L’ombre de Moon – 3

« L’ombre de Moon » par Nansook Hong, partie 3


La famille Moon se réunit pour une fête d’anniversaire typique pour l’un des enfants de Sun Myung Moon. Des fruits sont empilés sur la table d’offrande devant nous. Je suis derrière, deuxième à partir de la droite. Hyo Jin est au bout de la même rangée.


Chapitre 6

Alors que j’étais enceinte de leur petit-enfant, les Moon attendaient leur treizième bébé.

À la naissance de son dixième enfant, l’obstétricien avait prévenu Hak Ja Han qu’une prochaine grossesse risquait de la mettre en danger. Le Révérend Moon l’avait fait changer de docteur. Il avait l’intention de donner au monde le plus grand nombre possible de Vrais Enfants… Même s’il ne se fatiguait pas à les élever.

À peine la Vraie Mère et le Vrai Père avaient-ils un nouveau bébé qu’une sœur de l’Église le prenait en charge. Au cours des quatorze années passées au Jardin de l’Orient, je n’ai jamais vu le Révérend Moon ou sa femme moucher un nez ou jouer avec les petits.

Le Révérend Moon avait une explication théologique toute prête : le Messie venait en premier. Ce que j’avais enduré dans ma propre enfance comme fille de ses disciples originels. En son nom, les fidèles devaient consacrer leur vie au prosélytisme, la poursuite d’un bonheur personnel familial étant considérée comme de l’auto-indulgence.

Le Révérend Moon avait désigné parmi ses premiers disciples des couples qui assumaient la responsabilité de développer moralement et spirituellement chacun de ses enfants. Assumer soi-même ses devoirs parentaux, expliquait-il, était se laisser distraire de sa mission : la conversion du monde à l’Unificationnisme.

Sun Myung Moon n’était pas inconscient de l’amertume que son attitude provoquait chez ses enfants.

« Mes fils et mes filles disent souvent que leurs parents ne pensent qu’aux membres de l’Église de l’Unification, surtout aux trente-six couples », déclara le Révérend Moon au cours d’un discours à Séoul, quelques mois avant mon mariage.

« Je prends le petit déjeuner avec les trente-six couples, et je chasse même mes propres fils et filles. Naturellement, mes enfants se demandent « pourquoi nos parents font-ils ça ? ». Même lorsque nous sommes ensemble, ils ne semblent pas tenir à nous. »

« Il est indéniable que j’ai aimé nos membres de l’Église plus que n’importe qui et que j’ai négligé femme et enfants. Le Ciel le sait. Si nous continuons de vivre ainsi, en négligeant notre famille, alors le monde et la nation finiront par comprendre. Nos femmes et nos enfants comprendront aussi. C’est la voie que l’on doit suivre. »

Le Révérend Moon et sa femme n’avaient aucune idée des problèmes réels que leur comportement faisait naître. Peu de temps après mon entrée à Irvington, In Jin et Heung Jin quittèrent Hackley et m’y rejoignirent. Père affirma qu’ils avaient quitté cette école privée parce que leur religion leur attirait des moqueries de la part des professeurs. La vérité était que les enfants Moon étaient des élèves pénibles. Une fois à l’école publique, ils adoptèrent la tenue vestimentaire, la façon de parler et le comportement des étudiants les plus marginaux. Ils changèrent même de noms, adoptant des patronymes occidentaux. In Jin, par exemple, se fit appeler Christina pendant un temps, puis, Tatiana. Lorsque Hyo Jin se joignait à elle pour des fêtes, il prenait le nom de Steve Han.

Les enfants Moon cherchaient par tous les moyens à mettre de la distance entre eux et la Vraie Famille. Ils prenaient, pour la plupart, un plaisir pervers à ignorer toutes les doctrines de leur religion. Les Moon y faisaient à peine attention. Il faut dire que, ce printemps-là, ils avaient à affronter des problèmes plus importants : Père était sur le point de comparaître en justice pour fraude fiscale.

L’automne précédent, une cour fédérale de New York avait mis Sun Myung Moon en examen. Il était accusé d’avoir fait des fausses déclarations de revenus pendant trois ans, d’avoir oublié de déclarer à la fois 112 000 dollars d’intérêts gagnés sur une somme de 1,6 millions et l’acquisition d’un stock d’une valeur de 70 000 dollars. Un de ses assistants fut accusé de parjure, de complicité et de résistance à la justice pour avoir caché et fabriqué des documents afin de couvrir le délit du Révérend Moon.

Au retour d’un voyage en Corée, le Révérend Moon se rendit au palais de justice pour plaider non coupable. Il déclara aux deux mille cinq cents journalistes réjouis, qui l’attendaient au bas des marches, qu’il était victime de persécution religieuse et de sectarisme racial.

« Je ne serais pas ici aujourd’hui si ma peau était blanche et si j’étais presbytérien. Je suis ici aujourd’hui parce que ma peau est jaune et que j’appartiens à l’Église de l’Unification. »

Père avait fait un discours similaire, quelques mois plus tôt, en Grande-Bretagne, lorsqu’un jury populaire l’avait débouté de sa plainte pour calomnie contre le Daily Mail, au terme d ’un procès de six mois. Ce jury avait donné raison au journal qui avait écrit que l’Église de l’Unification était une secte qui pratiquait le lavage de cerveau et séparait les gens de leur famille.

La Cour Suprème avait décrété que le mouvement était « une organisation politique » et, à ce titre, avait exigé que le gouvernement révisât son statut d’association caritative, et donc son exonération fiscale. Elle avait condamné l’Église de l’Unification à payer les dépens, soit 1,6 millions de dollars, à la fin du procès qui avait été le plus long et le plus onéreux de l’histoire britannique.

À New York, Père avait été relâché grâce à une caution de 250 000 dollars, payée à la fois par l’Église de l’Unification et une de ses sociétés, One Up Enterprises. Le procès commença le 1er avril. En dépit de sa grossesse avancée, Mme Moon accompagna tous les jours Père au tribunal. Un Jin et moi n’y allâmes qu’une seule fois. Je ne compris pas grand-chose à ce qui se passait, à cause de ma méconnaissance de l’anglais, mais j’eus la certitude de savoir ce que faisait Sun Myung Moon dans ce tribunal : il était persécuté, non pas poursuivi.

Père nous expliqua que sa mésaventure faisait partie de la longue histoire du sectarisme religieux, aux États-Unis. Lorsque les premiers pionniers étaient venus en Amérique du Nord chercher la liberté de culte, ils n’avaient trouvé qu’intolérance.

Dans ses sermons du dimanche matin, au Belvédère, il nous parla des femmes innocentes pendues comme sorcières dans le Massachusetts, des quakers lapidés dans le Sud, des mormons assassinés dans l’Ouest. L’administration fiscale américaine faisait partie de ce complot honteux.

Chaque matin, la famille et le personnel se rendaient en pèlerinage à Holy Rock, une clairière située dans la propriété du Jardin de l’Orient que Père avait bénie. C’était un endroit vierge, magnifique, surplombant le cours de l’Hudson. Lorsqu’on y priait, on se sentait plus proche de Dieu et à des années-lumière du XXe siècle. C’était un lieu propice à la contemplation, peu différent ce qu’il avait dû être, en 1609, lorsque Henry Hudson avait exploré cette partie de New York.

Père méditait à Holy Rock tout seul, avant l’aube, tous les matins. Les Dames de prières, les femmes plus âgées, dont ma mère, y organisèrent des veillées quotidiennes pendant les six semaines du procès. Parfois, les Vrais Enfants et les Enfants Bénis du quartier s’y réunissaient pour demander à Dieu l’exonération de Père. Il faisait froid sur cette colline et j’étais enceinte. Bien que glacée de l’intérieur, mes malaises n’étaient rien en comparaison de la souffrance de Père…

Lorsqu’en mai, Père fut reconnu coupable, beaucoup versèrent des larmes. Mais, en dehors du cercle de ses intimes et de ses conseillers, peu comprirent la gravité de la situation. Aucun d’entre nous n’imagina que le juge Gerard Goettel put condamner Père à quatorze ans de prison, comme il en avait le pouvoir. La décision plus récente d’un autre tribunal de New York, qui estimait que l’Église de l’Unification était bien une organisation religieuse et méritait un abattement fiscal, avait redonné le moral à tout le monde. Si certains craignaient que Sun Myung Moon n’allât en prison, le plus grand nombre se réjouissait à l’idée qu’il pût garder son argent.

Deux mois plus tard, le juge Goettel condamna le Révérend Moon à dix-huit mois de prison et à une amende de 25 000 dollars. Père accepta la sentence, si stoïquement et si joyeusement, que je me demandai s’il n’avait pas réellement envie d’être incarcéré. Aujourd’hui, cette idée ne me paraît plus aussi absurde.

Dans l’esprit de Moon, cet emprisonnement — ce martyre — était providentiel. Mose Durst, président de l’Église de l’Unification Américaine, compara la condamnation de Père à celle de Jésus-Christ : « pour trahison contre l’État ».

Les avocats du Révérend Moon firent appel immédiatement de la décision.

« Nous avons la plus grande confiance dans la justice de notre pays, notre chef spirituel sera complètement lavé de tous soupçons, déclara Mose Durst à la presse. Comme tous les grands leaders religieux, il a connu la haine, la ségrégation et l’incompréhension. »

Afin de répondre aux menaces du ministère public qui demandait l’expulsion du Révérend Moon, l’Église s’alloua les services du professeur de Harvard, Laurence Tribe, un expert en droit constitutionnel.

« Expulser Moon serait le priver de tout contact avec ses enfants, âgés de deux mois à six ans, nés aux États-Unis », argumenta Tribe. La stratégie porta ses fruits. Le juge Goettel admit que l’expulsion serait « une punition excessive ». Il ajouta que l’animosité des gens envers le Révérend Moon rendait sa décision « difficile, impopulaire auprès de nombreuses personnes ».

Père fut autorisé à rester chez lui, en attendant l’appel.

Il ne semblait pas déconcerté par sa condamnation. Cet été-là, alors que Hyo Jin était encore en Corée, je l’accompagnai, lui et sa femme, à Gloucester, dans le Massachusetts où l’Église possédait une flottille de bateaux de pêche et une usine de retraitement. Le Révérend Moon avait soi-disant acheté cette flotte, appelée « l’Église de l’Océan », pour nourrir les peuples affamés. Nous soupçonnions que sa passion de la pêche l’y avait poussé. À Gloucester, Père possède le Jardin du Matin, un château qu’il a acheté à l’Église catholique. (Les noms de toutes les résidences de Moon évoquent le Jardin d’Éden : il y a le Jardin de l’Orient, le Jardin du Matin, le Jardin du Nord, en Alaska, où Père possédait aussi une flottille de bateaux de pêche et deux pêcheries industrielles à Kodiak ainsi qu’une troisième dans la baie de Bristol, le Jardin de l’Occident à Los Angeles, le Jardin du Midi en Amérique du Sud et un immense domaine à Hawaii.)

Ce même été. Père loua également une maison à Provincetown, à l’extrémité du Cap Cod, pour pêcher en toute tranquillité. J’eus pour responsabilité de prendre soin de Mère et des enfants, sur la plage, pendant que les Sœurs cuisinières préparaient le repas.

Je servais le déjeuner familial sur la plage, séchais les enfants après leur bain, bref, me comportais comme la dame d’honneur de Mme Moon. Le travail était frustrant et ingrat. Je n’étais autorisée à nager, me promener et me rendre dans la salle de bains que si je l’accompagnais. J’étais là pour la servir, pas plus, pas moins. La nuit, je dormais dans un sac de couchage, en compagnie de ses enfants, ses cuisinières et ses bonnes. Elle se félicitait de nous offrir des vacances relaxantes mais elle était la seule, avec ses enfants, à se reposer.

En dépit de ma propre grossesse, j’avais l’impression d’être une jeune servante dans la maisonnée Moon. Lorsqu’ils résidaient au Jardin de l’Orient, j’étais contrainte de me lever avant eux et de les attendre devant la porte de leur chambre. En tant que belle-fille, il était de mon devoir de leur servir à manger et de prévenir tous les besoins de Mme Moon. Les week-ends, et en période de vacances scolaires, je passais mes journées avec elle. La plupart du temps, j’attendais qu’elle me demande d’aller lui chercher quelque chose, de lui servir à boire, à manger ou de l’accompagner quelque part. Je passais des heures à regarder des cassettes de soap operas coréens stupides quelle affectionnait et que je détestais. Je devais être attentive, pour le cas où elle commenterait l’intrigue.

Je prenais mes repas à la cuisine, avec les enfants, tandis que les Vrais Parents dînaient avec les représentants de l’Église et les dignitaires de passage. Père ne parlait jamais des développements de son procès avec nous ; les informations nous parvenaient par les bruits de couloir. À ses yeux, nous n’étions que des enfants.

Cela ne me gênait pas. La cuisine était le seul endroit chaleureux. On aurait presque dit un vrai foyer : les petits y renversaient leur lait et les plus vieux parlaient de leur école. Je donnais souvent à manger à Yeon Jin, dans sa chaise haute. Hyung Jin marchait à peine. Je l’emmenais jusque dans les collines du Jardin de l’Orient, où nous ramassions des fleurs sauvages. Je grandissais avec les enfants Moon davantage comme une sœur que comme une belle-sœur.

J’allais parfois avec Un Jin à la ferme New Hope, l’écurie que le Révérend Moon avait achetée, à Port Jervis. Cavalière accomplie, Un Jin adorait les chevaux. L’équipe d’Équitation Olympique de Corée du Sud, financée par le Révérend Moon, s’y entraînait. Un Jin en devint membre en 1988. Un grand merci à l’argent de Sun Myung Moon !

Heung Jin fut le seul autre enfant, parmi les aînés, à me montrer de la gentillesse au cours de ma première année au Jardin de l’Orient. Il était plus jeune que moi de quelques mois. C’était un gentil garçon. Il élevait une chatte dans sa chambre. Lorsqu’elle avait des petits, il ne parvenait pas à s’en séparer. Parfois, on le retrouvait en train de dormir dans la petite alcôve réservée au téléphone, à côté de sa chambre, car les chats l’avaient quasi empêché de se glisser dans son lit. Le jour de mon anniversaire, le premier hiver, il m’acheta des roses, un geste particulièrement mémorable. Hyo Jin, lui, ne m’offrit même pas une carte.

Au cours de l’été et de l’automne, je pris des cours de perfectionnement en anglais, tentant de cacher ma grossesse à mes camarades de classe qui, pour la plupart, parlaient espagnol.

Mme Moon venait de renvoyer ma mère en Corée auprès de mes frères et sœurs, et je me retrouvais plus seule que jamais.

Je vivais ma grossesse avec plus de peur que de joie. Je souffrais de nausées matinales, dont je ne connaissais pas l’explication. J’envisageais les pires maladies…

Hyo Jin était rarement à la maison. Lorsqu’il s’ennuyait — c’était fréquent — il partait en Corée pour « un programme de sept ou vingt et un jours », des sessions religieuses organisées par l’Église. On apprenait, par des sources dans le pays, que Hyo Jin passait son temps avec des serveuses de bar ou d’anciennes petites amies. Lorsqu’il était au Jardin de l’Orient, il m’obligeait à faire l’amour, toutes les nuits, bien que je lui dise que cela me faisait mal. Le plus pénible à vivre était le dégoût qu’il exprimait en voyant ma taille déformée et mes hanches alourdies. Je considérais cela comme un miracle, lui, comme un affront. Il m’appelait la « grosse » et la « mocheté ». Pendant nos relations, il m’ordonnait de couvrir mon ventre…

D’après le Révérend Moon, il me fallait prier plus fort pour obtenir la Rédemption de Hyo Jin, la paternité allait le transformer. Il demanda aussi très sérieusement que l’on prie pour la santé du bébé à naître. Personne n’en parlait mais je savais que tout le monde craignait que le fœtus pût avoir des séquelles liées à la boisson, ou à la drogue, ou encore au comportement sexuel risqué de son père.

J’allai seule aux cours de préparation à l’accouchement, méthode Lamaze. Un chauffeur m’accompagnait, avec mes deux oreillers, à l’hôpital Phelps. Toutes les femmes enceintes venaient avec leur partenaire, attentif. Je fis équipe avec une infirmière.

J’avais l’impression que Dieu l’avait envoyée pour m’aider. En regardant les couples aimants qui se préparaient à la naissance de leur bébé, mon cœur saignait. Les femmes discutaient de berceaux et de sièges autos, des mérites respectifs des marques de couches. Les hommes paraissaient déconcertés, mais fiers, et plaçaient gentiment leurs paumes sur le ventre de leurs femmes. Hyo Jin se moqua de moi quand je lui proposai d’en faire autant. Pendant les six semaines de cours, je ne parlai à personne. Je me demandais ce qu’on pensait de moi. J’étais seule et tellement plus jeune qu’elles. Je devais avoir l’air pitoyable. La vérité, que je repoussais toutes les nuits, s’imposa finalement à moi : Hyo Jin se moquait bien de moi et de notre bébé.

Ma mère revint au Jardin de l’Orient, en janvier, pour la naissance prévue début février. Elle s’installa au rez-de-chaussée du Cottage. Cela me rassura, car Hyo Jin était rarement là.

Le 27 février, j’eus mes premières contractions. Le bébé avait trois semaines de retard. Hyo Jin était rentré de Corée mais, malgré la naissance imminente, il passait ses soirées dans les bars, à New York. Ma mère me fit marcher dans toute la maison pour me soulager mais à 22 h, elle appela le docteur. Un agent de sécurité du Jardin de l’Orient nous emmena à l’hôpital, Hyo Jin ne s’étant pas soucié de nous laisser un numéro de téléphone où l’on pouvait le joindre.

J’étais terrifiée. Au cours des quinze minutes de trajet, la douleur s’intensifia. Je ne comprenais pas ce qui arrivait à mon corps. Même si je n’avais manqué aucun cours de préparation à l’accouchement, et si j’avais lu quantité de livres sur le travail et la délivrance, rien ne m’avait préparée à la douleur violente qui s’emparait de moi à chaque contraction. Je ne parvenais pas à me détendre, dans la voiture. À chaque nid de poule, chaque virage, j’avais l’impression qu’un couteau me poignardait le ventre.

Ma mère resta avec moi durant cette longue nuit. Elle me tint la main et sécha mes larmes. Toutes les heures, je suppliai les infirmières de vérifier l’état de mon col de l’utérus. Un centimètre. Deux centimètres. Il s’ouvrait à une lenteur épouvantable. Les minutes passaient. Je pensais que la nuit ne s’achèverait jamais, que ma peau allait se déchirer. J’étais sûre que j’allais mourir.

Hyo Jin n’apparut pas de la nuit. Lorsqu’il arriva au petit matin, il semblait planer. Il me regarda pleurer et gémir à chaque nouvelle contraction. Puis, soudain, il s’évanouit. C’était presque drôle de voir cet homme, ce faux dur, étalé de tout son long sur le sol de la salle de travail. Les infirmières éclatèrent de rire, en le relevant. Peut-être, dans une autre circonstance, aurais-je pu en rire, moi aussi… Là, je ne voyais qu’une chose : une fois de plus, alors que j’avais besoin de lui, il m’abandonnait.

Mme Moon patientait, dans la salle d’attente, avec les Dames de prières et les voyantes. Ces dernières avaient envoyé un mot dans la salle de travail pour dire que le bébé devait absolument naître avant midi pour qu’il obtienne le meilleur futur possible.

Le docteur se montra coopératif : « Si c’est votre culture, me dit-il, je ferais ce que je peux. » Au moment de la délivrance, ma mère fut obligée de sortir. Heureusement, les infirmières furent merveilleuses. Je reconnais que j’étais furieuse lorsqu’elles rirent de mes poussées inefficaces. La tête du bébé émergeait puis repartait. Je n’avais pas la force. Le docteur pratiqua une épisiotomie et sortit le bébé au forceps.

C’était une fille. Elle avait une masse de cheveux noirs et des marques rouges sur le visage. Ses yeux étaient fermés. Je me sentis désolée pour elle.

Elle était si petite et semblait si fragile — elle pesait juste trois kilos—que j’avais peur de la tenir. Je sentais la désapprobation des infirmières. Elles échangèrent un regard lorsque, au début, je refusai de prendre le bébé. Je ne voulais pas qu’elles croient que je n’aimais pas ma fille. Rien n’était plus éloigné de la vérité. J’étais seulement très jeune et effrayée.

Suivant les instructions de Sun Myung Moon, on l’appela Shin June. Les noms de tous les enfants de la troisième génération commencent par « Shin » ce qui veut dire « Foi ». Les noms des jeunes filles de ma génération se terminent par « Sook » qui se traduit par « pure ». Ainsi, mon nom « Nansook » signifie « fleur pure ».

Dans la salle d’attente, la nouvelle de la naissance d’une fille fut accueillie avec la déception prévisible. Mon devoir était de faire un petit-fils : une fois de plus, pour les Moon, j’avais échoué. La réaction aurait été la même en Corée, même en dehors de l’Église de l’Unification. Dans ma culture, les garçons ont davantage de valeur. Mais ma responsabilité d’accoucher d’un fils était liée à l’avenir de l’Église de l’Unification. Hyo Jin Moon, fils aîné du Vrai Père et de la Vraie Mère allait hériter de la mission de l’Église. Il était de mon devoir de donner naissance à un garçon qui succéderait ensuite à Hyo Jin.

Je me sentais complètement incompétente avec Shin June.

Elle n’arrivait pas à attraper mon sein et je ne savais que faire pour l’aider. Les infirmières, à la maternité, manquaient de patience, à cause de ma jeunesse et de ma difficulté à m’exprimer en anglais.

Je compris immédiatement ce qu’entendaient les femmes par instinct maternel. Je n’avais jamais rien vu de plus miraculeux que les petits doigts de mon bébé, rien vu de plus doux que sa peau translucide, jamais rien connu de plus rassurant que sa respiration tranquille. Même si je ne savais pas comment m’y prendre, je regardais mon enfant et sentais monter en moi un amour que je n’avais jamais ressenti auparavant. Ensemble, Dieu, Shin June et moi, nous y arriverions !

Nous fûmes autorisés, toutes deux, à sortir de l’hôpital le 3 mars, à 13 h 30. Hyo Jin nous ramena dans la voiture du Père au Jardin de l’Orient. Le Révérend Moon nous y attendait pour bénir le bébé.

J’ai pensé qu’il insistait dans sa prière pour que Dieu travaille à restaurer Hyo Jin grâce à sa paternité.

Malgré la naissance du bébé, il n’y eut aucun changement miraculeux dans l’attitude de Hyo Jin. Il resta avec nous, la première nuit, avant de repartir, dès le lendemain, faire la tournée des bars.

Maman resta avec moi plusieurs mois pour m’aider à m’occuper du bébé. Je me sentais coupable d’avoir autant besoin d’elle. L’aisance avec laquelle elle s’occupait de Shin June ne faisait que souligner mes manières maladroites. J’aurais été perdue sans elle, mais cela m’attristait de la laisser seule, la nuit, avec ma fille pendant que je dormais. Même si j’aimais Shin June de toutes mes forces — et peut-être à cause de cet amour —, cette période fut probablement la plus solitaire de toute ma vie.

Je commençai à tenir un journal après la naissance de ma fille. Lorsque je le relis aujourd’hui, je pleure sur la fillette que j’étais. Ce journal est le testament de ma jeunesse — sa couverture représente un portrait de Snoopy, le célèbre chien du dessin animé.

6 mars 1983 : Hyo Jin est rentré, la nuit dernière, à 2 h du matin et a dormi jusqu’à 14 h. Puis, il est sorti cette nuit avec Jin-Kun Kim.

Dans l’Église de l’Unification, une cérémonie de consécration a lieu huit jours après la naissance d’un bébé. Le nombre huit signifie un nouveau départ dans la numérologie unificationniste. La cérémonie n’est pas un baptême, puisque les Enfants Bénis, issus des Familles Bénies, sont nés sans péché originel. La consécration est davantage une prière de remerciement à Dieu pour la naissance de l’enfant.

La consécration de Shin June eut lieu le 7 mars. Mon journal mentionne l’événement :

« Hyo Jin tenait le bébé. Père priait. Shin June est passée de bras en bras. Tout le monde l’a embrassée sur la joue. Pendant le petit déjeuner, Mère a tenu Shin June tout le temps. Elle était dans un bon jour. Elle m’a dit qu’elle ressemblait à Hyo Jin à sa naissance. Père a trouvé que ses yeux étaient ceux d’un oiseau mystique. Selon lui, cela voulait dire qu’elle serait spirituelle. Les Occidentaux ont les yeux ronds, signe de réflexion. Ceux des Orientaux ressemblent à des flaques sombres que l’on ne peut pénétrer. D’après Père, cela signifie que nous avons un cœur plus grand et plus profond. »

Le lendemain soir, cinq jours seulement après notre retour de l’hôpital, Hyo Jin s’envola pour la Corée. Il n’était pas obligé de partir. Je pense qu’il voulait s’éloigner, fuir les responsabilités que nous représentions.

« J’essaie de croire que je suis moins triste que d’habitude, puisque Shin June est avec moi. Mais, après l’avoir mise dans son berceau et être allée dans ma chambre, je suis submergée par la solitude. J’ai le sentiment d’avoir un énorme trou dans le cœur. Je suis triste et vide ». Voilà ce que j’écrivais ce jour-là dans mon journal.

« Je prie Dieu pour que Hyo Jin arrive sain et sauf en Corée. Je remercie Dieu de m’avoir donné Shin June pour combler mon cœur solitaire et triste. Mes larmes n’arrêtent pas de couler. »

J’aurais voulu que Hyo Jin partage ma joie devant notre précieuse fille, mais je savais qu’à peine arrivé en Corée, il nous avait oubliées.

« Je me demande si Hyo Jin est bien arrivé en Corée. Je lui ai demandé de me téléphoner en arrivant, mais je ne m’attends pas à ce qu’il le fasse, écrivais-je encore. Je vais attendre plusieurs jours et puis je l’appellerai. J’ai décidé de prendre quelques jolies photos de Shin June et de les lui envoyer. »

Pendant les premières semaines, j’eus des difficultés pour fixer de telles images. Comme la plupart des bébés, Shin June avait du mal à trouver le sommeil. Elle pleurait toute la nuit et dormait le jour. Ma mère était épuisée et j’étais hantée par la culpabilité :

« Maman a élevé ses enfants et aujourd’hui, elle élève sa petite-fille. Je me sens coupable de la faire souffrir ainsi. En fait, je ne sais pas grand-chose. Je me sens coupable envers Shin June et je remercie maman.

« J’ai donné le bain à Shin June. Je lui ai lavé les cheveux et je l’ai mise dans la baignoire. Je n’ai même pas réussi à la laver avec du savon : ma mère a pris la relève. Je l’ai remerciée et je me suis sentie honteuse. Je me sens mauvaise et coupable envers Shin June. Je me sens nulle comme mère. Je voudrais être une bonne mère, mais il y a tellement de choses que je ne sais pas. Je n’arrête pas de me sentir coupable vis-à-vis d’elle. »

Les jours passaient et Hyo Jin ne téléphonait toujours pas. J’attendais :

« Je me demande ce que Hyo Jin fait en ce moment. Est-ce qu’il pense un tout petit peu à Shin June. Père m’a demandé si Hyo Jin avait téléphoné ? Je me suis sentie mal à l’aise en lui répondant que non. J’ai entendu dire que Hyo Jin a fait un discours aux Représentants sur le rôle des épouses. Je me demande ce qu’il fait en ce moment. »

Après la naissance de Shin June, je n’étais pas très en forme physiquement. Les femmes coréennes ont l’habitude de se protéger davantage après un accouchement. Elles s’enveloppent dans plusieurs épaisseurs de vêtements pour éviter les refroidissements. Rien ne pouvait me guérir du froid glacial qui m’envahissait. Je n’avais jamais été malade, mais j’étais jeune. Mon corps n’était pas prêt à donner naissance. J’avais des douleurs dans les articulations. Elles allaient empirer à chaque grossesse.

En ce mois de mars, j’avais mal partout dans mon corps, mon esprit et mon cœur.

« Mes yeux me brûlent toute la journée. J’ai mal aux dents et je ne peux rien avaler. Je ne sais pas pourquoi. Je me sens si mal. J’ai mal à la tête et j’ai le cœur lourd. Je dois donner le sein à Shin June, un peu plus tard. Je me sens mauvaise envers elle. Je me demande ce que fait Hyo Jin. Il n’appelle pas. Je n’en ai pas l’air, mais j’attends toujours son coup de fil.

« Cela fait longtemps que je n’ai pas prié de tout mon cœur. Je suis devenue paresseuse depuis la naissance du bébé. Quand j’étais enceinte, j’étais plus consciencieuse et plus empressée à prier pour le salut de cet enfant. Mais, aujourd’hui qu’il est né, je crois que je deviens moins attentive. Lorsque je suis triste et découragée en pensant à Hyo Jin, je regarde Shin June. Alors, mon cœur s’emplit d’espoir. Shin June est ma seule source de joie. Je prie pour que Hyo Jin revienne. Une fois de plus, je remercie Dieu de tout mon cœur de m’avoir donné Shin June. Amen. »

18 mars 1983 : « Il pleut à verse depuis ce matin. Le vent est violent. Je suis assise devant mon bureau et la solitude emplit mon cœur. J’ai l’impression d’être toute seule au monde. J’ai souvent le sentiment d’être coupée des autres. Même si Shin June est dans la pièce voisine, je me sens perdue… »

19 mars 1983 : « J’ai fait des cauchemars, hier et avant-hier. Hyo Jin était avec deux autres femmes. Je ne veux pas y penser, mais ces songes ressemblaient à la réalité. Je n’arrive pas à me souvenir clairement des visages de ces femmes. Je ne les ai jamais vues auparavant. L’an dernier, lorsque Hyo Jin a fait venir sa petite amie à New York et n’est pas rentré à la maison pendant une semaine, j’ai rêvé deux fois qu’il était avec elle. Je l’avais déjà vue mais je ne connais pas les femmes dont j’ai rêvé, cette fois-ci. À chaque fois, elles étaient différentes. Je ne sais pas pourquoi je rêve ce genre de choses. Peut-être est-ce que je pense trop à lui ! Peut-être est-ce une tentation de Satan ! Je n’ai aucun appétit et je m’affaiblis spirituellement. Avant de donner le bain à Shin June, je vais appeler Hyo Jin. Je ne comprends pas pourquoi cela lui est si difficile de me téléphoner. Lorsque je suis seule ou que j’essaie de dormir, je n’arrête pas de penser à des choses qui le concernent. J’essaie d’arrêter mais la valse des pensées continue. Je ne sais pas pourquoi je suis comme ça. J’ai peur d’être seule. »

22 mars 1983 : « Maman m’a grondée parce que je n’avais pas faim et que je n’ai rien pris au petit déjeuner. J’ai perdu tout appétit depuis que j’ai fait ces mauvais rêves. Maman me dit que si je m’affaiblis physiquement, Satan va m’envahir. D’après elle, je devrais me nourrir en pensant que je mange Satan. J’ai entendu dire que Hyo Jin se débrouille bien à l’entraînement intensif, mais je fais toujours ces mauvais rêves. Satan me teste peut-être ! Je me suis affaiblie, physiquement et mentalement. Mais il ne faut pas que je succombe devant Satan. Je dois reprendre des forces afin d’assumer mes responsabilités envers Dieu, Shin June et Hyo Jin. »

27 mars 1983 : « Il pleut et le vent souffle en rafales. Malgré le mauvais temps et sa fatigue, maman est allée une heure à Holy Rock, à 15 h. Pauvre maman et pauvre papa. Je crois qu’ils ne sont pas bien et qu’ils souffrent à cause de leur fille, à cause de moi. Je me demande si Hyo Jin se débrouille bien à à l’entraînement intensif et ce qu’il y fait. Maman m’a appris que le sixième jour, il a téléphoné à ses deux copines et a parlé pendant une heure avec chacune d’elle ! Satan est arrivé le sixième jour ! Notre Père qui êtes aux Cieux, comme il regarde Hyo Jin et comme il s’inquiète. Notre pauvre Dieu. »

31 mars 1983 : « J’étais fâchée sans raison, hier. Peut-être était-ce une tentation du diable ? Je ne pouvais pas me contrôler. Depuis la naissance du bébé, je ne rentre plus dans mes vieux vêtements. Cela m’inquiète… J’ai dix-sept ans. Il faut que j’agisse, que je sorte, mais j’ai un bébé et je suis désormais une femme d’un certain âge. Comme je suis pathétique ! Je regrette même d’être là. Pourquoi suis-je ainsi ? Notre Père Céleste n’est pas heureux et je me repens. Je pense cependant toujours qu’il vaut mieux rencontrer un homme ordinaire et recevoir son amour. Je sais que je ne devrais pas penser cela ! Je me repens. Père Tout-Puissant ! »

4 avril 1983 : « Lundi 2 h. Lorsque j’écris dans ce journal, je pense à ce que j’ai fait dans la journée. Eh bien, qu’ai-je fait aujourd’hui ? Durant le jour, je tente d’oublier ma situation mais, tandis que j’écris, mes pensées reviennent me hanter. Je me sens vidée de l’intérieur. Est-ce à cause de lui ? Pendant que j’attendais le réveil de Shin June, j’ai lu la lettre que j’ai trouvée. Elle vient de la femme de Los Angeles. Dans le passé, j’ai déchiré les lettres de ses petites amies. J’ignore pourquoi je n’ai pas jeté celle-là. Je ne ressens rien, pourtant. Je ne suis même pas en colère. Cette situation est tout simplement pathétique. Je me demande comment j’en suis arrivée là. Ce n’est pas la femme qu’il fréquente qui me blesse, c’est Hyo Jin. »

Hyo Jin ne revint pas au Jardin de l’Orient avant l’été. Shin June, qu’il avait quittée nouveau-née, était devenue un bébé babillard et éveillé. Il parut aussi indifférent à son égard qu’avant son départ. Je ne savais que faire : lorsque je pensais à l’avenir, j’étais emplie de crainte.

Cet été-là, les Moon décidèrent que je ne retournerais pas à Irvington. Ils craignaient que mes absences prolongées n’éveillent des rumeurs et la curiosité de la direction. Je n’avais toujours pas l’âge d’être mariée. Ils ne tenaient pas à ce que leur fils fut accusé de maltraitance ou de viol.

Je passai l’examen d’entrée et fut admise à Masters, une école privée pour filles située à Dobbs Ferry, dans l’état de New York. J’étais très excitée. Depuis le printemps, j’avais hâte de retourner à l’école. Dans mon journal, en avril, j’avais écrit : « Je devrais très bientôt reprendre mes études. Il faut aussi que je reprenne le piano. Je perds mon temps à ne rien faire. Je dois planifier mon travail. »

Pour la première fois depuis mon arrivée au Jardin de l’Orient, j’étais riche d’espoir. Les études me distrairaient de mon mariage sans amour et de ma dépression. Je deviendrais une meilleure mère.

Un matin, les Moon me firent appeler dans leur bureau. Alarmée, je me précipitai. Lorsqu’ils me convoquaient, c’était toujours pour me reprocher quelque chose. Je ne savais jamais lequel des deux allait être furieux contre moi. Ils piquaient d’énormes colères, mais rarement en même temps. Cette fois-ci, ce fut Mme Moon qui se mit à hurler, dès que je m’agenouillai.

« Sais-tu à combien se montent les frais d’études à Masters ? As-tu la moindre idée de l’argent que cela va coûter ?, me cria-t-elle. Pourquoi devrions-nous supporter une telle dépense ? Tu n’es pas notre fille. Nous devons déjà te nourrir, te vêtir et te loger. Que veux-tu encore de plus ? »

Elle était tellement hors d’elle qu’elle parvenait à peine à parler. Le Révérend Moon ne prononça pas un mot. Je gardai la tête baissée, me mordis les lèvres et me mis à pleurer. Je pensais avoir fait toutes les volontés des Moon : j’avais épousé leur marginal de fils. J’étais restée à ses côtés, malgré son infidélité alors que j’étais enceinte. Je leur avais donné une magnifique petite fille. Pourquoi Mère criait-elle après moi ?

Mme Moon m’expliqua que la fille de Bo Hi Pak avait eu son diplôme par correspondance. Je n’avais qu’à faire comme elle. Qu’avais-je besoin d’une éducation recherchée ? Elle était danseuse, aujourd’hui. Tout avait bien marché. Je pouvais étudier à la maison et prendre soin du bébé en même temps.

J’étais stupéfaite. Mes parents avaient toujours fait grand cas de notre éducation. Ils avaient sacrifié leur propre confort pour assurer à leurs sept enfants les meilleures écoles.

Les Moon allaient-ils me laisser étudier par la poste ? J’avais besoin de retourner en classe, de voir des gens de mon âge, de sortir de l’univers des Moon. Je fus reconnaissante au Révérend lorsqu’il prit enfin la parole.

« Ces cours par correspondance ne sont pas bons, dit-il calmement à Mère. Nous devons envoyer Nansook en classe. »

Ils commencèrent à discuter des possibilités qui s’offraient comme si je n’étais pas là, à genoux, à sangloter devant eux. Ils prenaient à ma place les décisions qui engageaient mon avenir et me les reprochaient ensuite. Je devais cesser de pleurer. Après tout, je n’avais rien fait de mal. Hélas ! Je ne pouvais m’en empêcher.

Lorsque Mme Moon eut fini d’exhaler sa rage, elle se souvint subitement de ma présence.

« Sors de là », hurla-t-elle. Tremblant de la tête aux pieds, je me relevai et me précipitai en bas des escaliers, en tentant d’éviter les regards des domestiques.

L’été se passa sans aucune allusion à mes études. Un jour de septembre, on m’annonça simplement que j’allais entrer en première, à Masters. Toute l’année, un chauffeur m’accompagna et vint me chercher. Quand je fus en dernière année, je passai mon permis de conduire. Hyo Jin avait proposé de m’apprendre mais, après un premier essai houleux, je lui annonçai que je préférais le faire avec un des agents de sécurité du domaine.

C’était la première fois que je tenais tête à Hyo Jin. Il n’avait aucune patience et ses hurlements me déconcentraient. J’appris même à me garer sans sortir de la propriété des Moon.


Je tiens dans mes bras mon premier bébé, le jour où j’ai obtenu mon diplôme de mes études secondaires à Masters, une école privée de Dobbs Ferry, New York.


J’adorai Masters. Les études me plaisaient énormément et nous étions plusieurs Coréennes, parmi les étudiantes. La plupart d’entre elles étaient musiciennes et étudiaient, durant le weekend, à Julliard au Lincoln Center de New York. Elles me considéraient comme une simple adolescente, expatriée, faisant ses études aux États-Unis. Leurs parents, comme les miens, étaient restés au pays. Personne n’était au courant de mes liens avec Sun Myung Moon. Personne ne savait que j’étais mariée et mère de famille. On pensait que je vivais avec un tuteur à Irvington. Personne ne chercha à en savoir plus, c’était un des avantages de la tradition de discrétion propre à la culture coréenne.

À Masters, il y avait une étudiante particulièrement gentille. Elle était plus jeune que moi et me considérait comme une grande sœur. Quand elle avait besoin d’une confidente, j’étais heureuse de remplir ce rôle. Elle avait tellement le mal du pays qu’elle ne supportait pas de parler à sa mère au téléphone. Bien que navrée pour elle, je l’enviais. En la consolant, je pris conscience que je ne connaissais aucune des émotions habituelles d’une fille de mon âge. Si ma mère ou ma famille me manquait, je croyais renier Dieu. Lorsque j’avais envie de rentrer chez moi, j’avais le sentiment de lutter contre mon destin. En détestant mon mari, j’avais l’impression de mettre en doute la sagesse de Sun Myung Moon.
J’avais le droit de ressentir mon échec et ma solitude, mais je n’étais pas libre de les exprimer. Mon amitié avec mes camarades de classe était donc superficielle, strictement à sens unique. Lorsque, cette année-là, je fis une fausse couche, je ne pus me confier à personne.

Depuis des semaines, je savais que j’étais enceinte mais je n’étais pas encore allée voir mon médecin. Un jour, je remarquai sur mes vêtements quelques petites taches de sang, mais je ne m’en préoccupai pas vraiment. Quand l’échographie confirma que j’avais perdu le bébé, je fus effondrée. On m’hospitalisa pour la nuit. Hyo Jin ne vint me voir que le lendemain matin, en coup de vent. En me trouvant en larmes, il exprima son dégoût.

« Tu es très laide quand tu pleures », dit-il, en me laissant seule avec un immense sentiment de vide.

J’étais égarée entre l’enfance et le monde adulte, avec un pied dans chacun de ces deux univers. Ce printemps-là, j’étais encore assez jeune pour demander à ma mère de choisir la longue robe blanche que j’allais porter à la cérémonie de remise des diplômes. J’étais aussi assez âgée pour avoir une fille de trois ans. Elle me regardait me préparer pour cette manifestation dont l’invité d’honneur était le vice-président Georges Bush, sa filleule étant une des élèves de l’école.

« Puis-je venir, maman », me demanda Shin June. J’avais très envie d’avoir ma petite fille à mes côtés, mais je la laissai finalement au Jardin de l’Orient. Je ne parvenais pas à unir les deux mondes dans lesquels je vivais.



Dans la salle familiale du Jardin de l’Orient [East Garden], j’informe mon fils Shin Gil de s’incliner devant sa grand-mère, Hak Ja Han Moon. Elle est entourée de ses petits-enfants.



Heung Jin Moon


Chapitre 7

Le 22 décembre 1983 se leva, froid et humide dans la vallée de l’Hudson. Ce temps maussade reflétait l’humeur qui régnait au Jardin de l’Orient. Père et Mère étaient partis, depuis quelques jours, pour une série de conférences en Corée. Le Révérend devait prendre la parole à un rassemblement situé à Chunju, un bastion antigouvernemental. On craignait pour sa sécurité à cause de ses liens étroits avec le régime militaire et répressif de Chun-Doo Hwan.

« Je dois entrer dans le camp de l’ennemi, nous avait dit Père, parce que seule une confrontation directe peut vaincre les communistes, les émissaires de Satan sur Terre. » Pour nous, Sun Myung Moon était l’homme le plus courageux du monde. Les Dames de prières passèrent la journée à Holy Rock, pour que son voyage soit réussi et paisible.

Depuis son enfance dans une Corée occupée par les Japonais, Sun Myung Moon ne faisait aucune différence entre religion et politique. Les communistes l’avaient emprisonné parce qu’il était prêcheur itinérant et avaient proscrit le pluralisme religieux. Ils étaient donc l’ennemi. Moon consacrait sa vie publique au développement de l’Unificationnisme et à la défaite du communisme. Ces deux objectifs étaient inséparables.

Si Hyo Jin était inquiet pour ses parents, rien dans son attitude ne l’indiqua. Ce soir-là, il partit de bonne heure pour visiter les bars de New York. J’étais seule à la maison avec Shin June lorsque le téléphone sonna, à minuit passé.

C’était un des agents de sécurité.

« Il y a eu un accident », dit-il. Je pensai immédiatement aux Vrais Parents.

« Non, ce n’est pas Père, répondit-il. C’est Heung Jin. »

Heung Jin ?

Le second fils du Révérend Moon rentrait en voiture, avec deux autres Enfants Bénis, lorsque sa voiture avait percuté un camion fou sur une route verglacée, tout près du Séminaire théologique de l’Unification, à Barrytown. Heung Jin et ses amis s’y rendaient fréquemment pour profiter des stands de tirs que les fils du Révérend Moon, tous passionnés de chasse, avaient construits dans le parc. Les trois garçons étaient hospitalisés.

Mon frère, Peter Kim et moi nous nous ruâmes aux urgences de l’hôpital St Francis à Poughkeepsie. Nous n’étions pas préparés à ce qui nous attendait. Jin-Bok Lee et Jin-Gil Lee étaient blessés, mais pas sérieusement. Heung Jin, lui, souffrait d’un grave traumatisme crânien. Il était en salle d’opération lorsque nous arrivâmes.

Peter Kim se précipita vers la première cabine téléphonique et appela Père et Mère en Corée. Il pleurait.

« Excusez-moi, je suis tellement indigne, dit-il d’entrée de jeu. Vous m’avez confié la responsabilité de votre famille et le pire des drames vient d’arriver. »

La communication ne fut pas longue. Le Révérend Moon et sa femme annoncèrent qu’ils rentraient par le premier avion.

Je n’avais jamais été confrontée à une grave maladie ou à un accident mortel. Voir un garçon de mon âge, surtout aussi gentil que Heung Jin, couché dans une unité de soins intensifs, relié à des tuyaux et à des machines, était terrifiant. Il était inconscient et silencieux. On n’entendait que le ronflement du respirateur artificiel. Nous n’avions pas besoin d’un docteur pour deviner la gravité de la situation.

Le lendemain, nous nous rendîmes à l’aéroport de New York pour accueillir les Vrais Parents. Je n’oublierai jamais le visage blême et abattu de Mme Moon. Elle n’avait visiblement pas dormi depuis le coup de téléphone de Peter. Nous les suivîmes jusqu’à l’hôpital, où les disciples de l’Église s’étaient réunis dans la salle d’attente et priaient pour Heung Jin. 141

Avant de pénétrer dans la chambre de son fils, le Révérend Moon s’appliqua à consoler ses fidèles. Mme Moon ne désirait qu’une chose, être avec son petit garçon. Il ne fallait attendre aucun miracle. Heung Jin était dans un coma dépassé. Le 2 janvier 1984, les Moon prirent la décision la plus difficile, probablement, de toute leur vie. Alors que nous étions tous réunis autour du lit, on éteignit le respirateur artificiel qui maintenait en vie Heung Jin, âgé de dix-sept ans. Il mourut sans avoir repris conscience. Mme Moon s’accrocha au corps sans vie de son fils, mouillant les draps blancs de ses larmes. À ses côtés, les yeux secs, le Révérend Moon, tenta en vain de consoler sa femme.

Alors que nous pleurions à chaudes larmes sur notre frère disparu, le révérend nous ordonna de ne plus nous lamenter.

« Heung Jin est parti rejoindre Dieu dans le monde spirituel, nous dit-il. Nous serons un jour réunis à lui. » La force d’âme du révérend, sa capacité de penser à Dieu, avant son chagrin de père, força notre admiration. Quelques années plus tard, en repensant à sa réaction, je fus plus intriguée qu’impressionnée !

Il y eut des funérailles gigantesques au Belvédère. Suivant les instructions de Mme Moon, les femmes de la famille portaient des robes blanches, les hommes des cravates blanches sur leurs costumes noirs. Les membres de l’Église avaient revêtu leur chasuble blanche. Alors que nous nous préparions pour la cérémonie, au premier étage, je me sentais mal à l’aise comme d’habitude. Je n’étais pas une Vraie Enfant, juste une pièce rapportée. Je ne savais pas très bien à quel groupe j’appartenais. On me désigna ma place : juste en marge de la famille. Les Sœurs cuisinières avaient préparé les plats préférés de Heung Jin en souvenir. La table était dressée comme pour l’anniversaire d’un adolescent : hamburgers, pizza et Coca-Cola.

Je n’avais jamais assisté à un enterrement de ma vie. Le cercueil ouvert de Heung Jin était placé dans le salon. La pièce était grande mais devint vite étouffante. Pendant trois heures, les trois cents amis et membres de la famille parlèrent de Heung Jin, de sa gentillesse et de sa bonté. Je pleurai ouvertement, en dépit de la promesse faite à Père. Je n’étais pas la seule.

Le Révérend Moon ordonna à chacun de la Vraie Famille d’aller embrasser Heung Jin, en guise d’au revoir. Les plus petits, c’était naturel, étaient effrayés. J’en pris un ou deux dans les bras pour qu’ils puissent déposer un baiser sur la joue de leur frère. Puis, ce fut mon tour. Il était terriblement froid.

Père s’avança devant les fidèles et, instantanément, les sanglots cessèrent. Il annonça que Heung Jin était désormais le guide du monde spirituel. Sa mort avait été un sacrifice. Satan s’était vengé de sa croisade anticommuniste en prenant la vie de son second garçon. Comme Abel avant lui, Heung Jin avait été le bon fils.

Hyo Jin parut blessé de la comparaison de Père.

« Heung Jin, continua Père, enseigne déjà les Principes Divins dans le monde spirituel. Jésus, lui-même, est tellement impressionné par Heung Jin qu’il a donné sa place et a proclamé le fils de Sun Myung Moon Roi des Cieux. Heung Jin est le régent. Il va s’asseoir sur le Trône Céleste jusqu’à l’arrivée du Messie, Sun Myung Moon. »

Sun Myung Moon a écrit cette calligraphie qui déclarait que Heung Jin Moon 文興進 était le commandant en chef du ciel.

Je fus stupéfaite par cette déification instantanée. Heung Jin étant un Vrai Enfant, le fils du Seigneur du Second Avènement, j’étais prête à croire qu’il avait une place spéciale au Paradis. Mais prendre la place de Jésus ? Le garçon que j’avais aidé à chercher un chaton perdu dans le grenier du château. Roi du Paradis ? C’était trop, même pour une fervente croyante comme moi. Mon regard parcourut la pièce : tous les membres de l’assemblée hochaient la tête gravement devant cette révélation. J’eus honte de mon scepticisme, mais n’arrivai pas à le chasser.

Le cercueil de Heung Jin fut transporté dans le fourgon mortuaire jusqu’à l’aéroport international Kennedy, afin de rejoindre la Corée. Le Révérend Moon et sa femme n’accompagnèrent pas le corps de leur fils. Seuls, Je Jin et Hyo Jin partirent au pays avec leur frère. Heung Jin fut enterré dans le caveau de la famille Moon, à une heure de Séoul.

Presque immédiatement des cassettes vidéos commencèrent à arriver du monde entier. Des fidèles de l’Église de l’Unification, en proie à des niveaux variés d’extase, affirmaient être les médiums par lesquels Heung Jin s’exprimait en direct du monde des esprits.

Ces vidéos étaient complètement étranges. Nous nous réunissions autour de Père et Mère et regardions ce défilé d’étrangers parler au nom de Heung Jin. Aucun d’entre eux n’offrait de réelle profondeur spirituelle. Pas un ne semblait connaître la vie de Heung Jin au Jardin de l’Orient. Tous flattaient les Vrais Parents et répétaient l’annonce de Père, suivant laquelle Jésus avait abdiqué devant Heung Jin au Paradis.

Non seulement je ne croyais pas un mot de tout cela, mais j’étais offensée de voir que tant de gens essayaient d’exploiter le chagrin de la Vraie Famille, en échange de faveurs. Comme j’étais naïve ! C’était exactement ce qu’il fallait faire pour gagner l’affection de Sun Myung Moon. Père était complètement excité par ce phénomène de « possession » qui se produisait de façon spontanée à travers le monde. Je n’arrivais pas à déterminer si le Révérend Moon y croyait vraiment ou s’il se servait de cette manipulation à ses propres fins.

La déification de Heung Jin Moon posa vite un problème théologique : d’après la doctrine, le Paradis n’est accessible qu’aux couples mariés. Père régla le problème promptement. Le 20 février 1984, moins de deux mois après la mort de Heung Jin, il unit au cours d’une cérémonie de mariage, son fils décédé à Hoon Sook Pak, fille de Bo Hi Pak. Le même jour, le frère de Hoon Sook, Jin-Sung Pak épousa In Jin Moon. Cette double cérémonie de mariage fut très étrange.

In Jin était furieuse : elle ne pouvait pas supporter son nouveau mari, Jin Sung. Elle avait beaucoup de petits copains, et aucunement l’intention de se marier. Elle appelait Jin Sung « yeux de poisson », en référence au regard particulier que possédait toute la famille Pak. La vérité est qu’elle avait le béguin pour un garçon plus jeune. L’année d’avant, alors que nous assistions à une conférence de l’Église de l’Unification, elle et moi avions partagé la même chambre d’hôtel, à Washington D.C. Une nuit, elle téléphona devant moi, à ce garçon, en Virginie, pensant sans doute que je dormais.

En l’entendant chuchoter et glousser d’une façon qui m’était étrangère, je réalisai qu’elle était en train de flirter.

« Même si les Enfants Bénis n’ont pas le droit d’embrasser quelqu’un, je pense qu’on peut faire une exception », disait-elle.

Cette histoire pouvait être dangereuse, car ils avaient tous deux le même père.

Le garçon était le fils illégitime de Sun Myung Moon. Ma mère me l’avait appris, un an auparavant, mais personne ne l’avait jamais dit aux principaux intéressés. Ce garçon était né à la suite d’une liaison entre le Révérend Moon et une fidèle de l’église. C’était un secret de polichinelle parmi les Trente-six Couples.

« Il ne s’agissait pas d’une liaison romantique, m’expliqua ma mère. C’était une union providentielle, ordonnée par Dieu, que le monde séculier ne peut comprendre. »

Pour éviter les rumeurs, le bébé fut placé à sa naissance chez l’un des conseillers de confiance de Sun Myung Moon, qui l’éleva comme son fils. Sa vraie mère vivait tout près, en Virginie, et passait pour une amie de la famille.

Le Révérend Moon ne reconnut jamais publiquement cette paternité mais, à la fin des années quatre-vingts, les enfants Moon et ce jeune garçon apprirent enfin la vérité.

Cette façon de procéder était très courante dans l’Église de l’Unification. Les fidèles dotés de plusieurs enfants donnaient un de leur bébé aux couples stériles membres de l’Église. Quelle différence cela faisait-il, puisque nous appartenions tous à la famille des Hommes et que les seuls Vrais Parents étaient le Révérend Moon et sa femme ? L’Église de l’Unification ne connaissait ni procédures d’adoption, ni règles légales. Elle partageait ses enfants comme des voisins s’échangent leurs tuyaux d’arrosage.

Au mois de février, nous nous rassemblâmes dans le château du Belvédère pour ce double mariage. Dans un premier temps, le Révérend Moon et sa femme, vêtus de leur chasuble de cérémonie, présidèrent l’union de leur fille In Jin avec Jin-Sung Pak. Puis, la foule devint silencieuse lorsque Hoon Sook entra, superbe, dans la bibliothèque, parée d’une stricte robe de mariée blanche et d’un voile. Elle avait vingt et un ans et était ballerine à l’Universal Ballet Company appartenant à l’église. À partir de ce jour, elle prit le nom de scène de Julia Moon.

Elle portait un portrait encadré de Heung Jin qu’elle offrit à Père et Mère. Mon mari, Hyo Jin se tenait debout à la place de son frère disparu, à côté de la mariée et récita les vœux. Hoon Sook était si belle que je me sentais désolée à l’idée qu’elle ne puisse plus jamais se marier réellement. Mais alors que mes yeux se posaient sur Hyo Jin, quelque chose me fit frémir, un sentiment d’envie…

Comme j’aurais préféré, pensais-je, être aimée par un mort plutôt que d’être malheureuse en compagnie d’un homme que je n’aimais pas et qui ne m’aimait pas non plus.

Cette cérémonie aurait paru étrange, bien sûr, à quelqu’un n’appartenant pas à l’Église de l’Unification. Pourtant, le Révérend Moon unissait fréquemment des vivants et des morts. Les membres célibataires et âgés étaient souvent mariés à d’autres, déjà partis pour le monde spirituel. Dans un acte d’ultime arrogance, Sun Myung Moon avait même uni Jésus à une vieille femme coréenne, sous prétexte que seuls les couples avaient droit au Royaume des Cieux. Même le Christ avait besoin de l’intervention du Révérend !

Quelques années après cette Bénédiction, Julia Moon et feu Heung Jin devinrent parents. La jeune femme ne pouvant accoucher d’un bébé, son jeune beau-frère Hyun Jin et sa femme lui donnèrent tout simplement leur fils nouveau-né.

Les autorités américaines n’étaient bien évidemment pas au courant de ces pratiques soi-disant miraculeuses.

Quatre mois après la mort de Heung Jin, la Cour Suprême refusa, sans commentaire, de revoir la condamnation du Révérend Moon pour fraude fiscale. Dans seize dossiers de conclusions, des organisations telles que le Conseil National des Églises, l’Association des Libertés Civiles Américaines et la Conférence Chrétienne du Sud considérèrent ce procès comme une persécution pouvant avoir de profondes conséquences sur la liberté religieuse. Si Sun Myung Moon était dans le collimateur aujourd’hui, à quel évangéliste impopulaire cela pouvait-il aussi arriver ?

« Le gouvernement a créé un précédent en examinant les finances internes de n’importe quelle organisation religieuse », avertit le Révérend Georges Marshall de l’Association Unitarian-Universalis.

Le Révérend Marshall était l’un des quatre cents chefs spirituels du pays qui vinrent soutenir Moon dans des rassemblements organisés à travers les États-Unis.

Le Révérend Sileven, ministre du culte baptiste de Louisville dans le Nebraska, avait fait huit mois de prison pour avoir refusé de se plier à un arrêté du tribunal qui lui ordonnait de fermer son École Chrétienne Fondamentaliste, ouverte sans autorisation. Il compara la condition de Moon à la sienne :

« Les gens me demandent : “Ne trouvez-vous pas drôle d’aller à un rassemblement pour le Révérend Moon ?” Mais je préférerais me battre peu de temps pour la liberté plutôt que d’aller un jour en camp de concentration. »

Jeremiah S. Gutman, Président de l’Union des Libertés Civiles de New York, organisa un comité spécial, composé de spécialistes de droit civil et de représentants religieux, afin de protester contre ce qu’il appelait « une intrusion inexcusable dans les affaires religieuses privées ».

Une commission sénatoriale, présidée par le sénateur Orrin G. Hatch, révisa le cas Moon et fit amende honorable :

« Nous avons accusé un nouveau venu dans notre contrée d’infraction intentionnelle à la loi, pour une conduite que pratiquent un très grand nombre de nos chefs religieux, c’est-à-dire, détenir de l’argent appartenant à leur église sur des comptes à leurs noms. Les prêtres catholiques le font, les ministres baptistes… et aussi Sun Myung Moon.

« Peu importe notre opinion là-dessus, l’important c’est que nous avons condamné un étranger ne parlant pas notre langue pour fraude fiscale, alors qu’il n’a rempli qu’une seule déclaration d’impôts dans ce pays. Nous ne lui avons donné aucune chance de comprendre nos lois. Nous ne lui avons pas accordé le bénéfice du doute. Nous l’avons jugé coupable et condamné à dix-huit mois de prison. J’ai le sentiment que nous avons davantage rendu l’injustice que la Justice.

« Cette histoire nous prouve que lorsque l’on est impopulaire, le pays trouve toujours le moyen, non pas de vous tolérer mais de vous déclarer coupable. »

Le Révérend Charles V. Bergstrom du Conseil Luthérien d’Amérique témoigna devant le comité du sénateur Hatch. Il fut davantage mesuré dans sa défense :

« Une question me taraude en ce qui concerne la justice ou l’injustice de ce procès. La cour a refusé au Révérend Moon qu’un juge puisse décider de son cas et le juge a demandé au jury de ne pas considérer Sun Myung Moon comme une personnalité religieuse au cours du procès. Mais j’ai une question : pourquoi avait-il à manipuler tout cet argent ? »

La réponse était assez claire pour quiconque appartenait au mouvement. Dans l’Église de l’Unification, toutes les opérations se faisaient en liquide. J’ai vu des leaders de l’organisation japonaise arriver, à intervalles réguliers, au Jardin de l’Orient avec des sacs en papier remplis d’argent que le Révérend Moon empochait ou distribuait au cours du petit déjeuner, à différents directeurs d’entreprises appartenant à l’Église.

Les Japonais n’avaient aucun problème pour introduire de l’argent liquide aux États-Unis. Ils déclaraient aux douaniers venir jouer à Atlantic City.

En résumé, beaucoup d’entreprises dirigées par l’Église faisaient toutes leurs transactions en liquide y compris plusieurs restaurants japonais de New York. J’ai souvent vu de l’argent liquide arrivant du quartier général de l’Église finir sa course dans le coffre-fort mural de Mme Moon. À partir de là, elle pouvait distribuer, quand elle le voulait, 5 000 dollars aux cuisinières pour la nourriture ou 500 dollars à un enfant qui venait de gagner à la marelle.

Les fidèles se moquaient de savoir que le Révérend Moon utilisait l’exonération fiscale de l’Église pour gagner de l’argent dans les affaires. La poursuite du profit était au cœur de notre philosophie religieuse. Capitaliste dans l’âme, le Révérend Moon prétend qu’il ne peut unifier les religions du monde sans construire un réseau d’affaires pour aider les croyants. À cette fin, il a construit ou acheté des usines agro-alimentaires, des pêcheries, des chaînes d’assemblage automobiles, des journaux, des sociétés produisant tout et rien, depuis la machine outils jusqu’aux logiciels d’ordinateurs.

Combien de fois ai-je entendu les conseillers de Moon discuter d’investir certains fonds de l’Église dans des entreprises ou des causes politiques ? Aucun n’avait de problème avec ça, de la religion, aux affaires et à la politique. Il n’y avait qu’un objectif : la domination du monde par l’Église de l’Unification. Les lois fiscales américaines avaient tort, pas Sun Myung Moon. La loi des hommes était secondaire, par rapport à la mission du Messie.

La philosophie du Révérend Moon semblait assez bienveillante : « Le monde se transforme à toute allure en un seul et même village. La survivance et la prospérité de tous dépendent d’un esprit de coopération. L’espèce humaine doit comprendre qu’elle ne représente qu’une seule famille. »

L’Église de l’Unification trouvait normal d’utiliser ses fonds pour financer son programme politique anticommuniste. En 1980, le Révérend Moon avait créé le CAUSA, un front anticommuniste que l’Église décrivait comme « une organisation sociale et éducative, à but non lucratif et non sectaire, présentant une perspective divine d’éthique et de moralité comme base pour les sociétés libres ». En termes concrets, cela voulait dire que le CAUSA fournissait de grosses sommes d’argent aux mouvements anticommunistes du Salvador et du Nicaragua.

Le Révérend Moon n’avait jamais peur d’attirer l’attention sur les raisons qui l’avaient rendu aussi farouchement anticommuniste : « Le besoin d’unité des croyants apparut clairement au Révérend Moon, alors qu’il était emprisonné et torturé pour sa foi chrétienne par les communistes nord Coréens, à la fin des années quarante. Le CAUSA est lié à cet engagement envers l’Amérique et le monde libre. »

Dans les années quatre-vingts, le Révérend Moon comptait beaucoup sur l’Amérique Latine. Il envoya même des « missionnaires » pour soutenir les sympathisants anticommunistes. Vêtus de costumes de businessmen plutôt que de chasubles, ils pratiquèrent le prosélytisme, sous les auspices de plusieurs organisations « savantes » n’offrant officiellement aucun lien avec Sun Myung Moon ou l’Église de l’Unification.

Avec des dénominations telles que « L’Association pour l’Unité de l’Amérique Latine », « La Conférence Internationale sur l’Unité des Sciences », « L’Académie Professorale pour la Paix dans le Monde », « L’Institut de Washington en faveur d’une Politique Publique Morale », « La Conférence du Leadership Américain », « Le Conseil de Sécurité International », ces collaborateurs missionnaires du Révérend Moon avaient un vernis académique.

La plupart des intervenants aux conférences étaient des personnalités de premier plan, des médias, du monde politique ou intellectuel. Ils ignoraient souvent que leurs frais, leurs chambres d’hôtel et leurs repas étaient payés par Sun Myung Moon.

Les Moon avaient une aversion presque physique pour les impôts. Les hommes de loi de l’Église passaient la plupart de leur temps à trouver les moyens de les éviter. Ainsi, le Trust de la Vraie Famille n’était pas placé en banque aux États-Unis, mais sur un compte au Liechtenstein.

C’est seulement avec le recul que je découvre l’hypocrisie de Sun Myung Moon parlant de persécution religieuse, alors qu’il tentait de manipuler la loi à son avantage. J’étais une adolescente impressionnable, une jeune mère, un disciple fidèle.

Cette année-là, je repartis, pour la première fois, en Corée afin d’obtenir un visa permanent. Les Moon avaient mis deux ans avant de décider qu’il était temps de légitimer mon statut d’émigrante. Je n’étais pas la seule. Le Jardin de l’Orient était rempli de domestiques, de cuisinières, de baby-sitters et de jardiniers qui étaient arrivés dans le pays en tant que touristes et s’étaient fondus dans la masse des fidèles de l’Église de l’Unification.

Je n’avais pas réellement compris que nous étions hors la loi. De toute façon, cela ne m’aurait pas gênée. La loi de Dieu était supérieure à la loi civile et Père était le représentant de Dieu sur Terre. La gravité du procès du Révérend Moon, l’année précédente, m’avait échappé. Mais la prison ? Cela, je le comprenais. Nous avions tous le cœur déchiré à l’idée que Père allait être enfermé pendant un an et demi.

À 11 h, le 20 juillet 1984, Sun Myung Moon prit ses quartiers dans la prison fédérale de Danbury. La veille, avant de se rendre aux autorités, Père avait réuni au Jardin de l’Orient, les chefs religieux de cent vingt pays.

Il les rassura en leur disant qu’il changeait juste de base logistique. Au lieu d’être chez lui, il gérerait ses affaires depuis la prison. La vie lui était moins facile qu’au château. Il avait pour tâche de laver les sols et de nettoyer les tables dans la cafétéria de la prison.

Il avait droit à de la visite. J’accompagnais docilement Mme Moon, à chaque fois et, sur ses instructions, j’achetais de la nourriture dans les distributeurs automatiques, versais du ginseng en poudre dans des tasses de soupe instantanées quelle apportait à Père. Les patrons de ses différentes sociétés et les représentants de l’Église se rendaient dans sa cellule pour y travailler. Les affaires de l’Église de l’Unification ne connaissaient aucun répit.

Il nous donnait des instructions pour ses enfants, telles qu’écrire un poème ou une rédaction. La fois suivante, nous les lui lisions. Je me souviens d’un texte qu’il m’avait donné, intitulé La Vie d’une Femme.

In Jin monta au créneau et défendit son père en public. Au cours d’un rassemblement, à Boston, consacré à la liberté religieuse, elle déclara à trois cent cinquante supporters que le cas de Sun Myung Moon ressemblait à celui du dissident soviétique Andreï Sakharov, le prix Nobel de physique.

« Pour moi, c’est un moment difficile à vivre et à comprendre, dit-elle à la foule. En 1971, il est venu dans ce pays en suivant la voix de Dieu. Pendant les douze dernières années, il a versé sang et eau pour l’Amérique. Il m’a toujours dit que Dieu avait besoin de l’Amérique pour sauver le monde. Il a aujourd’hui soixante-quatre ans et il est innocent. Lorsqu’en prison, je l’ai vu vêtu d’un pyjama de prisonnier, j’ai pleuré et pleure encore. Il m’a demandé de sécher mes larmes et de ne pas me mettre en colère. Il nous demande, à moi et aux millions de gens qui le suivent, de transformer notre colère et notre peine en actes afin de libérer réellement ce pays. »

Ce soir-là, In Jin partagea la vedette avec un ancien sénateur américain, Eugène McCarthy, qui considérait l’arrestation de Père comme une menace pour la liberté. La condamnation du Révérend Moon devenait excellente pour l’Église de l’Unification. Du jour au lendemain, il passa du statut de leader d’une secte méprisée à celui d’un symbole de la persécution religieuse. Les Libertaires bien attentionnés transformèrent Sun Myung Moon en un martyr à leur cause.

C’était un jeu de dupes.

L’école Divinity Shaw, à Raleigh, accorda un titre de Docteur honoraire à Père, au cours de son séjour en prison. Sun Myung Moon était nommé pour sa « contribution humanitaire dans plusieurs domaines : la justice sociale, les efforts pour soulager la souffrance humaine, la liberté religieuse et la lutte contre le communisme mondial. »

Joseph Page, le vice-président de l’école, insista sur le fait que la contribution de 30 000 dollars donnée par l’Église de l’Unification à l’école Shaw n’avait « absolument pas influencé le conseil d’administration dans sa décision… »

Alors qu’il était en prison, le Révérend Moon envoya Hyo Jin en Corée, afin de diriger un atelier spécial pour les Enfants Bénis, les fils et filles des premiers disciples.

« Avant, chacun allait dans sa propre direction. Ils n’obéissaient à aucune discipline », dit-il plus tard, au cours d’un discours. « Aujourd’hui, on a remis de l’ordre parmi eux. Il est significatif que cela ait eu lieu pendant que je purgeais ma peine de prison : après la crucifixion de Jésus, tous les disciples se sont séparés et sont partis dans plusieurs directions. Pendant mon incarcération, les Enfants Bénis se sont réunis au lieu de s’en aller. »

Alors que Père gagnait en respectabilité au sein des Églises chrétiennes et consolidait sa mainmise sur la deuxième génération d’Unificationnistes, son fils transcendait la mort. Les messages de Heung Jin du monde spirituel étaient de plus en plus nombreux. Certains manquaient vraiment de profondeur !

« Chers Frères et chères Sœurs de la Bay Area : salut ! Voici l’équipe de Heung Jin et de Jésus ! Nous avons besoin d’établir une forteresse parmi vous et d’apporter la vraie lumière du soleil, en Californie », disait par exemple l’un d’eux, transcrit par un membre de l’Église en état de transe.

« Notre frère a reçu des messages de Heung Jin Nim, de saint Francis, de saint Paul, de Jésus, de Marie et d’autres esprits », écrivit Young Kim, un théologien de l’Église, en parlant de ce médium. « Tous parlent de Heung Jin Nim comme du nouveau Christ. Ils l’appellent aussi le Jeune Roi des Cieux. Il est le Roi des Cieux du monde spirituel. Jésus travaille avec lui et l’accompagne. Jésus lui-même affirme que Heung Jin est le nouveau Christ. Il est maintenant le cœur du monde spirituel. Il est mieux placé que Jésus. »

Retour sur Terre : après treize mois de prison, le Révérend Moon fut libéré, le 20 août 1985, aux acclamations de ses nouveaux amis de la communauté religieuse. Le Révérend Jerry Falwell de la Majorité Morale et le Révérend Joseph Lowery du Leadership Chrétien du Sud firent appel au Président Ronald Reagan pour que l’on accorde un entier pardon à Père. Deux mille hommes d’église, dont Falwell, Lowery et d’autres chefs religieux célèbres, organisèrent un « Banquet de Dieu et de la Liberté » en son honneur, à Washington.

Au Jardin de l’Orient, chacun reprit ses habitudes. Les réunions autour de la table du petit déjeuner se poursuivirent.

Mais quelque chose avait changé. Les sermons du Révérend Moon, le dimanche matin au Belvédère, montraient un changement perceptible. Il parlait de moins en moins de Dieu et de plus en plus de lui. Il semblait obsédé par sa propre image et se prenait pour une sorte de figure historique, et non plus seulement comme un émissaire de Dieu. Alors qu’avant, j’écoutais avec intensité ses sermons, à la recherche d’une finesse spirituelle, j’étais de plus en plus mal à l’aise et de moins en moins concernée.

L’orgueil démesuré du Révérend Moon atteignit son point culminant, cette année-là : au cours d’une cérémonie secrète, il se couronna lui-même ainsi que Hak Ja Han, Empereur et Impératrice de l’Univers. Les préparatifs de cet événement, clandestin et somptueux, prirent des mois et coûtèrent des centaines de milliers de dollars.

Les femmes de l’Église furent chargées de rechercher les robes royales de la Dynastie Yi qui dura cinq-cent-ans jusqu’au dix-neuvième siècle. On ordonna à d’autres de concevoir des couronnes d’or et de jade copiées sur celles des anciens Rois tribaux. Ma mère acheta des mètres et des mètres de soie, de satin et de brocart et se débrouilla pour trouver des couturières, en Corée, capables de transformer ces tissus bruts et coûteux en costumes royaux.

Les douze enfants de Sun Myung Moon, ses gendres et belles-filles, tous ses petits-enfants devaient être habillés en princes et princesses.

Au final, la cérémonie du couronnement de Sun Myung Moon ressemblait davantage à un soap opéra de la télé coréenne, situé sous la dynastie des Yi, plutôt qu’à une fête religieuse sacrée. Je me sentais stupide dans mes habits sortis tout droit d’une reconstitution historique. Le Révérend Moon, sachant comment cette manifestation serait interprétée — un monument d’égoïsme ! — interdit tous les photographes. Les invités, des officiels de l’Église de haut rang, arrivés avec des appareils photos, se les étaient vus confisqués par les agents de sécurité qui bloquaient les portes d’entrées.

Dans sa tenue ostentatoire et sous sa couronne d’or, Sun Myung Moon me fit penser à un Charlemagne moderne. Mais cet empereur ne se courbait devant aucun pape. Le Messie devait se couronner lui-même, puisqu’il n’y avait aucune autorité au-dessus de lui.

Ce couronnement marqua un tournant, pour moi et mes parents. Pour la première fois, nous exprimâmes nos doutes, les uns et les autres, sur Sun Myung Moon. Ce ne fut pas une chose facile. On a beaucoup écrit sur la contrainte et le lavage de cerveau qui régnent dans l’Église de l’Unification. Je n’ai jamais remarqué de telles pratiques. Mais le conditionnement existe, c’est un fait !

Vous vivez isolés au milieu de gens partageant le même avis. Vos croyances sont sans cesse renforcées. Vous êtes amenés à préférer l’obéissance à l’esprit critique. Plus le temps passe, plus vous vous engagez dans votre foi. Après dix ans, vingt ans, qui ose admettre, même à soi-même, que ses croyances sont bâties sur du sable ?

Je ne le pouvais pas. Je faisais partie du cercle des intimes. J’avais vu assez de gentillesse chez le Révérend Moon pour excuser ses erreurs manifestes : sa coupable tolérance vis-à-vis de son fils, sa brutalité envers ses enfants, ses injures à mon égard. Ne pas l’excuser, c’était ouvrir ma vie entière aux questions et aux doutes et ma vie n’était pas la seule à être concernée… Mes parents avaient passé trente années à refuser les interrogations.

Mon père tolérait la façon arbitraire avec laquelle Sun Myung Moon menait ses affaires, l’incompétence dont il faisait preuve en installant des amis et des proches non qualifiés à des postes importants, son injustice envers ceux qui le servaient bien. Il survivait à la tête de II Hwa Pharmaceutiques, en acceptant les fréquentes humiliations publiques du Révérend Moon. De son côté, celui-ci maintenait mon père à sa place parce que II Hwa continuait à lui rapporter de l’argent.

Si la déification de Heung Jin et le couronnement avaient mis ma foi à l’épreuve, l’apparition du Heung Jin noir la détruisit totalement. Beaucoup de récits de « possession », par le fils décédé de Sun Myung Moon, venaient d’Afrique. En 1987, le Révérend Chung Hwan Kwak partit enquêter à propos d’un rapport selon lequel Heung Jin avait intégré le corps d’un homme du Zimbabwe et s’exprimait à travers lui. Il revint au Jardin de l’Orient, affirmant que ce miracle était réel. Nous nous installâmes autour de la table du petit déjeuner pour entendre ses impressions.

L’Africain en question était plus âgé que Heung Jin II n’était donc pas le fils réincarné de Sun Myung Moon. Selon Kwak, il s’était présenté comme le corps physique de l’esprit de Heung Jin. Le Révérend Kwak lui avait demandé ses impressions sur son entrée dans le monde spirituel. Le Heung Jin noir avait répondu qu’il était devenu aussitôt omniscient. Il avait ajouté que la Vraie Famille n’avait pas besoin d’étudier sur Terre puisqu’elle était déjà parfaite. La connaissance serait leur lorsqu’elle entrerait dans le monde spirituel : elle posséderait alors toutes les connaissances.

Ce raisonnement s’adressait à Hyo Jin et me blessa. Mon mari avait vaguement suivi quelques cours à l’université Pace et au séminaire de l’Église de l’Unification, à Barrytown, mais il était plus intéressé par la boisson que par les études. J’étais déconcertée par cette idée selon laquelle nous n’avions pas besoin de travailler pour gagner les faveurs de Dieu. Nous étions peut-être, dans notre mouvement, le peuple élu de Dieu mais je restais persuadée que nous devions gagner notre place au Paradis. Elle n’était pas acquise !

Le Révérend Moon fut littéralement transporté de joie par ces nouvelles venues d’Afrique. L’Église de l’Unification avait concentré ses efforts de recrutement en Amérique Latine et en Afrique.

Un Heung Jin noir ne pouvait faire aucun mal à la cause, au contraire. Sun Myung Moon ne prit même la peine de rencontrer celui qui affirmait être possédé par l’esprit de son enfant : il l’autorisa à voyager, à prêcher et à recueillir les confessions des membres dévoyés.

Ces confessions devinrent bientôt l’essentiel de la mission du Heung Jin noir. Il alla en Europe, en Corée, au Japon, partout dans le monde, administrer des raclées à tous ceux qui avaient violé les enseignements de l’Église en buvant de l’alcool, en se droguant, etc. Il passa un an sur la route, punissant violemment ceux qui quêtaient le repentir, avant qu’enfin un jour Sun Myung Moon ne le convoque au Jardin de l’Orient.

Nous nous réunîmes tous pour l’accueillir à la table du petit déjeuner. C’était un homme noir, mince, de taille moyenne qui parlait un meilleur anglais que Sun Myung Moon. Il avait visiblement l’intention de charmer la Vraie Famille, un peu comme un serpent séduit sa proie avant de l’avaler. J’étais impatiente d’entendre parler cet homme, soi-disant « possédé » par un garçon que j’avais connu autrefois. Je ne l’entendis jamais. Le Révérend Moon lui posa les questions théologiques de base auxquelles n’importe quel membre aurait pu répondre. L’homme n’offrit ni révélations saisissantes, ni finesse religieuse. Il impressionna probablement le Révérend en citant de mémoire des passages entiers de ses discours.

Le Révérend Moon et sa femme proposèrent ensuite que nous puissions, nous les enfants, rencontrer cet homme en privé afin de confronter nos impressions. Ce fut une rencontre étonnante. Hyung Jin, Kook Jin et Hyo Jin n’arrêtèrent pas de lui poser des questions sur leur enfance. Il ne put répondre à aucune. Il ne se rappelait rien de sa vie sur Terre, nous dit-il. Cette défaillance bien pratique n’inspira aucun scepticisme, au contraire, elle fut interprétée comme le signe d’une élévation spirituelle. Chacun l’embrassa et l’appela Heung Jin. Je l’évitai, persuadée soudain de vivre avec les gens les plus stupides ou les plus crédules de la Terre.

À l’époque, je n’avais pas pensé que le Révérend Moon se servait peut-être de ce Heung Jin noir comme il s’était servi auparavant de la Communauté des Libertés Civiles américaines.


De gauche à droite: Sun Myung Moon, Cleopas Kundiona (Black Heung Jin) et Hak Ja Han en 1988.


Il semblait prendre plaisir à entendre raconter les raclées que le Heung Jin noir administrait un peu partout dans le monde. Lorsque quelqu’un qu’il n’aimait pas avait reçu un coup particulièrement brutal, il éclatait de rire bruyamment. Personne, en dehors des membres de la Vraie Famille, n’était protégé contre ces raclées. Les leaders mondiaux tentaient d’utiliser leur influence afin d’être exemptés de ces confessions. Mon propre père fit appel en vain au Révérend Kwak pour éviter d’avoir à y assister.

Le Heung Jin noir ne fit pas long feu dans l’Église de l’Unification. Il eut bientôt tellement de maîtresses et se montra si violent que les fidèles commencèrent à se plaindre. La servante de Mme Moon, Won Ju McDevitt, une coréenne mariée avec un membre américain, apparut un matin, couverte de bleus, avec un œil au beurre noir. Le Heung Jin noir l’avait battue avec une chaise. Il frappa Bo Hi Pak — âgé d’une soixantaine d’années — si durement que ce dernier fut hospitalisé pendant une semaine à l’hôpital de Georgetown. Il déclara au personnel médical qu’il était tombé dans des escaliers. Des mois plus tard, il dut être opéré d’un léger anévrisme au cerveau.

Sun Myung Moon savait arrêter les frais. Lorsqu’il parut clair que cette violence, qu’il avait autorisée, commençait à lui nuire, il annonça simplement que l’esprit de Heung Jin avait quitté le corps de l’Africain et était remonté au Ciel.

L’homme du Zimbabwe refusa de quitter aussi facilement un terrain d’exercice aussi juteux. Aux dernières nouvelles, il a établi une secte dissidente en Afrique et se pavane dans le rôle du Messie.



Hyo Jin et moi et nos quatre enfants en novembre 1990, dans notre suite à New Yorker Hotel à Manhattan. Nous sommes habillés dans les robes religieuses de l’Église de l’Unification. Les membres ordinaires portent des robes blanches. Les robes de la famille de Sun Myung Moon sont décorées avec une tresse d’or.


Chapitre 8

Je venais juste de passer mon dernier examen à l’université de New York lorsque Hyo Jin m’appela de Corée, en mai 1986. Il était à Séoul depuis quelques semaines. « Tu me manques ainsi que Shin June, me dit-il. Il faut que vous veniez le plus vite possible. »

C’était ma première année d’université. Les Moon avaient accepté de m’y envoyer, espérant que mes succès scolaires rejailliraient sur eux. Pendant plusieurs jours, je m’étais couchée très tard, toutes les nuits, pour mes révisions. Je voulais réussir, pas seulement pour justifier les dépenses du Révérend Moon, mais pour être fière de moi.

Les salles de classe étaient les seuls endroits où je me sentais complètement à l’aise. Je savais étudier, apprendre, passer des examens, mais je n’avais aucun esprit critique : je n’en avais pas besoin pour avoir de bonnes notes. Les techniques de mémorisation acquises en Corée m’étaient bien utiles dans le système d’étude supérieure américain.

Au départ, je n’avais pas souhaité spécialement m’inscrire à l’université de New York. Je voulais aller à Barnard, l’école réservée aux filles de l’Université de Columbia. Il était l’un des plus prestigieux établissements américains et j’étais rassurée à l’idée que je ne serais qu’avec des filles. J’étais mariée et mère de famille mais j’étais toujours aussi mal à l’aise avec les garçons.

Barnard refusa mon dossier. Mes notes étaient bonnes mais mes dissertations dénotaient un manque de réflexion qui n’avait rien d’étonnant, vu la façon dont je vivais.

Je décidai de mettre les bouchées doubles et me jurai d’entrer un jour à Barnard !

Lorsque Hyo Jin m’invita à Séoul, j’étais enceinte de trois mois et je ne fus pas ravie à l’idée d’affronter un vol aussi long avec une petite fille qui marchait à peine.

Je craignais aussi de faire une nouvelle fausse couche. Mais Hyo Jin me réclamait si peu, m’appelait si rarement quand il était au loin que je ne pouvais refuser cette invitation. Mieux, je la considérais comme un immense espoir pour notre mariage.

Le vol fut éreintant. Shin June était trop excitée pour dormir. À chaque fois que je fermais les yeux, elle me secouait. Je passais la plus grande partie du voyage, éveillée, me disant que Dieu avait enfin touché le cœur de Hyo Jin. Ce fantasme dura peu de temps. À peine arrivée, je compris qu’il n’avait plus envie de nous voir.

Au fil des années, je m’étais habituée à la volonté qu’avait Hyo Jin de me surveiller et de contrôler ma vie mais, dès mon arrivée en Corée, je fus alarmée par sa paranoïa aiguë. Lorsqu’un jour, je lui annonçai que j’avais l’intention d’aller voir mes vieilles copines de Little Angels, il me l’interdit en hurlant.

« Tu n’as pas d’amis, cria-t-il. Je suis ton compagnon idéal. Tu n’as besoin de personne d’autre. »

S’il découvrait, en rentrant à la maison, que j’avais amené Shin June chez mes parents, il devenait enragé. Mon devoir était de l’attendre à la maison. J’étais si nerveuse que lorsque j’allais voir ma mère, j’appelais toutes les heures pour voir s’il me cherchait.

Les Moon étaient repartis pour New York, mais certains de leurs enfants étaient restés, dont In Jin. Elle avait toujours été très proche de Hyo Jin et ne m’avait jamais aimée. Elle me convoqua dans sa chambre, quelques jours après mon arrivée. Elle était furieuse contre moi, pour une raison que j’ignorais. Nous avions seulement échangé des politesses, dans l’entrée.

Je m’assis sur le sol, humble comme il convenait devant une Vraie Enfant.

« Mon frère travaille dur et toi qu’est-ce que tu fais ? Rien !, hurla-t-elle. Tu es paresseuse et gâtée. Qu’est-ce que tu fais en Corée si tu n’aides pas Hyo Jin dans son travail ? Pourquoi passes-tu tout ton temps avec tes parents ?» Je restais interdite mais je savais que In Jin n’attendait aucune réponse de ma part. Parler eut été impertinent.

Quel intérêt de lui dire que Hyo Jin ne voulait pas que je l’accompagne ? Que gagnerais-je en la contredisant ? Sa colère glissait sur moi. Combien de fois m’étais-je trouvée dans une situation semblable, à genoux, persécutée par un des Moon ? Devant eux, j’étais comme une petite fille, je n’avais pas le pouvoir de répondre, encore moins celui de démentir tous leurs mensonges. In Jin pensait-elle vraiment que j’aimais la vie que me proposait son frère ? Ne croyait-elle pas que j’avais envie de voir d’autres gens ? Était-elle aveugle au point de ne pas voir comment Hyo Jin passait son temps libre à Séoul ? Les bars y étaient pires qu’à New York. En Corée, il y avait toujours quelqu’un pour lui prêter de l’argent, un vieux copain pour le rejoindre dans ses virées.

Ma mère avait demandé à mon oncle, Soon Yoo, de surveiller Hyo Jin. Mon oncle était un beau parleur, un joueur de trompette qui connaissait les night-clubs comme sa poche encore mieux que Hyo Jin. Il était le préféré de ma mère depuis le jour où il l’avait aidée à récupérer ses chaussures pour aller se marier. Lorsqu’il était en compagnie de mon père, tous deux faisaient un peu les quatre cents coups. Après avoir bu, ils se rendaient souvent au sauna où, je l’appris plus tard, Hyo Jin avait trouvé une petite amie parmi les filles qui s’occupaient des serviettes.

Une nuit, alors que j’étais agenouillée près de notre lit, à prier comme tous les soirs, Hyo Jin rentra après sa virée nocturne. Je crus devoir finir ma prière avant de le saluer. Ce fut une erreur ! Il me frappa sur la tête avec sa main. Déséquilibrée à cause de mon gros ventre, je tombai à la renverse.

« Comment oses-tu rester assise au lieu accueillir ton mari », lança-t-il d’une voix pâteuse.

« Je tentais simplement de finir ma prière », me justifiai-je avec imprudence.

Un chapelet d’injures s’échappa de sa bouche : « Tu es moche, grosse et stupide ; tes parents sont arrogants et déloyaux envers Père, ils ont une influence diabolique sur toi. » Quand il s’éloigna vers la salle de bains, j’en profitai pour courir me réfugier dans la chambre de Shin June. Il n’était qu’à quelques pas derrière moi.

Il se mit à frapper de toutes ses forces contre la porte. Shin June, réveillée par ses hurlements, se serra contre moi tandis que son cinglé de père tentait de démolir le battant qui, je le constatai avec gratitude, portait un verrou de cuivre, solide.

Au bout de quelques minutes, il s’en alla. Shin June et moi nous endormîmes, accrochées l’une à l’autre. Un éclat de voix et une bordée d’insultes nous réveillèrent, le lendemain matin. Hyo Jin, brandissant sa guitare comme une masse, la projetait sur la lourde porte de bois. Heureusement, elle ne céda pas. Lorsqu’il s’éloigna, je conseillai à Shin June de rester au lit et je courus dans une autre pièce. J’étais sûre qu’il ne blesserait pas notre fille. C’était moi qu’il voulait !

Soudain, je l’aperçus, dehors, sur le balcon. Il lança sa guitare à travers la vitre : une pluie d’éclats de verres atteignit la chaise sur laquelle j’étais assise cinq minutes auparavant. Je dégringolai les escaliers à toutes jambes, ses jurons rageurs dans l’oreille, et me réfugiai au rez-de-chaussée dans les appartements d’un représentant de l’Église. Hyo Jin continuait de hurler. « Sors de là », vociférait-il. J’étais paniquée, mais pas stupide. Je savais que si je sortais, il me battrait comme un fou. Pendant qu’il allait chercher les autres pour se mettre à ma recherche, je restai tapie, en silence pendant des heures.

Lorsqu’il abandonna et sortit s’enivrer, j’appelai mon père, des sanglots hystériques dans la voix. Il m’envoya immédiatement une voiture.
C’était la première, fois depuis que j’étais mariée à Hyo Jin, que j’avais peur pour ma vie. Jusque-là, les mauvais traitements que j’avais subis s’étaient bornés à des attaques psychologiques. Pendant des années, j’avais enduré sa cruauté et ses menaces, ses « tu es laide, grosse et stupide ». Il me répétait sans cesse que je n’étais personne, juste une nullité, qu’il était le fils du Messie, et qu’il pouvait me remplacer.

À force d’habitude, j’arrivais à ne plus répondre. Hyo Jin était toujours sur la défensive : il acceptait mal que je réussisse dans mes études, lui qui perdait sa jeunesse dans la drogue, l’alcool et le sexe.

Pour ne pas aggraver les choses, je ne répliquai jamais rien. Je m’inquiétais juste pour Shin June et le futur bébé qui grandissaient dans cette ambiance haineuse et empoisonnée. Pour eux, je gardais le silence afin de ne pas l’offenser. Chaque jour, c’était comme marcher sur des œufs, n’importe quoi pouvait le faire exploser.

Le comportement violent de Ho Jin était la conséquence de l’environnement de coercition et de contrôle dans lequel il avait été élevé. Je n’avais, pour ma part, aucune vie substantielle, en dehors de ma « prison » d’Irvington, devant être disponible à tout moment pour Mme Moon. J’étais une sorte de spectre, à l’Université de New York et plus tard à l’Université Barnard.

Si Sun Myung Moon envoyait ses enfants, ses brus et ses gendres à la faculté, ce n’était pas pour leur avenir et leur épanouissement personnel, mais pour briller. De peur d’être obligée de répondre à des questions ou d’être trop absente du Jardin de l’Orient, je refusais toute amitié extérieure. Mme Moon estimait déjà que j’usurpais le temps qui lui était dû, en faisant des études.

Pendant des années, à chaque nouvelle grossesse, j’interrompais mes cours. J’étais si souvent absente qu’en un rien de temps, j’avais épuisé le nombre de feuilles d’absence attribuées à chaque étudiant. En 1988, grâce à mon niveau d’études, je pus rejoindre Barnard. Un agent de sécurité du Jardin de l’Orient m’y accompagnait en voiture et revenait me chercher. Personne ne savait qui j’étais. Même mon professeur-instructeur l’ignorait.

Quelques années plus tard, alors que j’étais enceinte de mon quatrième enfant Shin Ok, je demandai une feuille d’absence.

« Êtes-vous sûre que c’est ce que vous souhaitez ? », me demanda mon instructeur, une femme d’un certain âge, en apprenant que j’étais enceinte.

« Oh, il n’y a pas de problèmes. Je suis mariée. », répondis-je en riant. Si je lui avais dit que j’allais avoir mon quatrième enfant !

À mon avis, Barnard avait dû compter peu d’élèves comme moi.

Grâce à mes lectures, à mes études, j’approfondissais ma connaissance du monde. Cela ne restait, hélas, qu’un exercice intellectuel. Sur les rayonnages de la Bibliothèque Woolman, à Barnard, et la Bibliothèque Butler, à Columbia, il était impossible de trouver autre chose que de la culture. Toute ma vie, j’avais appris à ne pas douter, à ne pas poser de questions. Aucun cours d’histoire des religions, aucune conférence sur le messianisme n’aurait pu ébranler ma foi en Sun Myung Moon ou en l’Église de l’Unification.

La conséquence d’une foi aveugle est la solitude. Je ne vivais qu’avec des gens qui avaient les mêmes croyances. Le fait de devoir me prosterner devant Mère et Père, chaque matin, d’accepter la divinité d’un mari pervers, renforçait cette solitude. Lorsque j’étais en colère, triste ou bouleversée, je n’avais personne avec qui partager mes sentiments. Les Moon ne se souciaient pas de moi, mes parents étaient à des milliers de kilomètres, le personnel et les simples fidèles de l’Église n’osaient pas me parler à cause de mon statut de membre de la Vraie Famille.

Si je n’avais pas eu la prière, j’aurais perdu la raison. Dieu devint l’ami et le confident que je n’avais pas sur Terre. Il écoutait mes peines de cœur. Il entendait ma souffrance. Il me donnait la force d’envisager mon avenir avec le monstre que j’avais épousé.

À Séoul, la rage de Hyo Jin effraya mes parents. Ils devinaient que je menais une vie difficile au Jardin de l’Orient mais, pour la première fois, ils étaient témoins de ma souffrance.

Lorsque j’arrivai chez eux avec Shin June, je tremblais et pleurais à chaudes larmes. J’avais l’air traumatisée. Hyo Jin allait venir me chercher, nous le savions tous, et mes parents n’avaient aucun pouvoir pour défier le fils du Messie. J’étais terrifiée à l’idée d’être battue une nouvelle fois. Mon père me conduisit dans une clinique où les docteurs, mis au courant de la situation, s’empressèrent de m’hospitaliser.

Lorsque Hyo Jin l’appela pour lui demander de me renvoyer, mon père lui expliqua que les médecins jugeaient plus prudent de me garder sous surveillance pour protéger le fœtus.

Hyo Jin ne fut pas long à apparaître à mon chevet. Son message fut clair : je ne pourrais pas toujours me cacher, ni l’empêcher de voir Shin June.

Il faudrait bien que je rentre un jour ou l’autre. Bien entendu, il ne s’excusa pas. Il voulait juste me dire que, tôt ou tard, il me faudrait rentrer et l’affronter.

Je demeurai à Séoul avec mon père, ma mère et Shin June pendant deux mois. Hyo Jin retourna au Jardin de l’Orient. Mon absence fut considérée par les parents Moon comme un acte d’obstination et de provocation. Hyo Jin leur raconta qu’il avait dû me frapper parce que j’avais osé lui répondre. Une telle punition physique était, pour eux, justifiée.

Au cours d’un sermon, Père dit un jour qu’il fallait de temps à autre, frapper son épouse pour qu’elle reste humble.

« Vous, les épouses, giflées ou frappées par vos maris, levez la main, demanda-t-il. On vous frappe parfois, à cause de vos lèvres. Le premier criminel du corps, ce sont les lèvres, ces deux lèvres minces ! »

Selon l’Unificationnisme, les femmes doivent être soumises à leur mari, tout comme les enfants le sont à leurs parents. Ils doivent obéir.

« Si vous battez vos enfants sous le poids de la colère, c’est un péché, dit le Révérend Moon. Mais s’ils vous désobéissent, vous pouvez les contraindre par la force. C’est bon pour eux. S’ils ne vous obéissent pas, vous pouvez même les frapper. » À l’image de son père qui giflait ses enfants, le fils du Messie s’autorisait à battre sa femme quand elle oubliait de lui accorder le respect auquel il estimait avoir droit.

Une lettre arriva bientôt pour moi en Corée. Elle venait de Mme Moon. « Il faut que tu rentres, m’écrivait-elle. C’est mauvais pour toi d’être chez tes parents. Tu n’es pas leur enfant, tu es la femme de Hyo Jin ! » Elle manifestait sa colère contre mon père et ma mère qui me recueillaient chez eux. Cette colère ne fit qu’augmenter, le jour où leur propre fille, Je Jin, et mon frère Jin envoyèrent leurs enfants chez leurs grands-parents paternels, en Corée, pour les protéger de l’influence des Moon. Je Jin et Jin doutaient déjà du Père et de l’Église.

Je ne pouvais plus rester indéfiniment chez mes parents. Je devais rentrer. C’était ma mission, mon destin. Il est aisé pour des gens n’appartenant pas à l’Église de l’Unification de se demander comment un père et une mère peuvent renvoyer leur fille auprès d’un mari violent et d’une belle-famille négligente. Nous avions le sentiment de faire la volonté de Dieu. Nous n’avions pas à modifier Ses desseins. La seule pensée de quitter Hyo Jin Moon signifiait rejeter ma vie, mon Église et mon Dieu. Pour mes parents, cela équivalait à remettre en cause toutes leurs décisions d’adultes.

Je rentrais parce que j’y étais contrainte, mais aussi parce que j’avais peur. Une femme battue n’a pas besoin d’être prisonnière d’une secte pour se sentir impuissante. Toutes ont entendu, un jour, des amis ou des parents bien intentionnés, leur dire :
« Pourquoi ne le quittes-tu pas ? » Cela paraît simple, mais cela ne l’est pas pour des jeunes mères sans ressources, prenant au sérieux les menaces de mort de leurs maris ? Les femmes battues risquent d’être tuées en s’enfuyant. Les statistiques criminelles confirment cette réalité que les femmes connaissent d’instinct.

Le jour de septembre où je quittai la maison de mes parents fut un des moments les plus douloureux. Personne ne voulait que je m’en aille. Cependant, aucun de nous n’arrivait à outrepasser le pouvoir de Sun Myung Moon et de son Église. Il y eut des adieux pleins de larmes. Mon père ne parvenait même pas à me regarder en face. Sa détresse était aussi grande que la mienne.

Hyo Jin ne vint pas nous chercher à l’aéroport. Lorsque nous le vîmes au Cottage, il fit comme si rien ne s’était passé. Mme Moon me convoqua dans sa chambre. Après m’avoir souhaité la bienvenue, elle m’assura que Hyo Jin lui avait promis qu’il n’y aurait plus d’incident de ce genre. Elle me parla de sa violence et de sa dépendance à la drogue par euphémismes, me rappelant qu’il était de mon devoir de transformer son fils. C’était la raison pour laquelle j’avais été choisie.

Je ne savais que penser. J’avais tendance à considérer que Hyo Jin était un menteur né et en même temps j’espérais encore qu’en priant avec ferveur, Dieu m’accorderait un mari différent. Comme toutes les femmes battues, je voulais croire à ces promesses de changement.

Mme Moon fut nettement plus directe en ce qui concernait l’attitude de mes parents. Elle était très en colère contre eux, leur reprochant de m’avoir gardée à Séoul. Puis, elle m’interrogea sur leur loyauté à l’égard de Père.

« Nous avons entendu, me dit-elle, des échos venant de Corée qui nous déplaisent fortement. »

Je me souvins alors de discussions que j’avais eues avec ma mère, quelque temps auparavant. Elle m’avait laissé entendre que leurs rapports avec les Moon n’étaient pas au beau fixe. Durant ses récentes visites en Corée, le Révérend Moon avait critiqué mon père en public. Il l’accusait de faire embaucher à II Hwa des proches et des parents, et de lui voler les mérites de la prospérité de la société.

Lorsque ma mère m’avait raconté cela, elle n’avait pas l’air alarmée. Père était connu pour ses colères envers ceux qu’il aimait bien. Être critiqué en public équivaut parfois à un compliment dans l’Église de l’Unification.

J’allais apprendre plus tard, cependant, que le Révérend Moon prenait un plaisir sadique à humilier mon père devant les autres. À l’inauguration d’une usine d’embouteillage, dont il avait supervisé la conception, le financement et la construction, le Révérend Moon le traita d’incompétent, ajoutant qu’il pouvait le renvoyer du jour au lendemain s’il en avait envie. Au cours d’un de ses petits déjeuners à Séoul, il l’humilia devant une douzaine de représentants de l’Église, affirmant « qu’il était mené par le bout du nez par sa femme ».

Il était difficile de comprendre d’où venait ce changement d’attitude de la part des Moon. Sun Myung Moon est, en général, à la fois attiré et repoussé par l’intelligence et la compétence. Personne ne doit paraître plus intelligent que lui. Or mon père présentait à la fois l’avantage et l’inconvénient d’avoir érigé avec succès une société florissante pour le Révérend Moon.

Il avait bien servi son maître. Il avait accompli cela grâce à son propre talent et son travail : c’était dangereux, il risquait de s’en attribuer les mérites.

Ma mère était également dans une situation précaire. Elle avait prêché pendant des années pour Sun Myung Moon et était devenue l’une des voix les plus éloquentes de l’Église de l’Unification. Elle avait de grandes connaissances théologiques.

Mme Moon, peu instruite, était mal à l’aise avec de jolies femmes intelligentes comme ma mère. En public, elle se faisait appeler docteur : le titre, hélas, n’était qu’honorifique !

Pour ne pas prendre de risques, Mme Moon s’entourait de femmes coréennes plutôt stupides : des sortes de bouffons du roi, dont le rôle consistait à la divertir avec des blagues absurdes mais certainement pas à stimuler son intelligence.

Ma mère était d’une race à part. Fine et sérieuse, elle ne supportait pas les imbéciles. Elle était dévouée à la Vraie Mère mais elle ne rentrait pas dans son jeu.

Certaines amies de Mme Moon profitèrent de cet instant de disgrâce pour détruire encore plus la réputation de ma mère. La plupart se rongeaient de jalousie depuis que mes parents avaient marié deux de leurs enfants à la Vraie Famille. On avait pris, disaient-elles, la place de leurs enfants. La revanche était trop belle. Tout ce que fit maman commença à être déformé par la rumeur. Il suffisait qu’elle offre de l’argent à un membre de l’Église nécessiteux pour que l’on dise qu’elle cherchait à acheter son affection.

À la cour du roi, au Moyen Âge, le dernier qui avait parlé avait raison. C’était pareil dans l’univers des Moon. Les flagorneurs avaient de l’influence et du pouvoir. Il y eut bientôt des rumeurs disant que mes parents prévoyaient de créer une église séparatiste, en Corée et que mon père avait l’intention de s’autoproclamer le Vrai Messie.

Tout cela n’avait aucun sens, mais les Moon étaient toujours prêts à croire le pire. À la demande de Mme Moon, le rôle de mon père dans l’Église de l’Unification s’amenuisa. Pour nuire à son influence, le Révérend Moon le nomma Président de l’Église de l’Unification en Europe, continent où le mouvement avait le moins de pouvoir.

Bientôt, cette hostilité commença à toucher ma vie. On me demanda de réduire mes contacts avec mes parents. Mes appels téléphoniques en Corée furent enregistrés. C’en était trop ! Je ne pouvais supporter d’être coupée de ma famille. J’installai une ligne privée dans ma chambre afin de ne pas rompre les liens.
Deux mois après mon retour au Jardin de l’Orient, notre seconde fille, Shin Young, vint au monde. Bien que déçu, tout le monde se montra soulagé de voir que malgré la vie dépravée de son père, elle était en parfaite santé.

À peu près à cette période, Mme Moon, qui se préparait à repartir quelque temps, en Corée, me fit appeler dans sa chambre. Elle m’annonça quelle avait décidé d’emmener ma fille Shin June, âgée de quatre ans, pour tenir compagnie à sa fille de cinq ans. Je n’osai pas refuser ou poser les questions qui me brûlaient la langue. Combien de temps allait-elle partir ? J’eus à peine le temps de digérer la nouvelle quelle alla chercher dans son coffre un sac Gucci. Il contenait 100 000 dollars en liquide.

« C’est de l’argent à semer pour assurer l’avenir de notre famille », me dit-elle. Elle me conseilla de l’investir sagement, en or par exemple. Elle ajouta qu’elle me donnerait, plus tard, 300 000 dollars de plus. Me soudoyait-elle ? Prenait-elle ma fille en échange de cet argent ?

Je suppliai Hyo Jin d’intervenir auprès de sa mère. Je savais que Shin June ne voulait pas partir : Jeung Jin était gâtée et sa baby-sitter était méchante. Ma fille et moi étions très proches. Elle allait me manquer terriblement. De plus, elle était trop jeune pour un tel voyage sans moi. Hyo Jin refusa de m’aider. Si Shin June se trouvait en Corée, cela lui donnait une bonne excuse pour s’y rendre aussi et aller voir ses petites amies.

Je décidai, après conseil, de stocker l’argent donné par Mère dans le coffre d’une banque de Tarrytown.

Ce fut une erreur. Hyo Jin, pouvant y accéder facilement, le dépensa en un rien de temps. Il acheta un fusil plaqué or à 30 000 dollars, pour son père, et des motos, pour lui et ses frères.

Shin June resta en Corée pendant trois longs mois. Sur les photos que Mme Moon m’envoyait, ma petite fille ne souriait jamais. Son voyage n’apporta rien de bien. À son départ, elle savait tenir un crayon et écrire son nom. Durant son séjour à Séoul, la baby-sitter lui interdit de le faire, en lui tapant sur la main. Sa tante ne savait pas écrire, les enfants Moon devaient rester supérieurs !

Il me fallut des années pour corriger ces dégâts. La baby-sitter lui raconta des histoires de fantômes, à lui donner des cauchemars. Quand elle demandait à aller voir ma mère, Mme Moon la distrayait en l’emmenant dans un magasin de jouet ou chez un glacier. Je me jurai que je ne laisserais plus jamais les Moon m’enlever un de mes enfants.

Ils les emmenaient en conférences, non pas parce qu’ils les aimaient mais parce qu’ils avaient besoin d’ornements vivants, de jolies frimousses qui donnaient d’eux, à travers le monde, une image de grands-parents aimants. J’étais prête à utiliser tous les moyens — flatterie, manipulation, tromperie — pour empêcher, à l’avenir, Sun Myung Moon et sa femme d’exploiter mes enfants.

Ils étaient la seule vraie bénédiction de ma vie. J’étais toujours, soit enceinte, soit entre deux grossesses. Selon mon état, je m’inscrivais en cours ou m’absentais quelques mois.

En 1987, je crus faire face de nouveau à une seconde fausse couche. Elle commença, au quatrième mois, par des saignements abondants. Sur les conseils de mon médecin, je ne quittai pas mon lit mais le sang coulait toujours. J’étais terrifiée. Lorsque Hyo Jin m’appela d’Alaska où il pêchait avec ses parents, il sentit ma peur et exprima une inquiétude touchante. À son retour, il n’en restait plus trace.

Je lisais la Sainte Bible quand il arriva au Cottage. Il m’arracha le livre d’un coup sec. Instinctivement, je mis mes mains en avant pour me protéger.

« Crois-tu que la Bible est plus importante que les Vrais Parents, hurla-t-il. Pourquoi n’es-tu pas dehors pour les accueillir ? » J’essayai de lui expliquer les ordres du docteur, mais il se montra cruel et méprisant.

« Si tu saignes, le bébé risque d’être handicapé, criait-il. Il vaut mieux que tu fasses une fausse couche plutôt que de donner un enfant déformé à la Vraie Famille. »

Je fus révoltée devant son indifférence. « Lève toi, espèce de salope paresseuse », tonna-t-il.

J’essayai de m’exécuter mais j’étais trop faible. Je restai au lit tandis qu’il quittait la maison, en tempêtant. Ma mère, que j’appelai en Corée, me promit de réunir son groupe de prières afin d’aider le bébé. Les saignements ne s’étant pas interrompus, quelques jours plus tard, j’en conclus que le bébé devait être mort. Je pris quelques affaires et me rendis aux Urgences. À l’hôpital, le docteur fit une échographie. Il dut me répéter deux fois la bonne nouvelle, tant j’étais persuadée d’avoir perdu l’enfant. Son cœur battait vigoureusement. Le placenta avait effectivement saigné, mais commençait à cicatriser.

L’explication médicale ne me contenta pas. Pour moi, c’était un miracle voulu par Dieu. Aucun bébé n’aurait pu survivre avec la quantité de sang que j’avais perdu. Lorsque le docteur m’annonça que j’attendais un fils, je reconnus ce cadeau comme venant de Dieu. Je ne révélai le sexe à personne, pas même à ma mère. Quand In Jin et Mme Moon me posèrent la question, je leur fis croire que je n’en savais rien. C’était un secret entre moi et Dieu. J’avais le sentiment qu’en ne disant rien, j’empêcherai Satan de faire du mal à mon bébé.

La famille Moon tomba littéralement en extase lorsque je donnai naissance à Shin Gil, le 13 février 1988. Les Vrais Parents firent même temporairement des efforts envers les miens. Hyo Jin était fou de joie. Grâce à cet enfant mâle, il se présentait nettement comme le digne héritier de son père. Le Révérend Moon espérait que cette naissance allait aider Hyo Jin à accepter ses responsabilités envers sa famille et l’Église de l’Unification.

Cet espoir fut, hélas, sans fondement. En avril, devant un rassemblement de fidèles dans la grande salle du World Mission Center, au New Yorker, Hyo Jin fit en public une confession dramatique. Pour l’Église, c’était le Jour des Vrais Parents.
« Beaucoup de membres Bénis blâment Père pour mes méfaits. Ce n’est pas la faute de Père, c’est la mienne, commença Hyo Jin. Il ne m’a pas été facile de venir en Amérique. J’ai commencé à éprouver de la haine et de l’incompréhension. Des gens ont essayé de m’expliquer les choses, mais j’ai refusé d’écouter. Mon cœur était empli de colère. Je détestais presque tout le monde. »

Il poursuivit en racontant ses aventures sexuelles, ses beuveries d’adolescent, sa dépendance à la cocaïne. Il laissa croire au public que cela appartenait au passé.

« Je veux m’assurer, dit-il, que rien de tout cela n’arrivera à mes frères et sœurs, aux Enfants Bénis, à vos enfants. »

Ce qu’il ne précisa pas, bien sûr, c’est qu’il continuait de boire, de prendre de la drogue et de coucher à droite et à gauche.

« Je veux me conduire correctement, à partir de maintenant. C’est le passé, mais il vient souvent me hanter. Je vous ai tout avoué, mes coucheries avec n’importe qui, mes nombreuses maîtresses. Je n’ai rien de plus à dire. S’il vous plaît, pardonnez-moi. »

Les membres de l’Église restèrent muets d’admiration devant une telle performance. Hyo Jin pleurait, ses frères et sœurs l’embrassaient. Moi, je n’étais que spectatrice. Dans cette confession, jamais il n’avait prononcé mon nom. Il s’était excusé devant Dieu, les Vrais Parents, les membres de l’Église mais pas devant sa femme.

Après ce discours, il reprit, bien sûr, sa vie de débauche. Je n’en fus pas surprise. Il se mit à insister pour que je l’accompagne dans les bars de Karaoké et les boîtes de nuits. J’y allai souvent pour éviter une bagarre, mais je détestais cette atmosphère. S’il pouvait se permettre de dormir toute la journée, je devais me lever tôt pour les enfants et assurer mes cours. Son alcoolisme ne répugnait. Il buvait une demi-bouteille de tequila et laissait 150 dollars de pourboire à la serveuse. Je sirotais mon coca en regardant ma montre.

Je n’étais pas de bonne compagnie, mais je pouvais ramener la voiture à la maison. Inévitablement, Hyo Jin s’attirait des ennuis quand il essayait de conduire. En 1989, les Moon m’avaient loué une Audi pour aller au collège. Une nuit, Hyo Jin prit la voiture pour aller en ville. Vers minuit, un coup de téléphone m’avertit qu’il avait eu un accident et qu’il fallait que j’aille le chercher au coin d’Amsterdam Avenue et de la 146e rue.

Je compris immédiatement pourquoi il était à Harlem : il y achetait sa cocaïne.

Lorsque j’arrivais sur place, il n’y était pas. En faisant le tour du quartier, je l’aperçus, errant quelques pâtés de maison plus loin. Il était saoul et tenait des propos incohérents. En voyant l’état de l’Audi, je fus stupéfaite qu’il ait pu en sortir indemne. C’était une véritable épave.

Avec la prime d’assurance, je louai une Ford Aérostar. Hyo Jin ne fut pas long à me l’emprunter également. À 4 h du matin, je fus réveillée par un appel de la police de New York. Hyo Jin avait été arrêté pour conduite en état d’ivresse. Ce matin-là, nous étions attendus à la fête d’anniversaire d’un des enfants Moon. J’y envoyai les petits avec la baby-sitter et me rendis en voiture à la circonscription administrative de la 125e rue. En quelques heures, je récupérai le véhicule et dénichai un avocat pour Hyo Jin. À mon retour au Jardin de l’Orient, je tombai face à face avec la Vraie Mère qui me réprimanda d’avoir raté le petit déjeuner.

« Où étais-tu ? Où est Hyo Jin ? », me demanda-t-elle. J’étais fatiguée de le couvrir. C’étaient ses problèmes, pas les miens.

« Hyo Jin n’est pas là. Lorsqu’il rentrera, je crois que vous devriez lui poser la question directement. », dis-je.

Hyo Jin revint, furieux d’être resté aussi longtemps en prison et de devoir affronter sa mère. Il fut condamné à une amende, une suspension de permis, et plusieurs heures de travaux d’intérêt général. Les Moon, eux, ne le punirent pas. Ils ne tentèrent même pas de l’empêcher de conduire en état d’ivresse.
La fois suivante, quand il me demanda d’aller avec lui au bar, je refusai.

« Je ne peux pas, je l’ai promis », lançai-je.

« Promis à qui ? »

« À moi-même », répliquai-je. Il partit en voiture, seul et sans permis.

Lentement, j’apprenais à dire « non ». La maternité y était sans doute pour quelque chose. On peut subir soi-même des insultes mais refuser d’y soumettre ses enfants. En octobre 1989, je donnai naissance à ma troisième fille. J’avais vingt-trois ans, quatre enfants et une fausse couche à mon actif. Combien de bébés encore allais-je mettre au monde ?

Je parvenais à échapper aux ordres de Hyo Jin, mais pas à ceux de Mme Moon. En 1992, elle m’annonça que je devais l’accompagner pour une tournée de dix conférences au Japon. J’étais de nouveau enceinte, mais je le cachai à ma belle-mère. Mes grossesses étaient tout ce qui m’appartenait en propre ; je ne les partageais avec la famille Moon que lorsque je n’avais plus le choix.

La dévotion, l’adoration, avec lesquelles la Vraie Mère fut accueillie au Japon, dépassèrent largement tout ce que j’avais vu en Corée. Je m’attendais, bien sûr à ce qu’elle ait droit aux meilleures suites d’hôtel, à la meilleure nourriture, mais là, c’était au-delà de l’inimaginable. Ses couverts étaient soigneusement protégés afin que personne n’y touche. Ils étaient sacrés parce qu’ils avaient touché ses lèvres ! Peut-être les Japonais flattaient-ils la Vraie Mère, à défaut de voir Moon lui-même. Ce dernier est interdit au Japon, à cause de sa condamnation fiscale aux États-Unis.

Le Japon est le lieu du premier culte impérial. Au XIXe siècle, il fut déclaré que son empereur était une divinité et que son peuple descendait des anciens dieux. L’État shintoïste, aboli par les Alliés en 1945, après la Seconde Guerre mondiale, demandait aux Japonais d’adorer leurs chefs.

Les plus grandes vertus étaient l’obéissance à l’autorité et l’auto-sacrifice.

Vu son histoire, il n’y avait rien d’étonnant à ce que le Japon fut une terre propice pour un prophète messianique tel que Sun Myung Moon. Lors de notre voyage, les collectes de fonds pour l’Église de l’Unification étaient florissantes. Les jeunes fidèles avaient réussi à persuader des personnes âgées qu’elles devaient tout mettre en œuvre pour assurer à leurs proches défunts un repos éternel dans le monde spirituel.

Ils vendaient pour des millions de dollars à des milliers de gens, des urnes religieuses, des chapelets et des images pieuses en échange d’une entrée au Royaume des Cieux. Une petite pagode de jade pouvait être vendue 50 000 dollars. On convainquait les veuves fortunées d’abandonner leur fortune à l’Église de l’Unification.

C’était extraordinaire à voir. Les fidèles servaient Mme Moon, jour et nuit, tandis que les autorités de l’Église lui apportaient des sacs remplis d’argent.


Mme Moon et moi à Kyoto, au Japon en 1992

Un jour, alors qu’un fidèle était en train de me coiffer, je remarquai que j’avais égaré ma montre. En une heure, un bijoutier se présenta dans ma chambre d’hôtel avec une collection de montres coûteuses, insistant pour que j’en choisisse une : c’était un cadeau de nos hôtes japonais.

« Prenez-en plusieurs, pour votre famille », insista l’homme. Je fus heureuse de pouvoir décliner son offre lorsque je retrouvai mon bien.

L’économie japonaise était en pleine expansion. Le pays était la principale source financière de Sun Myung Moon. Au milieu des années quatre-vingts, selon les autorités de l’Église, l’organisation gagnait 400 millions de dollars par an, grâce aux collectes de fonds japonaises. Le Révérend Moon utilisait cet argent à des fins personnelles et à des investissements aux États-Unis et partout dans le monde. L’Église possédait, au Japon, de nombreuses entreprises florissantes, dont une société commerciale, une firme d’ordinateurs et une grande bijouterie.

D’après Moon, les relations financières privilégiées entre le Japon et l’Église de l’Unification s’expliquaient en termes théologiques. La Corée du Sud est la « Nation Adam » et le Japon, la « Nation Ève ». En tant que femme et Mère, le Japon doit aider la Nation-Père, c’est-à-dire la Corée de Sun Myung Moon.

Cette vision des choses s’expliquait par une petite vengeance. Certains Coréens, dont Sun Myung Moon et ses disciples de l’Église de l’Unification, n’ont jamais oublié les quarante années d’occupation brutale japonaise.

À chaque départ de Corée ou chaque entrée sur le territoire américain, les membres de la famille de Sun Myung Moon étaient scrupuleusement fouillés à la douane. Ce voyage ne fit pas exception. Mme Moon utilisait ses gens de compagnie au mieux. J’avais, pour ma part, 20 000 dollars en billets neufs que l’on avait répartis dans deux de mes sacs. Ils étaient cachés derrière la doublure de ma mallette à maquillage. Je retins ma respiration lorsque les douaniers new-yorkais entreprirent de fouiller mes bagages. J’étais la dernière du groupe et ils semblaient décidés à trouver quelque chose. Je fis semblant de ne pas parler anglais et de ne rien comprendre à leurs questions.

Un responsable arriva : « Ne voyez-vous pas qu’elle ne parle que le coréen ?, dit-il en me souriant. Laissez-la passer. »

Je savais que la contrebande était interdite mais, dans mon esprit, les disciples de Sun Myung Moon répondaient à des lois supérieures. Je devais servir sans poser de questions. Ce jour-là, j’avais davantage peur que l’on prenne l’argent que d’être arrêtée. Je remerciai Dieu de m’avoir protégée. Dans la vision déformée que j’avais de la vie, j’étais persuadée que Dieu m’avait aidée à tromper les douaniers. Cet argent était pour Lui, Il ne voulait pas qu’ils le trouvent.

Si j’avais eu un peu plus de sens critique, j’aurais réalisé que l’argent ramassé par des colporteurs et des vendeurs de pagodes ne servait pas à Dieu. Il aidait à financer les fantasmes de rock star de mon mari. Avec son groupe, composé de fidèles de l’Église, il venait d’enregistrer un disque au studio du Manhattan Center. Le Révérend Moon avait acheté cet établissement, ainsi que le New Yorker Hôtel, dans un but culturel divin. C’était là que le Metropolitan Opéra, le New York Philharmonique et Luciano Pavarotti enregistraient leurs disques. En 1987, Hyo Jin y donna le jour à Rebirth, nom d’un premier album créé avec la seconde génération d’Enfants Bénis.

L’Église de l’Unification vendit les disques de Hyo Jin par le biais de le CARP (l’Association des Collèges pour la Recherche des Principes), dont il était le Président en prête-nom. Le CARP, une organisation étudiante dévouée à la paix dans le monde, n’était qu’un « bras » missionnaire de plus et un instrument de collectes de fonds pour l’Église de l’Unification. Son activité la plus sérieuse se limitait à l’organisation du spectacle de « Miss et Mister Université International », dans différentes villes du monde, tous les ans.

Des masses d’argent, soi-disant collectées pour Dieu, passaient dans un gouffre coûteux et inutile, cher à Sun Myung Moon : la résidence personnelle de 24 millions de dollars et le centre de conférence qu’il avait fait construire sur sa propriété du Jardin de l’Orient. Ce bâtiment, qui est probablement le plus laid de tout le Comté de Westchester, nécessita six années de travaux et presque autant d’architectes.

Au fil des années, les plans changèrent plus d’une douzaine de fois et le budget connut des dépassements de plusieurs millions de dollars. Au final, on vit apparaître une monstruosité de pierre et de béton avec un toit qui fuyait.

Le hall de réception et les salles de bain s’enorgueillissaient de marbre importé d’Italie. Les épaisses portes de chêne étaient sculptées de fleurs coréennes. Au premier étage, il y avait une salle de bal et au deuxième, les chambres des nombreux enfants Moon. Les parents avaient une luxueuse suite d’appartements privés. La salle à manger abritait un petit lac et une chute d’eau. La cuisine était équipée de six fours à pizza. Le troisième étage possédait une salle de jeu et les placards de Mme Moon qui, à eux seuls, avaient la taille d’une chambre normale. On y trouvait aussi un cabinet de dentiste et une tourelle qui abritait le bureau du secrétaire de Sun Myung Moon, Peter Kim. L’édifice était arrogant et peu fonctionnel. Au troisième étage, le bowling était situé juste au-dessus de la chambre de Sun Myung Moon. Nous l’utilisions comme débarras.

À la fin de l’année 1992, Mme Moon me pria de l’accompagner de nouveau à l’étranger, en Europe. Ma grossesse, très avancée, m’épuisait. Je ne me sentais pas en état de voyager, encore moins de servir la Vraie Mère comme elle l’attendait. Mon refus de partir rendit Hyo Jin et sa mère furieux. Lorsque le drame arriva, ils estimèrent que Dieu me punissait pour mon audace.

J’avais une échographie prévue pour janvier 1993. D’après les coups vigoureux que le bébé m’envoyait, je devinais qu’il était costaud. Je ne pus m’empêcher de sourire, en le voyant agiter les bras et les jambes, sur l’oscilloscope de l’échographie. « Tout à l’air parfait », dit le docteur en promenant la sonde sur mon ventre distendu. Soudain, son sourire se figea : « Il y a un problème », annonça-t-il à voix basse. Son visage était si tendu que je compris qu’il aurait mieux valu ne jamais entendre la réponse à la question que je posai.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? »

Le silence qui suivit parut durer des heures.

« Ce foetus n’a pas de cerveau. »

« Quoi ? Comment un bébé peut-il battre des jambes s’il n’a pas de cerveau ? »

Il s’agissait simplement d’un réflexe. Le bébé n’avait aucune chance de survie en dehors de l’utérus. Je pleurai si fort que le docteur me fit passer par une porte de derrière. J’aurais donné une image effroyable aux autres femmes enceintes, installées dans la salle d’attente. Je restai assise dans ma voiture un long moment avant de pouvoir rentrer.

Lorsque j’arrivai, Hyo Jin était enfermé à clef dans la chambre. Je savais ce que cela signifiait. Il sniffait de la coke. J’appelai ma mère. Tout ce que je trouvai à lui dire fut : « Il y a un problème terrible avec le bébé. » Je sentais toujours ces coups résonner dans mon ventre.

Je tombai d’accord avec le docteur : il était inhumain d’infliger à mes enfants la naissance d’un bébé condamné à mort. Je fis une seconde échographie avec un autre médecin afin d’être sûre du diagnostic, puis je partis seule en voiture me faire avorter. Hyo Jin refusa de venir. Submergée par une douleur plus forte que celle imaginée, je l’appelai et lui demandai de venir me chercher. Pendant le trajet du retour, il parut agacé par mes larmes. Je m’installai dans la chambre de Shin June. Je me sentais seule, furieuse.

Pourquoi était-ce arrivé ? Était-ce dû aux drogues dont abusait mon mari ? Dieu me punissait-il de ne pas avoir ramené Hyo Jin dans le droit chemin ?

Mme Moon se déclara contrariée par mon absence à la table familiale. Je suppliai Hyo Jin de ne rien raconter à ses parents. C’était personnel.

« Ne peux-tu juste leur dire que j’ai fait une fausse couche ? » l’implorai-je.

« Tu veux que je mente aux Vrais Parents ? », demanda Hyo Jin, indigné.

Non, je désirais juste un peu d’intimité, mais j’aurais dû me douter que c’était trop demander dans la maison des Moon. Il raconta tout à Mère.


Célébration du cinquième anniversaire de Shin Gil en février 1993. Le Révérend Moon et Mme Moon ne savaient pas que j’avais eu un avortement seulement quelques jours avant que cette photo été prise.


Mon silence la mit en colère. Il confirmait, selon elle, mon manque de fiabilité. J’étais fourbe, j’étais un jouet entre les mains de mes parents qui tentaient de nuire au travail de la Vraie Famille. Les critiques devinrent incessantes. Pendant les services du dimanche matin, j’étais présentée comme la fille des assesseurs de Satan. Je m’en moquais, mais je ne supportais pas que mes enfants puissent entendre des choses aussi laides sur leurs grands-parents maternels.

Mon père et ma mère étaient des gens honnêtes qui avaient consacré leur vie, et celle de leurs enfants, à la gloire de Sun Myung Moon. Ils en étaient bien mal récompensés.

En 1993, mon père eut une attaque et les Moon le relevèrent de sa fonction de Président de l’Église de l’Unification pour l’Europe. Il retourna en Corée où il fut mis au ban de ce mouvement religieux que lui et ma mère avaient contribué à fonder.

Dopé par les attaques de Père contre mes parents, Hyo Jin s’en prit de plus en plus à moi. En 1993, il prenait de la cocaïne constamment. Il s’enfermait dans la chambre de nos appartements pendant des jours entiers, me forçant à dormir avec les enfants.

Un soir, après avoir passé la semaine à se droguer et à regarder des vidéos pornos, il me fit appeler. Je refusai de le rejoindre. Il descendit au rez-de-chaussée, criant et hurlant des obscénités et me poussa sans ménagement dans la salle de catéchisme. Il renversa la table basse, et me coinça dans le coin de la pièce, dos au mur, son visage à quelques centimètres du mien.

Je courus vers le téléphone.

« J’appelle la police », le menaçai-je. Il m’arracha le combiné des mains.

« Comment oses-tu me provoquer de cette façon, tonna-t-il. La police n’a aucune autorité ici. Crois-tu que j’en ai peur ? Moi ? Le fils du Messie ? »

Prise de panique, je me mis à hurler de toutes mes forces. Les portes étaient grandes ouvertes. Les agents de sécurité, les Sœurs cuisinières et les baby-sitters devaient m’entendre. Personne ne vint. Qui aurait eu le courage de s’opposer à Hyo Jin Moon ? Qui pourrait me protéger contre le Fils du Messie ? Il éclata d’un rire sadique devant ma détresse et quitta la salle de classe, l’air dégoûté. J’appelai mon frère, Jin, et je lui annonçai mon intention d’aller à la police.
Aveuglée par les larmes, la démarche hésitante, je rejoignis le hall. Trois de mes enfants étaient pelotonnés au bas de l’escalier. Ils pleuraient.

« Ne pars pas, maman », disaient-ils en sanglotant, tandis que je me dirigeais vers la porte d’entrée.

Et je murmurai en séchant leurs larmes : « Je vais revenir. Ne vous inquiétez pas. »

Je me rendis directement à l’Hôtel de police d’Irvington. Arrivée dans le parking, je restai assise un long moment au volant de ma voiture, tremblante de peur et de rage. Je priai Dieu de me guider, je ne savais que faire. J’avais passé les onze dernières années à taire mes émotions, à cacher ma vie au monde extérieur. Que faisais-je là, devant ce commissariat ?

En me voyant entrer, en larmes, l’officier de police leva la tête de son bureau.

« Je crois que j’ai besoin d’aide », dis-je simplement. Il m’emmena dans une petite pièce et écouta tranquillement mon récit. L’adresse que je lui donnai le fit sursauter. Il connaissait le nom de famille. Il n’avait pas l’air surpris.

« Avez-vous un endroit où vous réfugier ?, me demanda-t-il. Avez-vous de la famille ? »

Je n’avais que Jin, étudiant à Harvard. Je ne voulais pas les mêler, lui et Je Jin, à cette histoire. Elle avait ses propres problèmes avec ses parents.

Le policier se montra patient et gentil. Il m’indiqua tous les recours possibles. Soit, je portais plainte contre Hyo Jin pour agression, soit j’emmenais mes enfants dans un centre pour femmes battues. Je le remerciai mais, au fond de moi, je sentais que je n’en ferais rien. Je fus seulement capable de remplir un signalement. J’avais une terrible envie de m’enfuir, mais je manquais de courage. Malgré ma terreur à l’idée de retourner au Jardin de l’Orient, je savais que je n’avais nulle part où aller.


Video : Hyo Jin de la “famille parfaite” Moon (4 minutes)


« L’ombre de Moon » par Nansook Hong, partie 1

« L’ombre de Moon » par Nansook Hong, partie 2

« L’ombre de Moon » par Nansook Hong, partie 4

J’ai arraché mes enfants à Moon – Nansook Hong

Transcription de Sam Park Vidéo en Français

« Billet pour le ciel » par Josh Freed

« L’empire Moon » par Jean-François Boyer

Moon La Mystification – Allen Tate Wood

Témoignages d’anciens membres de la secte Moon

1. Ancien témoignage d’une mooniste japonaise
2. Les caractéristiques des secte
3. Les Moon sont entrés dans Paris – CARP 1990
4. Les révélations d’un renégat. Soejima Yoshikazu et Inoue Hiroaki
5. Témoignage d’un ancien responsable de la secte Moon en Russie
6. Le temoignage de Philippe Caby, ancien “mooniste”
7. Pasteur et ex-mooniste, Martin Herbst
8. Lettre d’une mère
9. “Nous avons sauvé Alice mais les autres…”


English

Nansook Hong gives three interviews

Nansook Hong – The Dark side of the Moons

Nansook Hong: “I snatched my children from Sun Myung Moon”

Nansook Hong – In the Shadow of the Moons

Sam Park, Moon’s secret son, reveals hidden history (2014)


Spanish

Nansook Hong entrevistada en español

‘A la Sombra de los Moon’ por Nansook Hong en español

Transcripción del video de Sam Park 2014


German

Nansook Hong – Ich schaue nicht zurück

Niederschrift von Sam Parks Video