation des fonds et de l’interchangeabilité des fonctions au sein du Mouvement en cas de nécessité ou d’urgence.

Bien plus que CAUSA ou le groupe de presse de News World Communications, l’IRFF met en œuvre la volonté de Moon. A la différence des instruments politiques du Mouvement, dont la direction est en partie confiée à des non-moonistes, par souci de crédibilité et d’efficacité, la « branche humanitaire » est presque totalement entre les mains des « religieux ». Son président est un haut dignitaire de l’Église, le révérend Chung Hwan Kwak, l’un de ces mystérieux Coréens qui partagent l’intimité communautaire du Belvedere, l’imposante résidence new-yorkaise de M. et Mme Moon et de leurs enfants. Un homme peut-être plus puissant encore que le colonel Bo Hi Pak. Jean-Pierre Gabriel, le directeur de la revue CAUSA en France, en parle de cette voix douce et contenue qui caractérise les « frères aînés » de la Famille. Derrière l’admiration perce le respect, voire la crainte : « Le révérend Moon a deux bras droits, le colonel Pak et le révérend Kwak. Il n’est aux États-Unis que depuis cinq ou six ans. Il a la haute main sur l’Église, sur ses activités missionnaires. Nous lui devons la dernière version écrite, publique, des “Principes divins”, notre Bible. Il est responsable de l’orthodoxie de notre enseignement… »

C’est donc dans le saint des saints, tout près du « Père », qu’a été prise la décision de soutenir prioritairement, quoi qu’il en coûte, la guérilla Miskito et les réfugiés qui constituent son réservoir naturel. Le calcul des stratèges moonistes ne manque pas de pertinence. On pourrait pourtant s’interroger sur l’efficacité des quinze cents combattants du MISURA, affaiblis par les querelles de leurs chefs issus d’ethnies différentes, mal entraînés et, par tradition, étrangers aux guerres nicaraguayennes.

Ce serait vite oublier que, depuis 1980, le problème miskito reste le meilleur atout politique des Américains dans la partie que Washington a engagée contre les sandinistes. Ce sont les déplacements massifs d’indiens de la côte Atlantique qui ont motivé les premières attaques de l’Église officielle contre le gouvernement de Managua. C’est l’accusation de « génocide des Miskitos » qui a convaincu l’opinion publique américaine — toujours tentée de racheter les crimes de ses massacreurs d’Apaches — de la perversité des commandants nicaraguayens. C’est le dossier « côte Atlantique » qui envenime les relations entre les sandinistes et la social-démocratie européenne.

Les grands médias de droite l’ont vite compris qui, en quelques mois, feront de cette communauté indienne de 150 000 âmes le peuple élu de l’information internationale. Passés à la moulinette de l’histoire par des dictatures successives, les Indiens guatémaltèques — ils sont plusieurs millions — n’auront pas droit à tant d’égards.

Certes, la chronique sanglante des crimes sandinistes en terres indiennes ne sera pas toujours écrite d’une plume convaincante. En France, Le Figaro-Magazine va jusqu’à publier un faux magistral : la photo de plusieurs cadavres en flammes. La légende attribue les corps aux Miskitos et le massacre à l’Armée populaire sandiniste. Vérification faite, la photo a été prise quelques années plus tôt, pendant la guerre civile sous Somoza et c’est la Croix-Rouge qui manie les allumettes… En 1979, les morts pourrissent au bord des routes…

Qu’importe ! Dans les grandes lignes, l’état-major mooniste ne se trompe pas : quand, au printemps 1984, la CIA coupe officiellement les vivres à la Contra, les rebelles indiens de la côte gèrent un capital de sympathie enviable, tandis que les dirigeants civils de la FDN tentent, sans succès, de faire oublier que leur état-major est à 99 % composé d’officiers somocistes. Il est donc indispensable de convaincre l’opinion et les gouvernements occidentaux que la Contra, c’est aussi les rebelles Miskitos. Les efforts déployés par l’IRFF et CAUSA au Honduras y contribuent. Des camps honduriens de Rus Rus et Pranza à Puerto Lempira au Nicaragua, Jon Lee Anderson a vu leurs militants à l’œuvre, discrets mais efficaces.

Des agents-disciples  236

L’idée de fondre les anciens officiers de Somoza dans un ensemble plus présentable fait aussi son chemin à la CIA, depuis le début de la guerre secrète, peu après la première élection de Ronald Reagan en 1980. Il s’agira, dans un premier temps, de les associer au sein de la FDN à quelques civils tels qu’Adolfo Calero. Le président de la Fuerza Democratica Nicaraguense présente en effet un profil rêvé : très conservateur, il s’est pourtant opposé à Somoza pendant la dictature.

On tentera ensuite de réunir sous un même drapeau — aux couleurs de liberté — les partisans de l’ancien dictateur et certains de leurs ennemis d’hier. Tels Eden Pastora, le fameux commandant Zéro du Front sandiniste, et Alfonso Robelo, membre de la première junte de gouvernement après la Révolution, tous deux entrés en dissidence armée avec Managua. L’opération échouera, Pastora refusant catégoriquement de dialoguer avec certains tortionnaires somocistes. Malgré les pressions constantes et parfois brutales de la CIA.

Une fois de plus, un petit détour par les services secrets américains nous rapproche de notre propos. Car, dès le début de la guerre, CAUSA International tente aussi de réunifier les différentes tendances de la Contra.

Un dissident de la FDN l’affirme. Fernando Chamorro, surnommé « El Negro », était jusqu’en 1984 membre du directoire de l’organisation, chargé des relations extérieures. Il la quitte, se rendant à l’évidence qu’il est impossible de purger son état-major des éléments les plus compromis dans la répression somociste. Jon Lee Anderson, notre enquêteur, le rencontre à plusieurs reprises avant et après son départ de la FDN. « El Negro » lui parle pour la première fois des moonistes une nuit de 1983 à Tegucigalpa, au hasard d’une discussion marathon qui les tient éveillés jusqu’à l’aube : il a accepté l’année précédente une invitation de Bo Hi Pak — qui l’a contacté personnellement — à se rendre, tous frais payés, en Californie pour participer à une tentative de fédération de l’opposition nicaraguayenne. Aux chefs rebelles et aux leaders de l’émigration présents à San Francisco, les responsables moonistes ont tenu un langage très clair : unissez-vous et nous vous offrirons une aide financière importante.

Pour le lecteur perdu dans la jungle de la guerre secrète centro-américaine, l’auteur voudrait ici disposer quelques repères: les révélations d’« El Negro » éclairent d’un jour nouveau les activités des « politiques » du Mouvement de l’Unification. Il ne s’agit plus d’assurer la subsistance de réfugiés Miskitos qui demain peut-être porteront l’uniforme des guérilleros du MISURA. Il s’agit de restructurer et de financer une armée qui fait la guerre à un gouvernement reconnu par la communauté internationale. Une guerre qui, début 1985, a déjà coûté 7 968 victimes au Nicaragua.

« El Negro» Chamorro n’assistera pas aux réunions suivantes à Washington et Chicago. Entre Bo Hi Pak et lui le courant ne passe pas. Il a trouvé les moonistes « étranges », et demande à Jon Lee Anderson des précisions sur le Mouvement de l’Unification. Mais il suit la situation d’assez près pour confier au journaliste qu’une partie de l’aide promise est, en 1984, sur le point d’être débloquée.

Le 16 août 1984, le Washington Post publie une chronique de Jack Anderson au titre explosif: la CIA et les moonistes collaborent dans la guerre contre les sandinistes. Ses premiers mots plongent l’Amérique libérale, incrédule, dans un abîme de réflexion : « Dans les montagnes d’Amérique centrale, il est parfois difficile de faire la distinction entre agents de la CIA et disciples du révérend Sun Myung Moon… »

Incarcéré depuis peu à la prison de Danbury, dans l’État du Connecticut, pour fraude fiscale, le fondateur de l’Église de l’Unification peaufine pendant ce temps les thèmes de la campagne que son mouvement va bientôt lancer dans le monde entier. Il retient deux idées-forces : au pays de la liberté, Moon est victime de persécution religieuse. Et, last but not least, c’est son anticommunisme qui vaut au révérend autant d’ennemis !

Le Washington Times, le journal dirigé par le colonel Bo Hi Pak, reprendra systématiquement ces deux arguments dans les quelques éditoriaux consacrés à l’emprisonnement du « Nouveau Messie ».

Les éminents spécialistes du monde du renseignement qui peuplent la rédaction — en contact permanent nous le verrons avec la Maison-Blanche et le Pentagone — ne se donneront pas la peine de commenter les accusations portées par Jack
Anderson.

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LISTE DES PRINCIPAUX SIGLES UTILISÉS

AUCM : Association pour l’unification du christianisme mondial.
ADFI : Association pour la défense de la famille et de l’individu.
CAUSA : Branche politique de l’Église de l’unification (AUCM).
CIEL : Comité des intellectuels pour l’Europe des libertés.
MURS : Mouvement universitaire pour la révolution spirituelle.
FLEC : Front de libération du Cabinda.
APVSM : Association pour la promotion des valeurs spirituelles et morales.
KAPA : Association politique coréano-américaine.
UCI : Unification Church International.
KCIA : CIA coréenne.
KCFF : Fondation coréenne pour la culture et la liberté.
APACL : Ligne anticommuniste des peuples d’Asie (branche asiatique de la WACL).
WACL : World Anticommunist League (Ligne anti-communiste mondiale).
AIM : Accuracy in Media.
ASC : American Security Council.
USCW : United States Council For World Freedom.
FIVC : Fédération Internationale pour la Victoire sur le Communisme.
ACWF : American Council for World Freedom.
FLF : Freedom Leadership Foundation (Fondation pour la suprématie de la liberté).
CIRPO : Conférence internationale des résistances en pays occupés.

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« L’empire Moon » pages 1-176

« L’empire Moon » pages 177-238

« L’empire Moon » pages 239-314

« L’empire Moon » pages 315-419

J’ai arraché mes enfants à Moon – Nansook Hong

« L’ombre de Moon » par Nansook Hong

Transcription de Sam Park vidéo en Français

« Billet pour le ciel » par Josh Freed

Témoignages d’anciens membres de la secte Moon 

Moon La Mystification