L’empire Moon 3

L’empire Moon

 

Jean-François Boyer    1986

L’empire Moon, pages 1-176

L’empire Moon, pages 177-238

L’empire Moon, pages 239-314

L’empire Moon, pages 315-419


I. LA PHOTO DE FAMILLE

Introduction

1. « Frères et sœurs » 14

2. Le don de soi 26

3. Une ambition pour le monde 45

4. La société Moon-France : combines 61

5. La société Moon-France : propagande 71

6. La société Moon-France : indélicatesses 87

II. LA CONSTRUCTION D’UN EMPIRE

7. Le prophète solitaire 105

8. La naissance d’une Église 118

9. De l’Église à l’Internationale 128

10. La naissance de la multinationale 139

11. Les rouages d’un empire financier mondial …. 155

12. L’une des cinquante premières puissances privées du monde 168

III. MOON AU SERVICE DE L ’AMÉRIQUE

13. Des petits Français pour Nixon 179

14. La « marée montante » du reaganisme 198

15. À la rescousse en Amérique latine et centrale 211

16. Sur le terrain avec la Contra 229

17. Moon, la « guerre privée » et la Ligue anticommuniste mondiale 239

Guerrier de l’ombre 239

Avec la sympathie du Pentagone 241

Cocktails détonants 244

Victoire sur le communisme 247

Moon pilier de la WACL, ou un « chapitre » très religieux 250

Les « combattants de la liberté » 252

Un allié gênant, mais sûr 256

Rêves moonistes et songes reaganiens 259

18. Au cœur de la droite américaine : le Washington Times 261

Un précédent 262

Les parrains 264

Le feu vert de la droite 267

L’annexe de la Maison-Blanche 269

Le journal du président 273

Au secours de la guerre 276

19. Le Nicaraguan Freedom Fund 280

Arnaud de Borchgrave, aristocrate de la désinformation 281

Robert Moss, à l’avant-garde de la lutte antimarxiste 284

La nation américaine trahie 288

Une guerre lointaine 292

Qui sont les Contras ? 294

« Pour des balles et des bombes » 296

Rouge, blanc, bleu, ou les couleurs de Moon 299

20. Dîners en ville et jeux d’influences 301

Happy few 301

La valse des billets verts 305

Affaires de Famille 308

La « sainte alliance » 310

IV. MOON À LA CONQUÊTE DU MONDE

Introduction : le Washington Times, journal planétaire 317

21. Gagner les élites européennes 322

22. La France, tête de pont sur le front européen 335

23. Gustave Pordéa : un mooniste au Parlement européen 356

24. La marche sur Moscou et la contre-révolution mondiale 371

25. Moon prisonnier de l’Amérique 391

Liste des principaux sigles utilisés 406

Index 407

Table 414


p. 239

17. Moon, la « guerre privée » et la Ligue anticommuniste mondiale

Guerrier de l’ombre

John K. Singlaub a-t-il connu, a-t-il aimé autre chose que la guerre et les combats de l’ombre ?

A vingt-trois ans, il saute en parachute sur la France occupée par les armées de Hitler. Opération « Jedburgh ». Son commando doit rejoindre la Résistance, lui remettre un émetteur et assurer les premières communications avec Londres. Autour d’un noyau d’officiers et d’agents de renseignement anglais et américains, les « Jedburgh » regroupent une cinquantaine de Français et de Belges.
Certains feront carrière, tels William Colby, futur patron de la CIA, Tommy MacPherson, futur conseiller de Margaret Thatcher, et Michel de Bourbon qui deviendra vendeur d’armes pour le compte de gouvernements français successifs.

À peine sorti des maquis français, notre héros vole vers une guerre du bout du monde. Les services secrets de l’armée américaine — le fameux OSS — lui ont demandé de conseiller les guérillas chinoises du Kuomintang qui harcèlent les Japonais à la frontière sino-indochinoise. Nous sommes en 1945 et John K. Singlaub découvre à peine la vie d’adulte. Il est né vingt-quatre ans plus tôt dans une petite ville californienne au nom de légende américaine : Independent !

Les Japonais vaincus, la guerre finie, il ne retourne pas chez lui. Il reste sur le front. Car pas un officier de renseignement américain n’en doute, les véritables ennemis de l’Amérique en Asie, les communistes, sortent renforcés du conflit mondial.
Singlaub court à Mukden, en Mandchourie chinoise que les armées nippones viennent d’abandonner. Il y dirige la station de la CIA et assiste pendant deux ans au lent grignotement de la Chine par les partisans de Mao Zedong. Il prend le dernier avion avant l’arrivée des troupes communistes.

L’Amérique est à peine entrée en guerre contre la Corée du Nord qu’il se porte volontaire. On lui confie d’abord la responsabilité de chef d’antenne adjoint de la CIA à Séoul, avant de lui donner le commandement d’un bataillon d’infanterie.

Le Viêtnam lui fait découvrir une autre facette de la guerre. De 1966 à 1968, il y dirige l’état-major des forces dites non conventionnelles. À la tête du Groupe d’observation et d’études — gentil nom pour une troupe de 10 000 commandos spécialement entraînés -, il mène une guerre secrète contre les communistes au Nord-Viêtnam, au Cambodge et au Laos. Il devient expert en sabotage, en action psychologique et en raids de nuit.

Le guerrier ne sortira de l’ombre que beaucoup plus tard. À cinquante-cinq ans, il est nommé chef d’état-major des Forces des Nations unies et de la VIIIe armée américaine à Séoul. Un an après, en 1977, il s’oppose publiquement à la volonté du président Carter de retirer les troupes américaines de Corée du Sud. Rappelé aux États-Unis, il devient en quelques mois le nouveau héros d’une droite écœurée par la politique des droits de l’homme du président. Carter revient sur sa décision. Les boys sont maintenus en Corée et le général se retire dans les montagnes du Colorado.

Sept ans plus tard, son nom revient à la une de la presse américaine: « La guerre privée du général Singlaub », titre Westword, un magazine de Denver (Colorado) en avril 1985. Le Washington Post présente sa photo en grand uniforme, un mois plus tard, sous une manchette de trois colonnes : « Des groupes privés augmentent l’aide à la Contra. »

Le patron des Green Berets du Viêtnam n’a pu résister à l’appel de la revanche : les marxistes-léninistes du Nicaragua doivent être vaincus. Cette fois l’Amérique gagnera quels que soient les moyens ! Les leaders de la Contra ont trouvé un sauveur en cet ancien de l’opération Phoenix, qui laissa sur le carreau plus de 20 000 Indochinois suspects d’appartenir au Viêtcong.

Adolfo Calero, le président de la FDN, reconnaît en 1985 que, depuis l’interruption officielle l’année précédente de l’aide de la CIA, Singlaub constitue une source « substantielle » de financement de son approvisionnement en armes.

Avec la sympathie du Pentagone  241

Le décor ne s’y prêtant sans doute pas, j’ai du mal à reconnaître dans mon vis-à-vis le redoutable extrémiste dont parle le tout-Washington libéral. La moquette de la salle à manger du Sheraton Carlton étouffe les sons, et John Singlaub, en costume de ville, m’entretient de ses projets d’une voix tranquille. Le regard direct, les cheveux taillés très court en une brosse impeccable, les oreilles largement décollées, la mâchoire volontaire, il me rappellerait volontiers un ancien chef scout.

La confusion ne dure pas. Le général me tend une brochure éditée par la section américaine de la WACL, la Ligue anticommuniste mondiale. Sous le titre « Les combattants de la liberté trahis », des photos le montrent visitant les camps de la Contra au Honduras, escorté par Adolfo Calero et Enrique Bermudez, le commandant militaire de la FDN, ancien colonel de la garde nationale de Somoza.

« Pour survivre, me dit Singlaub, la Contra a besoin au minimum de 500 000 dollars par mois. Pour armer de nouveaux combattants, elle aurait besoin de 3 millions par mois. Aujourd’hui [26 juin 1985 ; NdA], elle ne reçoit pas un sou du gouvernement américain… 100 % de ses fonds viennent de contributions privées… »

L’aide militaire ? Le général n’élude pas la question. Oui, il collecte des fonds que la guérilla antisandiniste utilise pour acheter des armes. Mais il précise que pour respecter la législation américaine, seuls sont acceptés les dons de citoyens vivant outre-mer ou les contributions d’hommes d’affaires étrangers « qui commerçaient autrefois avec le Nicaragua ». Le compte en banque secret qu’il a ouvert pour déposer les deux millions de dollars qu’il reconnaît avoir reçus se trouve-t-il en Suisse, comme en court la rumeur, ou plutôt dans les Caraïbes? Pas dans les Caraïbes, en tout cas. Pour le reste, no comment.

L’aide humanitaire ? Pourquoi cacher que les patrons de très grandes compagnies américaines ont été très généreux ? Certaines contributions atteignent 100 000 dollars. Deux pétroliers texans, dont le magnat Nelson Hunt et la famille Howell, de Howell Instruments — financiers traditionnels de la cause antimarxiste —, reconnaissent avoir répondu à l’appel. Depuis deux ans, le général frappe avec succès à la porte des grandes associations conservatrices. En avril 1985, il obtient 100 000 dollars des participants à une réunion du Council For National Policy, un lobby ultra-conservateur qui regroupe politiciens, hommes d’affaires et leaders religieux, engagés dans le soutien à la contre-révolution nicaraguayenne. C’est, parmi d’autres, le cas de Pat Robertson, président de la plus grande chaîne de télévision religieuse américaine — Christian Broadcasting Network (28 millions de téléspectateurs potentiels) — qui vient de lancer sur son antenne une spectaculaire collecte pour la Contra baptisée — si j’ose m’exprimer ainsi — « Opération Bénédiction ».

Le général n’éprouve aucun mal à convaincre ses interlocuteurs. En effet, peu de temps après le refus du Congrès, en octobre 1984, d’accorder de nouveaux crédits pour armer la Contra, c’est le Council for National Policy qui a pris la responsabilité de coordonner l’aide privée aux antisandinistes. On retrouve ainsi au CNP la plupart des responsables d’organisations de soutien présentes dans les camps à la frontière sud du Honduras. John K. Singlaub est, bien entendu, membre du conseil de direction du CNP.

Il affirme que « ses efforts bénéficient du soutien de la Maison-Blanche, du Pentagone et du Département d’État ». On apprendra six mois plus tard que le CNP applique un plan de contre-insurrection étudié par un comité ad hoc du Pentagone — animé par Singlaub lui-même — qui n’a pu être mis en œuvre officiellement à cause de la défaillance du Congrès. Le ministère de la Défense suit donc avec sympathie les progrès de la « guerre privée ».

Le rapport de l’Arms Control and Foreign Policy Caucus — cité plus haut — intitulé Qui sont les Contras ? Qui aide les Contras ? relève que Singlaub dirige ou inspire directement cinq des treize principaux groupes collecteurs de fonds. Il travaille en particulier la main dans la main avec les responsables de Soldier of Fortune, un magazine d’information pour mercenaires qui suit de très près l’évolution des armes et des techniques de guérilla et contre-guérilla. Soldier of Fortune, qui dans le passé a recruté des hommes pour le gouvernement blanc de Rhodésie, semblerait avoir convaincu quelques Britanniques et quelques Français de l’impérieuse nécessité de se joindre aux « combattants de la liberté ». Moyennant 400 dollars par semaine et des assurances individuelles impressionnantes ! Le rédacteur en chef du magazine ne cache pas en tout cas avoir fourni de l’équipement paramilitaire aux Nicaraguayens.

Mais John Singlaub n’est pas homme à avancer masqué derrière des comparses. Pour aider la Contra, il a sa propre organisation. Il a pris le contrôle en 1981 de l’United States Council for World Freedom, affiliée à la Ligue anticommuniste mondiale. Et il n’hésite pas à se poser en héraut de la nouvelle croisade. Les brochures de l’USCWF avertissent solennellement le lecteur : « Chaque pays abandonné au communisme doit être une préoccupation pour les Américains. Car cela nous rapproche du jour où notre propre liberté deviendra la cible immédiate, et non plus finale, des despotes communistes. »

Dans une lettre signée de sa main, illustrée d’une photo où il apparaît souriant en grand uniforme, la poitrine barrée de neuf rangées de décorations, le général conclut : « Nous pouvons contrer la campagne communiste de désinformation et de subversion et atteindre notre ultime objectif : la victoire de la liberté sur le communisme. »

Cocktails détonants  244

De 1981, date à laquelle il reprend en main la section américaine, à 1985, John Singlaub va transformer la WACL en redoutable machine de guerre.

La ligue anticommuniste mondiale (WACL) avait en effet bien besoin d’un nouveau chef. Fondée en 1967 à Taiwan, elle se donne Tchang Kaï-chek comme premier président à vie. À sa mort, c’est un autre cofondateur de l’organisation qui reprend le flambeau : l’ancien vice-président du Kuomintang, Ku Cheng Kang. Mais le vieux leader nationaliste chinois aura beaucoup de mal à contrôler les crises de croissance de cette énorme machine. Jugez donc : quatre-vingt-dix sections nationales regroupées en cinq ensembles régionaux: Asie-Pacifique, Moyen-Orient, Europe, Amérique du Sud, Amérique du Nord.

Le noyau fondateur de la WACL est asiatique. En pleine guerre de Corée, les leaders anticommunistes de la région ressentent le besoin de s’appuyer sur une structure commune qui fera pièce au Kominform. Dès la fin de la guerre, Syngman Rhee, le Coréen du Sud, et Tchang Kaï-chek, le Chinois de Taiwan, portent sur les fonts baptismaux l’APACL — Asian People’s Anti Communist League. Ce grand rassemblement, qui compte des dizaines de milliers de militants en Chine nationaliste, sera bientôt rejoint, à la faveur des conflits indochinois, par les présidents pro-américains du Viêtnam du Sud et du Cambodge, Nguyen Van Thieu et Lon Nol, qui apporteront leur soutien à l’organisation.

Au Moyen-Orient, en Europe et aux États-Unis, l’initiative éveille des sympathies. Le roi Fayçal d’Arabie décide de financer le projet et adresse de nombreux messages d’encouragement à ses promoteurs. Les réfugiés des pays de l’Est regroupés dans l’Anti Bolchevik Bloc of Nations — un groupe de pression considérable aux États-Unis — se rapprochent de l’APACL.

Avec la bénédiction des secteurs les plus durs de la CIA, la WACL naît donc en 1967, opérant la fusion de tous ceux qui voient dans l’affrontement militaro-idéologique avec Moscou la solution des maux du monde libre, de l’Asie à l’Amérique latine.

Depuis le début des années soixante-dix, la WACL propose un cocktail détonant de personnalités et d’organisations extrémistes. Des personnages hauts en couleur s’y croisent, à l’occasion de conférences, sous l’œil intéressé des véritables maîtres de l’appareil, asiatiques et américains. Responsables nationaux, observateurs sympathisants ou orateurs d’un jour, ils communient dans la même idée : il n’y a pas de place dans un monde libre pour les régimes socialistes. Qui sont-ils ?

Des dictateurs aux mains sales comme Anastasio Somoza, l’amiral Massera — membre de la première junte argentine et supérieur direct des tortionnaires de l’École mécanique de la marine de Buenos Aires —, ou le général Leigh qui partage le pouvoir avec Augusto Pinochet au lendemain de la mort de Salvador Allende, ou encore l’éternel maître du Paraguay, Alfredo Stroessner. Des responsables d’organisations terroristes comme les anticastristes d’Alpha 66 — l’organisation d’un attentat contre Castro a été plusieurs fois étudiée à la WACL dans les années soixante-dix —, ou les patrons des Escadrons de la mort salvadorien (ORDEN) et argentin (Alliance anticommuniste argentine).

On verra aussi militer à la WACL des néo-fascistes comme les Italiens du Mouvement social (MSI) ou d’Ordine Nuovo et des nazis mexicains. Mais aussi des officiers français, proches en leur temps de l’OAS, un général belge, élu depuis sénateur, voire des « politiques » que l’on ne s’attendrait pas à rencontrer là, comme Jeane Kirkpatrick, qui pose pour le photographe officiel de la XVIe conférence aux côtés d’un ancien collaborateur du Reich, l’ex-Premier ministre de l’éphémère République indépendante d’Ukraine (1941). Ou Marie-France Garaud, présente elle aussi à la XVIe conférence de Luxembourg où elle prend la parole, en 1983.

Des personnages aussi différents ont bien du mal à s’entendre sur la définition d’une stratégie commune. L’anticommunisme ne suffit plus.

John Singlaub tombe donc à pic pour remettre de l’ordre dans la maison. Pour redorer le blason de l’organisation et, partant, la rendre plus efficace, il finit de la purger de ses éléments néo-fascistes et néo-nazis les plus bruyants ; ceux qui, au risque d’une crise interne majeure, ont tenté de prendre le contrôle de la WACL dans les années soixante-dix ; les Mexicains en particulier. Tous les nostalgiques de l’Axe ne partent pas, mais ceux qui restent sont mis au pas.

Puis, profitant de ce que la présidence de la WACL lui échoit deux années consécutives car les États-Unis accueillent en 1984 et 1985 la conférence annuelle de la WACL, l’ancien patron des Forces spéciales au Viêtnam assigne à l’organisation une tâche prioritaire : soutenir par tous les moyens les mouvements de résistance armée anticommunistes. À commencer par la Contra nicaraguayenne. Charité bien ordonnée…

Dès 1984, les sections de Corée du Sud, du Japon, du Brésil, d’Argentine, de France, de Grande-Bretagne et de Chine nationaliste sont chargées de ravitailler les Nicaraguayens en armes, les contributions des businessmen américains vivant à l’étranger ne pouvant, à elles seules, couvrir les besoins. Portés par la vague reaganienne, convaincus d’agir pour le bien de l’Amérique, et donc du monde, les responsables de la WACL aux États-Unis donnent une certaine publicité à cette opération. En d’autres temps, elle serait restée secrète.

Un riche pétrolier texan vend la mèche. Il est membre du comité consultatif de la section américaine et, accessoirement, l’un de ses principaux bailleurs de fonds. Bert Hurlbut confie au Washington Post, au printemps 1985, que Taiwanais et Coréens du Sud envoient, chacun, 50 000 dollars par mois à la Contra. Singlaub ne dément pas, précisant toutefois que, a son niveau de responsabilité, Bert Hurlbut ne peut avoir accès à ces chiffres. Le Texan s’entête, rappelant qu’il a accompagné le général dans ses contacts à travers le monde et il ajoute que John Singlaub est « partout traité comme un roi par les forces de résistance ».

Victoire sur le communisme  247

Habité par le rêve de la « marche sur Moscou », Sun Myung Moon pouvait-il ignorer les efforts de la Ligue anticommuniste mondiale ? Lui, dont la biographie officielle retrace la fuite héroïque d’un camp communiste ; lui qui, en 1975 déjà, invite plusieurs représentants des « nations captives » d’Europe de l’Est à écouter le fameux discours de Séoul où il déclare le communisme « ennemi de Dieu et de l’humanité » devant un million de personnes. Pouvait-il ignorer le général Singlaub, l’homme qui dit et fait tout haut ce qu’un mouvement religieux et idéologique comme l’unificationnisme est souvent contraint de penser et de faire tout bas ?

Evidemment non. Moon n’a ignoré ni l’un ni l’autre. Mais il a fait mieux. Il a déjà fait de l’Église de l’Unification l’un des piliers de la Ligue anticommuniste mondiale.

Le cheval de bataille mooniste au sein de l’« Internationale » anticommuniste s’appelle « Victoire sur le communisme », et a vu le jour un an seulement après le premier congrès de la WACL en 1967 à Taiwan.

Pour reprendre une expression consacrée de la phraséologie mooniste, la Fédération internationale pour la victoire sur le communisme « est née de la vision du révérend Sun Myung Moon ». Elle devait à l’origine prendre le nom de Fédération internationale pour l’extermination du communisme.

Officiellement, elle voit le jour en Corée en avril 1968. En fait, elle est en gestation depuis le coup d’État militaire qui a mis fin en 1961 à la présidence de Syngman Rhee. Un coup d’État que le révérend voit venir et accueille avec un plaisir non dissimulé. Car le premier président de la République de Corée n’a pas été tendre avec Moon. Il a toujours refusé de voir en lui un « Nouveau Messie » et l’a laissé jeter en prison. Tant qu’il sera au pouvoir, Moon sait que son Église est condamnée aux seconds rôles.

Or, nous l’avons vu, vers la fin des années cinquante, l’Église de l’Unification a reçu le renfort de quatre jeunes officiers, très liés aux futurs putschistes, dont Bo Hi Pak, qui sera attaché militaire de Corée à Washington. Deux d’entre eux deviennent bientôt de proches collaborateurs de l’organisateur du coup d’État, Kim Jong-Pil. Au lendemain de la prise du pouvoir, celui-ci fonde la KCIA et se préoccupe de consolider les bases politiques du régime. Par l’intermédiaire de ses deux collaborateurs moonistes, il apprend que l’Église de l’Unification est prête à s’engager, aux côtés du gouvernement, dans la bataille anticommuniste. Il rencontre les dirigeants moonistes et leur déclare qu’en retour il assure leur mouvement de son appui.

C’est alors qu’à travers la KCFF le Mouvement de l’Unification finance deux projets chers au gouvernement de Séoul et à la WACL : le « Freedom Center » de la capitale coréenne et Radio Free Asia (cf. chapitre 9). Le lancement de Victoire sur le communisme, en 1968, s’inscrit dans la même logique : occuper le terrain de l’anticommunisme, se rendre utile, puis indispensable. Gagner en influence et en pouvoir pour finir par imposer ses vues.

En pleine guerre du Viêtnam, comme naguère pendant la guerre de Corée, Séoul n’a qu’un souci : rassembler et unir les forces — disparates ? — encore prêtes à se battre pour sauver l’essentiel : Dieu, la famille, le profit. Mais en 1968, dans le tiers monde, la mode est plus à la libération des peuples qu’à la marche sur Moscou. Le président Park et son Premier ministre Kim Jong-Pil poussent donc à la création de la WACL en 1967 et militent pour que le secrétariat général de l’organisation ait son siège à Séoul.

C’est dans cette ambiance de mobilisation générale que Sun Myung Moon lance, début 1968, la Fédération internationale pour la victoire sur le communisme. Tout naturellement, des sympathisants moonistes participent au premier séminaire de la WACL organisé à Séoul en novembre 1968 dans les salons flambant neufs du Freedom Center. On trouve même dans la délégation coréenne un futur dignitaire de l’Église de l’Unification : le révérend Sung-Soo Lee. Quoi de plus naturel ? Le Mouvement de l’Unification n’a-t-il pas largement contribué au financement du Centre ? Il peut d’ailleurs être fier de cette réalisation : les matériaux les plus modernes, verre et béton, ont été utilisés pour ériger cette tour imposante qui domine un immense hall couronné d’un toit inspiré de l’architecture traditionnelle coréenne.

Sun Myung Moon ne réussira cependant pas à contrôler le chapitre coréen de la WACL. Les excellentes relations du colonel Bo Hi Pak avec certaines éminences du régime ne suffiront pas à vaincre les réticences d’une partie de la droite coréenne pour qui le « Nouveau Messie » reste un personnage douteux.

L’Église de l’Unification multipliera pourtant les opérations de charme. À plusieurs reprises, dans ses discours, Moon chantera les louanges du nouveau maître de son pays, le colonel Park Chung Hee. Rien n’y fera. Victoire sur le communisme ne sera jamais considérée comme le leader unique de l’anticommunisme coréen. Le secrétariat général permanent de la WACL établira bien ses quartiers au Freedom Center, pour de longues années, mais il échappera à la mainmise directe du « Maître ». Trop de gens, tout aussi anticommunistes que lui, s’inquiètent des progrès de l’unificationnisme. Les grandes Églises chrétiennes en particulier.

Victoire sur le communisme éprouvera moins de difficultés à s’imposer à l’étranger : au Japon et aux États-Unis où le nom de Moon ne provoque pas encore de réactions épidermiques, en cette fin des années soixante. Les succès remportés chez ces deux géants du monde libre consoleront vite les moonistes du demi-échec enregistré chez eux.

Moon, pilier de la WACL, ou un « chapitre » très religieux  250

La section japonaise de la WACL est mooniste. Aucune autre ne mérite mieux qu’elle le titre religieux de « chapitre » (en anglais, chapter) que les documents officiels de l’organisation confèrent aux représentations nationales.

Du président au colleur d’affiches, en passant par le trésorier, ses membres sont des fidèles de l’Église de l’Unification. Asian Outlook, la luxueuse revue de l’APACL, la branche asiatique de la WACL, brosse un tableau émouvant des premières expériences militantes des moonistes japonais. Nous sommes au début des années soixante-dix : « Les jeunes du Kokusai Shokyo Len Mei [la Fédération internationale pour la victoire sur le communisme] n’ont jamais épargné leurs efforts — discours publics, distribution de tracts et de journaux — pour dénoncer les intrigues des communistes chinois. […] Comme toute organisation à ses débuts, la Fédération a connu des difficultés financières. Mais ses membres ne se sont pas laissés abattre. Ils mettaient à profit leur temps libre, après le travail ou l’école, pour ramasser déchets et ferraille et les revendre. Même M. Osami Kuboki, le président, a mis la main à la pâte dans les moments critiques. Ils ont dû abandonner cette activité en raison des protestations du syndicat et ont alors gagné de l’argent en vendant des fleurs. […] Les membres de la Fédération sont en général honnêtes, efficaces et fidèles. Ils ne fument pas et ne boivent pas. Ils économiseraient le moindre sou pour financer leurs activités anticommunistes. […] Ils ont un slogan : “Marchons, marchons, marchons.” C’est aussi une manière de travailler. Ils marchent pour distribuer leurs tracts et leurs journaux, pour permettre aux Japonais de connaître le véritable visage des communistes. »

Le style est lourd, le ton partisan, mais Parisiens et New-Yorkais auront reconnu les frères des garçons et des filles qui les abordent parfois place de l’Odéon ou sur la Ve Avenue, un sourire angélique aux lèvres ou une fleur à la main.

Au Japon comme ailleurs, c’est leur âme que les jeunes moonistes remettent entre les mains du « Père ». Et, comme chacun sait, l’âme, à la différence de la vie, résiste au découpage en tranches horaires. L’article d’Asian Outlook nous en apporte la confirmation : « La Fédération édite un hebdomadaire, le Shiso Shimbun. […] Pris dans la journée par leurs activités de propagande anticommuniste, les membres de la Fédération travaillent au journal jusqu’à minuit. Au petit matin ils se lèvent pour distribuer le journal, pour apporter la pensée anticommuniste dans chaque famille. Parfois ils devront marcher plusieurs kilomètres pour déposer un exemplaire. » Quelle organisation politique ne rêverait de militants aussi dévoués que les enfants de Moon ?

Suzanne Labin, qui dirige le chapitre français pendant toutes ces années, garde un souvenir ému de la IVe conférence de la WACL organisée par les moonistes à Tokyo en 1970. « 30 000 personnes aux cérémonies officielles, des banderoles et des affiches partout dans la ville dénonçant la Chine et l’Union soviétique ; des centaines de jeunes distribuant des tracts. La plus imposante manifestation tenue dans un pays ne se disant pas officiellement anticommuniste… »

Seules les conférences subventionnées par les gouvernements de Taiwan et Séoul ont rassemblé des foules plus nombreuses. L’effort financier consenti par l’Église de l’Unification est à la hauteur des ambitions de Sun Myung Moon. S’adressant un an plus tard à ses disciples, le « Maître » reconnaîtra que la conférence de Tokyo a coûté un million de dollars. Il avait donné l’ordre d’offrir à ses invités le plus beau meeting jamais tenu par une organisation anticommuniste.

Les travaux, qui rassemblent une centaine de délégations, sont présidés par un fidèle de la première heure, Osami Kuboki, surnommé Henry. Moon lui a confié la direction de l’Église et la présidence de Victoire sur le communisme au Japon. Il siège aussi au conseil d’administration de l’International Cultural Foundation, une filiale culturelle et scientifique du Mouvement qui tentera bientôt de gagner à l’Église la sympathie des savants du monde entier. Marque suprême de la confiance dont lui témoigne le « Père », Osami Kuboki deviendra plus tard actionnaire de la première banque du Mouvement aux États-Unis (cf. chapitre 12).

L’opération se révèle payante. Les retombées de la réussite de la conférence de Tokyo sont immédiates. Très vite, Osami Kuboki devient un personnage essentiel de l’« Internationale » anticommuniste. Sa rondeur, son sourire, sa bonne volonté séduisent. Sa puissance impressionne. En mai 1974, Asian Outlook, la revue de l’APACL prête à l’organisation japonaise 200 000 militants — dont une majorité de non-moonistes —, 90 000 cellules, trois centres d’entraînement — on y enseigne les « contre-propositions » moonistes au marxisme et… les arts martiaux —, une presse périodique, souvent confidentielle, diffusant 19 millions d’exemplaires, et 200 bus pour transporter leurs propagandistes en zone rurale.

Pas de doute, monsieur Kuboki mérite considération. Même si l’on fait la part de l’exagération inhérente à ce genre de publication militante et si l’on admet que l’infrastructure de Victoire sur le communisme recoupe celle de l’Église japonaise ! Plus encore, le représentant de Moon au pays du Soleil levant est parfaitement accepté par l’establishment conservateur. Il peut se prévaloir du soutien officiel de personnalités très en vue — anciens et futurs Premiers ministres, dirigeants du Parti libéral — et de la solidarité, discrète mais efficace, de l’extrême droite. Mais cela est une autre histoire.

Revenons donc à l’essentiel : pendant quinze ans, de 1970 à 1985, Osami Kuboki va peser d’un poids certain dans la définition des stratégies anticommunistes.

Les « combattants de la liberté »  252

Mais Moon a un autre fer au feu.

Ses premiers missionnaires arrivent aux États-Unis entre 1959 et 1961. À la fin des années soixante, il y compte assez de fidèles, en Californie et dans la région de New York, pour mettre en marche son programme politique. L’instrument choisi pour gagner les centres de pouvoir est le même qu’au Japon: une filiale de Victoire sur le communisme. Elle s’appellera Freedom Leadership Foundation (Fondation pour la suprématie de la liberté).

Le choix de ce sigle témoigne déjà d’un sens politique et d’une capacité d’adaptation certains. Moon a saisi l’un des traits essentiels du conservatisme américain : l’anticommunisme ne s’exprime pas ici de manière aussi primaire et volontariste qu’en Asie. Les héritiers des pasteurs protestants du Mayflower ne peuvent souhaiter l’anéantissement de l’adversaire. Ils défendent la liberté !

Depuis le début des années soixante, l’Église de l’Unification s’est considérablement rapprochée des milieux conservateurs américains. Souvenons-nous que, par l’intermédiaire de deux associations qui prônent le renforcement de l’amitié et des relations américano-coréennes, le colonel Bo Hi Pak a su se faire apprécier de nombreux hommes politiques. Les anciens présidents Truman et Eisenhower ont même accepté de présider l’une de ces associations.

Le travail de la FLF s’en trouve facilité. On reste néanmoins pantois devant la rapidité de ses progrès.

La liste des participants à la VIIe conférence de la WACL, à Mexico, en 1972 nous réserve en effet quelques surprises : une bonne partie de l’état-major politique mooniste participe aux travaux. Osami Kuboki est là, bien entendu, conduisant une délégation japonaise très nombreuse. Plus inattendu, le président de l’Église de l’Unification américaine, Neil Salonen, siège parmi les représentants des États-Unis. Dan Fefferman, le président de la FLP, est lui aussi dans la salle. Ces deux jeunes hommes se rendront célèbres, deux ans plus tard, en conduisant les manifestations de soutien à Richard Nixon sur les marches du Capitole, en pleine affaire du Watergate. Pour l’instant, ils partagent l’intimité des « boss » de l’anticommunisme américain. C’est une longue et fructueuse collaboration qui s’amorce cette année-là à Mexico.

Songez qu’assiste à la conférence la moitié du futur comité directeur de l’United States Council for World Freedom, l’organisation que le général Singlaub lancera, dix ans plus tard, dans la guerre secrète contre les sandinistes.

Moonistes et « faucons » américains auront l’occasion de travailler ensemble, dès 1974, lorsque néo-nazis mexicains et néo-fascistes européens prennent la direction de la WACL. Ils se retrouvent dans le même camp pour condamner l’antisémitisme avoué des nouveaux dirigeants et font bientôt figure d’accusés au sein de l’organisation. L’argumentation développée par les « procureurs» mexicains, en particulier, donne froid dans le dos. Un « dissident » de la WACL la résume dans l’un de ses ouvrages: « La direction juive de l’American Council For World Freedom agit pour le compte du complot sioniste et sert d’agent à l’impérialisme israélien. La direction juive de l’ACWF est appuyée par la FLF [l’organisation mooniste ; NdA] et son patron juif Neil Salonen… »

La bataille sera longue. Il faudra près de dix ans pour écarter de la direction de la WACL les trublions qui discréditent l’organisation et l’empêchent d’agir efficacement. L’arrivée de John Singlaub à la tête du chapitre américain accélère la purge et marque la renaissance du mouvement qui, en quelques années, devient un instrument essentiel de la bataille frontale engagée par le président Reagan contre Moscou.

Moonistes et anticommunistes américains réussissent à imposer leur point de vue : la WACL doit désormais consacrer tous ses efforts au soutien des guérillas engagées contre les gouvernements révolutionnaires du tiers monde : du Nicaragua au Viêtnam, en passant par l’Angola et l’Afghanistan.

Le tournant est pris en 1982, lors de la XVe conférence qui se tient… à Tokyo. Osami Kuboki, hôte et organisateur des travaux, est cette année-là, comme le veut la tradition, président de la WACL. C’est donc un haut dignitaire de l’Église de l’Unification qui fait adopter le premier point de la résolution finale enjoignant aux congressistes de se mobiliser derrière les « combattants de la liberté ».
Deux ans plus tard, à San Diego, sur les terres du Californien John Singlaub, la XVIIe conférence passe aux actes. Adolfo Calero, le leader de la Contra nicaraguayenne, y expose longuement ses besoins en argent, en matériel et en armes. D’autres groupes de travail étudient les demandes des représentants des Moudjahidin afghans, de l’UNITA angolaise, de la RENAMO du Mozambique et des guérillas indochinoises.

Une énorme machine se met en marche. Car certains chapitres de la WACL peuvent compter sur la collaboration active des gouvernements de leurs pays. Ceux de Corée du Sud, du Paraguay ou de Taiwan, par exemple. C’est ainsi que l’on verra apparaître des conseillers militaires asiatiques dans les camps de la Contra au Honduras, peu de temps après l’interruption officielle de l’aide de la CIA aux contrerévolutionnaires nicaraguayens.

On comprend mieux, dans ces conditions, pourquoi Ronald Reagan applaudit des deux mains aux nouvelles initiatives de la WACL. Jamais l’organisation n’a été aussi proche des préoccupations quotidiennes de la politique étrangère américaine. La lettre qu’il adresse aux congressistes de San Diego, fin août 1984, n’en fait pas mystère : « Aux quatre coins du monde, huit mouvements de résistance anticommunistes sont aujourd’hui actifs. Tous les hommes libres doivent s’unir autour de ceux qui risquent leur vie pour défendre la liberté.
La Ligue anticommuniste mondiale a longtemps été à l’avant-garde de ceux qui attiraient l’attention sur la lutte héroïque aujourd’hui menée par les authentiques combattants de la liberté de notre époque. Nancy et moi-même vous adressons nos meilleurs vœux pour de futurs succès. »

Les dirigeants de la WACL, Osami Kuboki et John Singlaub en particulier, sont comblés. Ils ne pouvaient rêver d’une caution plus prestigieuse pour leur nouvelle politique.

Sun Myung Moon, lui, trouve sans doute dans la lettre du président beaucoup plus qu’un encouragement à poursuivre l’aide à la Contra. Il aura vraisemblablement retenu un autre passage du message présidentiel. Quelques lignes que le « Nouveau Messie » ne renierait pas. Il aurait pu les adresser à ses fidèles : « La lutte entre la liberté et le communisme, dit Ronald Reagan, n’est pas, par essence, d’ordre économique mais d’ordre spirituel. C’est un combat dans lequel ceux qui aiment Dieu, leur pays, leur famille, se dressent face à ceux qui, possédés par l’idéologie, cherchent le pouvoir absolu. »

Un allié gênant, mais sûr  256

John Singlaub est trop bon tacticien pour refuser de parler de ce qui le gêne. Et le révérend Moon, s’il est un allié efficace et sûr, est aussi un allié gênant. Dans leur grande majorité, les Américains restent en effet très méfiants vis-à-vis des sectes.
Le général, lui, n’a rien à reprocher aux organisations politiques du Mouvement de l’Unification. Si ce n’est — c’est un understatement — leur mauvaise réputation.

Il entretient de bonnes relations avec le colonel Bo Hi Pak, le président de CAUSA International. Les deux hommes ont fait connaissance peu de temps après le retour de Séoul de l’ancien commandant en chef des forces américaines. C’est le bras droit de Moon qui a fait le premier pas. Il tenait à rencontrer l’homme qui avait su dire non à Carter. L’homme qui s’était opposé au retrait des boys de Corée du Sud. « Je ne me souviens pas s’il m’a contacté directement ou par l’intermédiaire de l’ambassadeur de son pays à Washington », avoue Singlaub.

De CAUSA, le général penserait plutôt du bien : « Je suis persuadé de la sincérité de l’engagement anticommuniste de la plupart de ses membres. C’est pourquoi j’ai de fréquents contacts avec le général Ed Woellner, un ami, un Texan. Je le tiens au courant des activités de la WACL ; il m’informe des projets de CAUSA… »

Si je n’y prenais garde, je serais tenté de penser que la collaboration entre les deux organisations ne va pas au-delà de l’échange d’informations. Détendu, serein, le regard direct, John Singlaub inspire confiance. D’autant plus qu’il aborde sans gêne apparente les questions les plus épineuses : « Cela n’est pas un problème pour moi que le chapitre japonais de la WACL soit dirigé par des gens liés à Moon. Ce sont eux qui ont organisé et accueilli la conférence de 1982 à Tokyo. J’y étais avec Kuboki qui, en revanche, n’a pas pu venir l’année dernière à San Diego. Mais cela ne signifie pas une rupture avec les moonistes. D’ailleurs, ses représentants étaient là… Vous comprenez, l’Église de l’Unification a bien meilleure réputation au Japon, où elle peut compter sur l’appui de personnalités respectables, qu’en Corée. Or, je suis très lié aux autorités coréennes actuelles. Le président et le chef d’état-major sont des amis. Or, ils sont convaincus que Moon n’est pas un prophète mais un politicien qui utilise son Église pour influencer ou pour prendre le pouvoir en Corée. C’est pourquoi j’ai demandé qu’aucune organisation affiliée à la WACL n’accepte désormais de financement venant de Moon… »

À ce moment du récit, il est sans doute nécessaire de faire le point sur les rapports entre les moonistes et le gouvernement coréen. Perdu dans le maquis de ces relations ambiguës, le lecteur se souviendra néanmoins qu’après une période de vaches maigres correspondant au mandat du président Syngman Rhee (1946-1960), Moon connaît des jours meilleurs avec l’arrivée au pouvoir de Park Chung Hee. Les amitiés de Bo Hi Pak, dans l’entourage du Premier ministre Kim Jong-Pil et à la CIA coréenne, jouent alors à plein.

Malheureusement pour le « Nouveau Messie », la lune de miel ne dure pas et, dès le début des années soixante-dix, les relations avec l’exécutif se gâtent. Ce qui explique le développement rapide de l’Église à cette époque aux États-Unis.

L’arrivée d’une nouvelle équipe militaire au pouvoir en 1979 complique encore les choses. Moon, dont la puissance a considérablement grandi à l’étranger, est de plus en plus perçu comme une menace par les dirigeants de Séoul. Les « relations diplomatiques entre les deux pouvoirs » coréens sont pratiquement rompues au début des années quatre-vingt.

John Singlaub le constate froidement, en expert des relations secrètes : « Si l’Église de l’Unification a effectivement reçu des fonds des services de renseignement sud-coréens sous les gouvernements précédents, je vous assure, dit-il, qu’aujourd’hui ce n’est plus le cas. »

Voilà qui l’amène sans doute à se montrer plus discret dans ses relations avec les moonistes. Par égard pour ses amis coréens, mais aussi par calcul politique. La Corée et son gouvernement pèsent en effet d’un poids non négligeable au sein de la WACL et John Singlaub a besoin de Séoul pour armer la Contra. Plus important encore, l’armée sud-coréenne constitue une pièce essentielle du dispositif de défense avancée des États-Unis et le général reste très proche des préoccupations du Pentagone. Depuis l’arrivée au pouvoir de Reagan, le secrétariat à la Défense le consulte d’ailleurs régulièrement sur les tactiques de guerre anti-insurrectionnelle à mettre en œuvre en Amérique centrale.

Pour toutes ces raisons, le général Singlaub doit composer. Il ne souhaite plus, par exemple, assister aux grandes conférences internationales organisées par CAUSA ou telle autre filiale du Mouvement de l’Unification. Il n’a d’ailleurs honoré de sa présence que la seule Conférence des médias de 1982 à Séoul.

Mais composer ne signifie pas renoncer à ses alliances. Une rapide consultation des listes des dirigeants de l’United States Council for World Freedom, d’une part, et de CAUSA, d’autre part, nous convainc déjà que les deux organisations s’interpénètrent avec la même allégresse qu’il y a dix ans. Les sigles et certains hommes ont changé certes. L’USCWF a remplacé l’ACWF et CAUSA a succédé à la FLF. Mais au fond rien n’a changé.

Citons deux exemples de personnalités cumulant des responsabilités dans l’une et l’autre organisation : un général à la retraite, Daniel O. Graham, ancien directeur adjoint des services de renseignement du ministère de la Défense, est à la fois vice-président du chapitre américain de la WACL et membre du conseil d’experts de CAUSA-États-Unis. Il serait par ailleurs trop long de recenser ses multiples participations aux conférences politiques organisées par le Mouvement de l’Unification.

Un universitaire, J.A. Parker, membre du conseil de direction de l’USCWF, siège aussi au conseil d’experts du Washington Times, le journal dirigé par le colonel Bo Hi Pak.

Mais d’autres procédés accélèrent la symbiose entre la WACL et le Mouvement de l’Unification. Depuis quelques années, les deux organisations ont recours aux mêmes conférenciers pour animer séminaires et congrès : des politologues et des journalistes collaborant pour la plupart à la demi-douzaine de « boîtes à penser » qui élaborent la doctrine du mouvement conservateur américain ! Tant au plan stratégique que tactique, on chercherait aujourd’hui vainement les points de divergence entre ces deux « internationales » qui communient dans le même credo: non à la coexistence pacifique, pas de concessions à l’Est, renforcement de la lutte idéologique, commerciale et militaire contre les pays socialistes et les régimes révolutionnaires du tiers monde.

Il ne pouvait en être autrement. J’en ai découvert la raison très tard au cours de cette enquête. Songez qu’avant même d’être appelés à de hautes responsabilités au sein de la WACL et de CAUSA International, les généraux Singlaub et Woellner militaient déjà ensemble depuis de très nombreuses années au sein du lobby qui a le plus influencé la politique de défense des États-Unis de Ronald Reagan: l’American Security Council, une « boîte à penser » financée depuis les années soixante par l’une des plus grandes fortunes américaines. L’ultra-conservateur Barry Goldwater y avait déjà puisé les éléments de son programme.

Rêves moonistes et songes reaganiens  259

La guerre privée de John Singlaub contre les commandants sandinistes de Managua cache donc une autre croisade : celle du révérend Moon. Peu importe que le grand public ne le sache pas si les dirigeants de la WACL et ceux de la Contra savent de quoi ils sont redevables au leader coréen, s’ils sont conscients que leur organisation ne serait pas aussi puissante sans l’apport de la conviction, des militants, des relations et des finances de l’Église de l’Unification.

Sun Myung Moon est un théocrate pragmatique. Pour réaliser son rêve, pour établir sur terre le royaume de Dieu — son royaume dans un, deux ou plusieurs pays —, il a choisi de devenir le leader incontesté de l’anticommunisme. La démarche lui semble imparable. Qui pourrait lui refuser d’assumer les destinées du monde s’il conduisait à son terme la victorieuse « marche sur Moscou » ?

Ce rêve est-il celui d’un fou, d’un illuminé touché par la grâce céleste, ou bien a-t-il germé dans le cerveau fertile d’un charlatan de génie ?

À court terme la question ne se pose pas dans ces termes.

Redescendons sur terre : pour Moon, l’anticommunisme est le moyen de gagner pouvoir et puissance. Pour ceux qu’il doit convaincre de le suivre — les dirigeants américains en particulier — l’anticommunisme est, à l’inverse, le plus sûr moyen de conserver puissance et pouvoir déjà conquis.

Le rêve mooniste consolide le songe reaganien d’une Amérique toute-puissante.


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18. Au cœur de la droite américaine : Le Washington Times

« J’ai légitimé Moon dans les milieux conservateurs et j’en assume la responsabilité. » Le visage habituellement jovial de James Whelan se ferme. C’est la fin de l’été 1984 à Washington et l’ancien directeur et rédacteur en chef du Washington Times regagne, songeur, sa luxueuse résidence de McLean, une banlieue résidentielle de la capitale.

Bientôt, tout cela ne sera plus que souvenirs : le bureau directorial au deuxième étage de l’immeuble de marbre et de verre qui abrite la rédaction ultra-moderne du plus puissant journal conservateur d’Amérique ; la villa achetée plus d’un demi-million de dollars par l’Église de l’Unification ; les contacts quotidiens avec la Maison-Blanche… Bientôt d’autres grands noms conservateurs prendront le relais et le colonel Bo Hi Pak recevra à sa table les plus importants personnages de l’État.

Le premier contact sérieux entre James Whelan et les moonistes date d’octobre 1981. Pour la quatrième année consécutive, la News World Communications Inc., la compagnie propriétaire du journal new-yorkais, organise en effet sa conférence mondiale des médias. Lieu : un grand hôtel de Manhattan. Thème : « L’information en crise : un défi à la liberté. » On y traitera longuement de la couverture de la crise salvadorienne — la guérilla a lancé une offensive générale au début de l’année — par les grands médias américains. Le Washington Post est bien entendu dans le collimateur des organisateurs moonistes et de leurs invités conservateurs. Leur point de vue est sans appel : un journal communiste ne ferait pas mieux ! L’ambiance est d’autant plus morose que, trois mois plus tôt, s’est tue la dernière voix capable de le concurrencer : le Washington Star — « l’élégant contrepoids conservateur » du Post, comme l’appelle Bo Hi Pak — a fait faillite et aucun millionnaire ami ne semble prêt à investir pour doter la droite reaganienne d’un nouveau quotidien.

James Whelan assiste à la conférence. Grand, massif, fort en gueule, c’est un personnage très connu dans le petit monde des droites: spécialiste de l’Amérique latine, ancien correspondant de UPI à Buenos Aires et Caracas, auteur de plusieurs ouvrages, il a surtout exercé ses talents à la direction de plusieurs journaux ou groupes de presse de la plus stricte obédience conservatrice. En 1981, il dirige depuis un an la rédaction du Sacramento Union, le journal de la capitale d’État de Californie.

Pour comprendre à quel point le grand Irlandais était fait pour s’entendre avec Bo Hi Pak, le président de News World Communications, il nous faut encore une fois faire un petit voyage dans le temps.

Un précédent  262

Depuis 1977, James Whelan travaille aux côtés d’un magnat de la presse obsédé par le monopole de fait qu’exercent les grands journaux libéraux sur l’intelligentsia et le monde politique. Il s’appelle John McGoff et possède le groupe Panax, qui édite neuf quotidiens et soixante-douze revues dans huit États. Une puissance qui enrage de n’avoir jamais réussi à s’implanter dans la capitale fédérale.

John McGoff a pourtant tout tenté. Même le pire : en 1975, quand il se porte acquéreur du Washington Star pour 25 millions de dollars, tout le monde se demande d’où vient l’argent. L’interrogation débouchera sur un scandale international connu dans les pays anglo-saxons sous le nom de « Muldergate », du nom d’un ministre sud-africain de l’Information — Connie Mulder —, et par référence au Watergate.

L’affaire est une parfaite illustration de ce que Sun Myung Moon appelle « la guerre des idées»: en février 1974, le gouvernement sud-africain adopte un plan secret visant à financer à travers le monde les projets d’hommes politiques et de presse sympathisants de Pretoria. Environ 73 millions de dollars seraient débloqués. La révélation du plan en 1978 contraindra à la démission le Premier ministre Vorster et trois de ses collaborateurs, dont Connie Mulder.

John McGoff aurait reçu plus de 10 millions de dollars des Sud-Africains. Mais l’accord ne sera pas conclu avec le Washington Star et McGoff se rabattra sur le Sacramento Union. Il l’acquiert en décembre 1975 pour une somme plus modeste. Personne ne pourra prouver qu’il a utilisé de l’argent sud-africain pour cette seconde transaction. Le nom de McGoff n’en restera pas moins définitivement lié au « Muldergate ».

Voilà donc l’homme que James Whelan seconde depuis 1977 à la direction de Panax puis à la tête du quotidien californien. Détail amusant : lors de son passage chez Panax, James Whelan dirigera, entre autres, un petit magazine d’opinion — le Washington Weekly — dont l’un des principaux collaborateurs n’est autre que… Ronald Reagan.

« Peu de temps après la conférence, à Noël, raconte James Whelan, deux envoyés spéciaux de Bo Hi Pak vinrent me voir en Californie pour m’exposer le projet du Washington Times. Ma première réaction fut de refuser leur offre d’en assumer la direction. Ils insistèrent beaucoup pour que je rencontre le colonel coréen, quelques jours plus tard, lors d’un passage à New York. J’ai finalement accepté. Le premier contact fut excellent. J’ai passé quatre heures avec lui dans un grand restaurant de Manhattan. Je dois reconnaître que j’ai adoré ce type. Il avait un charme fou… Aujourd’hui, je dirais dangereux. Nous partagions les mêmes idées sur l’anticommunisme et la nécessité vitale d’établir un grand journal conservateur à Washington. J’ai pourtant réservé ma réponse. »

Très tenté par l’aventure, mais prudent, James Whelan avale en quelques jours le dossier Moon qu’il a demandé à la banque de données du New York Times. Certaines des accusations portées contre l’Église de l’Unification le font réfléchir : lavage de cerveau, bris de familles, enlèvements… Il a, en revanche, moins de raisons que Donald Fraser de s’offusquer des relations que certains dirigeants moonistes ont entretenues avec la CIA coréenne…

Il dit non.

Bo Hi Pak insiste. L’Église a déjà engagé d’énormes moyens financiers et humains dans le projet. Une partie de la rédaction du News World y travaille à plein temps et la Famille vient d’acquérir deux immeubles dans la banlieue de Washington et une partie du système informatique du défunt Star. Le temps presse. Habilement, le bras droit de « Père » fait savoir à James Whelan qu’un certain nombre de ses amis de droite souhaitent qu’il prenne la direction du futur Times.

Bo Hi Pak devra mener quatre offensives successives pour vaincre les réticences de « Big Jim ». Ce petit jeu de « je t’aime, moi non plus » va durer près de deux mois au cours desquels James Whelan consultera tout ce que l’Amérique compte de figures conservatrices.

Les parrains  264

Fin janvier 1982, il fait le point lors d’une réunion très privée qui rassemble à Dallas le gratin des droites américaines réuni en une nouvelle organisation : le Council for National Policy. James Whelan ne pouvait rêver cénacle plus autorisé pour se faire une religion. Le CNP est une toute nouvelle organisation qui fédère toutes les tendances de la droite musclée. Il en est l’un des dirigeants et fondateurs. Il y retrouve le général John Singlaub ; le révérend Tim La Haye, dirigeant de la « Majorité morale » en Californie ; John Terry Dolan, jeune et ambitieux animateur du National Conservative Political Action Committee, la plus puissante machine à financer les campagnes électorales de la droite, présidentielles comprises ; Louis « Woody » Jenkins, représentant de Louisiane, chef de file des démocrates pro-Reagan ; Richard Viguerie, homme d’affaires et activiste de ce qu’il est convenu d’appeler la « nouvelle droite » ; et bien d’autres parmi les plus grands: le milliardaire texan Nelson Bunker Hunt, les représentants des plus importantes « boîtes à penser » et même des artistes comme Pat Boone, le rival d’Elvis Presley dans les années soixante…

Ceux qui ont encore en mémoire la ténébreuse histoire de la « guerre privée » contre le Nicaragua se souviennent que le Council for National Policy s’apprête à y jouer un rôle moteur. On comprend mieux maintenant pourquoi le colonel Bo Hi Pak fait des pieds et des mains pour engager James Whelan. Avec lui, il prendrait définitivement place au sommet de l’establishment conservateur…

À Dallas, James Whelan ne tarde pas à se rendre compte que le projet mooniste passionne ses interlocuteurs. « J’ai demandé à tous ces gens: dois-je me lancer dans cette aventure ? Les avis étaient très partagés. D’accord sur l’idée qu’un tel journal devait vivre, mais très divisés sur le fait de savoir si l’on pouvait le confier à Moon. Certains comme Paul Weyrich, l’expert stratégique et politique le plus respecté du mouvement conservateur, ont insisté pour que je réponde non aux moonistes… D’autres n’ont pas le moins du monde cherché à me décourager. Viguerie, Dolan et Singlaub par exemple. Viguerie m’a longuement expliqué qu’il avait été en affaires avec Bo Hi Pak, quelques années auparavant, et qu’il n’avait jamais entendu dire qu’il ait commis quoi que ce soit de malhonnête… »

Délivrée sur un ton badin, cette confidence est une remarquable peau de banane glissée sous les pas du dynamique leader de la nouvelle droite américaine. Car tout le monde sait, à Washington, que les relations entre Richard Viguerie et les moonistes sont loin d’être claires. Nous allons y venir, mais au préalable faisons rapidement connaissance de cette figure symbolique de l’ère Reagan. L’essayiste Guy Sorman, chantre du néo-libéralisme et infatigable propagandiste de la « révolution conservatrice américaine » en France et en Europe, a fait de Viguerie l’un de ses héros. « Ce catholique texan de cinquante ans, écrit-il, aux lointaines origines françaises, est un idéologue qui publie des articles passionnés pour le retour de la morale en politique… »

Ce petit homme chauve est devenu la coqueluche du conservatisme américain dans les années 1975 en développant, à des fins politiques, la technique de collecte de fonds par courrier direct et personnalisé. En clair pour les managers français que ce vocabulaire sophistiqué pourrait dérouter : le fundraising by direct mailing. Cette méthode fait appel individuellement à la masse des contributeurs potentiels pour le financement des campagnes électorales. La société que Viguerie a créée permet aux candidats conservateurs de résoudre le problème posé par la loi qui limite les dons personnels.

« Dans son ordinateur, poursuit Sorman, douze millions de noms et d’adresses sont répertoriés par centres d’intérêts. Par des lettres, des dépliants, des brochures, il peut instantanément les mobiliser et susciter ainsi des courants populaires. En 1978 et 1979, la machine Viguerie a activement participé à la campagne de Reagan, et sans doute la montée irrésistible et inattendue du futur président dans les sondages et les primaires qui ont précédé son élection doit-elle beaucoup à cette technique. Les mailings de Viguerie avaient mobilisé la majorité silencieuse à l’insu des médias. En 1982, la Viguerie Company aura diffusé soixante-cinq millions de messages politiques pour défendre des causes conservatrices, en particulier en faveur du droit de chaque citoyen à détenir une arme à feu… »

Emporté par son enthousiasme, Sorman résume enfin le génie de son personnage dans des termes qui ne laissent pas la place au doute: « Viguerie applique à la politique le modèle de l’entreprise capitaliste, parce qu’il est efficace et parce que les conservateurs demeurent persuadés que le capitalisme apporte à la fois les solutions techniques et la sanction morale. Si un produit se vend, c’est qu’il est bon. Si une idée marche, c’est qu’elle est juste… »

Nombre d’Américains ont une vision moins épurée de la carrière de Viguerie. À l’époque où Sorman écrit ces lignes, un rapport inspiré par la minorité modérée du Parti républicain se penche sur les amours secrètes de Sun Myung Moon et de la droite américaine. Le Ripon Report rappelle, entre autres anecdotes, que Richard Viguerie est mouillé jusqu’au cou, avec le colonel Bo Hi Pak, dans une sombre affaire d’aide humanitaire jamais parvenue à destination. Il donne des détails: en 1975, la KCFF — la Fondation coréenne pour la culture et la liberté dirigée par l’adjoint de « Père » — a recours aux fichiers électroniques de la Viguerie Company pour alimenter un « Fonds de secours aux enfants » destiné à sauver de la famine un million et demi de petits Asiatiques. La lettre type rédigée pour l’occasion affirme que « des milliers de jeunes garçons et de jeunes filles souffrent des complications ultimes de la malnutrition » et pose la question :
«Quel plus beau cadeau pourriez-vous leur faire que de combattre la souffrance et la mort ? »

L’appel recueillera 1 508 000 dollars.

Mais diverses enquêtes menées par les gouvernements des États de New York et de l’Ohio révéleront que 6,3 % de la somme seulement parviendront aux destinataires ! La Viguerie Company en gardera environ 60 %. Bo Hi Pak et Donald Miller, le directeur de la KCFF, recevant à eux deux un peu plus de 5 % du total… À la suite de quoi le champion de la nouvelle droite sera temporairement interdit de mailing dans l’Ohio et le Connecticut.

La même année, Richard Viguerie se laissera tenter par une autre « bonne idée » mooniste : prendre, aux côtés de l’Église, une participation au capital de la Diplomat National Bank.

Le feu vert de la droite  267

Mais revenons donc aux apartés de James Whelan dans les couloirs du Council For National Policy, ce soir de janvier 1982 à Dallas, Texas. Pourquoi Viguerie le dissuaderait-il de collaborer avec Sun Myung Moon ? Il sait sans doute déjà que le Washington Times lui confiera dans deux mois sa campagne de lancement publicitaire.

Pourquoi le général Singlaub ferait-il la fine bouche ? À la fin de l’année, il sera l’un des invités vedettes de la Ve conférence des Médias organisée à Séoul précisément par les propriétaires du nouveau journal.

Pourquoi Terry Dolan ne le pousserait-il pas à accepter ? Il sera l’un des tout premiers à signer une proclamation de soutien au Washington Times, que le journal publiera pleine page.

Pourquoi le révérend Tim La Haye ne souhaiterait-il pas voir son ami James Whelan diriger le quotidien mooniste ? Lorsque deux ans plus tard Moon sera conduit en prison pour fraude fiscale, Tim La Haye et son chef Jerry Falwell, le président national de la « Majorité morale », crieront à l’injustice et à la persécution religieuse…

Pourquoi, pour aller au fond des choses, le Council For National Policy, à quelques personnalités près, refuserait-il de se doter de la seule arme qui manque à sa panoplie à la veille d’une bataille décisive ? Car en ce début de premier mandat de Ronald Reagan, obsédée par « la menace communiste en Amérique centrale », la droite américaine n’a qu’une priorité : lancer les États-Unis dans une bataille frontale contre les révolutionnaires du Nicaragua, du Salvador et, pourquoi pas, du Guatemala. Pour cela il faut convaincre l’opinion publique et le Congrès de l’impérieuse nécessité d’agir.

Si le Washington Times est candidat à ce travail quotidien de persuasion, pourquoi refuser ses services ? Comme le dit cyniquement Richard Viguerie : « Mieux vaut un Times souillé que pas de Times du tout ! »

James Whelan hésitera encore un mois. Son nouveau patron au Sacramento Union — le milliardaire Richard Mellon-Scaife qui vient d’en racheter les parts à John McGoff — ne veut pas le laisser partir et, circonstance aggravante, n’a pas beaucoup de sympathie pour les moonistes malgré ses convictions ultra-conservatrices.

Mais comment résister à l’envie de devenir l’une des voix les plus influentes de « la capitale du monde libre » ? Après tout, le contrat que lui proposent les moonistes stipule bien qu’il sera totalement indépendant de l’Église…

Le 1er mars 1982, James Whelan quitte Sacramento sous un grand soleil et atterrit à Washington sous la neige. Le lendemain, il pose pour la première fois devant les photographes, dans les bureaux provisoires du Washington Times au National Press Building.

L’annexe de la Maison-Blanche  269

L’équipe que constituent bientôt le colonel Bo Hi Pak, président du groupe de presse News World Communications, et James Whelan, directeur de la publication et directeur de la rédaction du Washington Times, est un remarquable « patchwork » de professionnels et de politiques venus de tous les horizons de la droite, Église de l’Unification comprise.

Le Coréen travaille sur le projet depuis près de six mois avec un petit groupe de fidèles moonistes, lorsque l’Irlandais arrive au Washington Times. James Whelan devra faire avec. Formés depuis quelques années à peine au News World, ils n’ont ni la qualification ni la « bouteille » nécessaires pour briguer les premiers rôles à la direction ou à la rédaction en chef. Le colonel réussira néanmoins à les placer à des postes de responsabilité particulièrement bien choisis. Ainsi James Whelan, dans sa fonction de directeur, se retrouve-t-il pratiquement « cerné» par les moonistes : son supérieur hiérarchique est Bo Hi Pak, assisté lui-même à la direction du groupe de presse par les deux anciens de la KCIA que sont Sang In (Steve) Kim et l’ex-ambassadeur Bud Han ; son directeur adjoint, Jonathan Slevin, était rédacteur en chef du News World ; son efficace et charmante secrétaire n’est autre que Susan Bergman, la jeune femme qui réussit à séduire Carl Albert, le président de la Chambre des représentants, au début des années soixante-dix.

À la direction de la rédaction, James Whelan a certes pu s’entourer des professionnels de son choix, mais il n’a pu, ou voulu dans un premier temps, refuser de confier des responsabilités à deux jeunes loups moonistes venus du journal « frère » de New York: Ted Agres, bombardé rédacteur en chef adjoint, et la douce et jolie Josette Sheeran à qui l’on offre une section essentielle du journal intitulée « La vie du Capitole ».

Essentielle, car elle couvre la vie politique et sociale des élites de la capitale. Le service dirigé par Josette Sheeran est majoritairement composé de moonistes. Leurs rubriques peuvent en quelques semaines transformer un politicien inconnu en vedette de l’establishment. Ils maintiennent un contact permanent et amical avec tout ce que Washington compte d’hommes de pouvoir, très sensibles au traitement que leur réserve le Times. Quelle arme entre les mains de la Famille dans une ville où chacun confesse sa soif de succès et son appétit de puissance…

Nombre de personnalités associées à d’autres activités de l’Église — conférences de CAUSA ou conférence mondiale des Médias — se verront ainsi soudain propulsées sur le devant de la scène. Ce subit intérêt du quotidien mooniste pour leur personne ne risque pas le moins du monde d’entacher leur réputation. Car le tout-Washington conservateur veut se convaincre que le Times est bien son journal avant d’être celui d’un prophète controversé.

James Whelan le clamera jusqu’à son départ à l’été 1984. Il ne manque d’ailleurs pas d’arguments pour étayer son propos : 10 % seulement des employés sont moonistes et l’on n’en finirait pas de recenser les professionnels de renom qui l’ont rejoint au comité de rédaction. C’est à croire que tout le journalisme de droite s’est donné rendez-vous dans les somptueux bureaux qui surplombent le National Arboretum, le Jardin des Plantes de la capitale: un ancien directeur du Sacramento Union, l’un des fondateurs du défunt Washington Star accompagné d’une bonne dizaine de signatures issues de cette rédaction orpheline, des rédacteurs en chef, des éditorialistes, des reporters venus d’une trentaine de villes des États-Unis, tous réunis par la rage de défier le Washington Post. James Whelan se paiera même le luxe de débaucher quelques éléments employés par son grand concurrent libéral…

Tous ces éminents professionnels ne dédaignent pas les plaisirs de la politique. En y regardant de près, on s’aperçoit vite qu’un certain nombre de ténors du Washington Times ont fait, font, ou ne tarderont pas à faire partie de l’entourage de Ronald Reagan.

Quand l’ex-patron du journal se repent d’avoir « légitimé » Moon dans les milieux conservateurs, c’est en particulier à cela qu’il pense. Sous sa direction, le Washington Times est un peu devenu l’annexe de la Maison-Blanche : Jeremiah O’Leary, le journaliste accrédité à la Présidence, vient à peine de quitter son poste de conseiller adjoint au Conseil national de sécurité, le mini-cabinet présidentiel qui définit la politique de défense des États-Unis; Roger Fontaine, grand reporter et analyste de politique étrangère, a, lui aussi, quitté le Conseil national de sécurité où il intervenait sur les problèmes d’Amérique latine ; Aram Bakshian, qui signe plusieurs éditoriaux chaque semaine, était chargé, avant son arrivée au Times, de la rédaction des discours du président… Voilà pour les anciens de la Maison-Blanche qui choisissent de travailler au journal.

D’autres collaborateurs du président, plus prestigieux encore, se contentent, eux, de cautionner l’entreprise en acceptant une place honorifique au conseil d’experts du Washington Times, sorte de comité de parrainage et de moralité. C’est le cas de James Watt, jeune et vigoureux secrétaire à l’Intérieur de la première équipe Reagan, faucon parmi les faucons et chouchou des activistes ; de Claire Boothe Luce, conseillère du président pour les questions de sécurité et de renseignement ; et de William Simon, l’un des principaux soutiens financiers et logistiques de la campagne de « Ronnie » en 1980…

James Whelan ne se cache pas qu’il a servi d’alibi à toutes ces personnalités. Elles n’auraient sans doute pas rejoint le Times si un conservateur bon teint n’en avait pris la tête. « J’ai personnellement amené James Watt et John McGoff, mon ancien patron et ami, au conseil d’experts du journal », se souvient-il.

Pour faire définitivement accepter le Washington Times par la clientèle conservatrice de la côte Est, les moonistes sont prêts à dépenser des fortunes. Le budget alloué à James Whelan pour la campagne publicitaire est énorme. Richard Viguerie et sa compagnie seront bien entendu les piliers de l’opération. Le numéro zéro a été envoyé à cinq mille leaders d’opinion du district de Columbia. Dix jours avant la sortie officielle du journal, des milliers d’affiches apparaissent au coin des rues ou dans le métro qui proclament : « Maintenant vous avez le choix ! » 500 000 dollars sont engloutis dans une campagne à la radio et à la télévision qui reprend le même thème : « Washingtoniens, dans dix jours vous pourrez choisir ! »

Mais malgré une mise en pages brillante et une politique rédactionnelle d’exclusivités systématiques, le Washington Times n’arrive pas à passer la barre fatidique des 100 000 exemplaires vendus. Le Washington Post tire en moyenne à 700 000 exemplaires…

« En juillet-août 1982, raconte James Whelan, nous avons demandé à Viguerie de lancer une campagne d’abonnements sur Washington et les États environnants. Le mailing a touché plus d’un million de foyers. Nous lui avons payé 500 000 dollars pour ce travail. C’est encore à lui que nous aurons recours pour préparer le terrain de notre édition nationale : il proposera le journal à 1 200 000 personnes en Californie du Nord et du Sud. Pendant les deux ans où j’ai dirigé le Times, son contrat lui a rapporté plus d’un million de dollars. »

De mauvaises langues, généralement très bien informées dans ce domaine — elles sont, comme Richard Viguerie, membres du Council for National Policy —, affirment que les relations d’affaires entre le héraut de la nouvelle droite et les moonistes se sont poursuivies bien après le départ de James Whelan du Washington Times. La Famille aurait même participé au sauvetage de la Viguerie Company, soudain en difficulté au lendemain des élections de novembre 1984 à la suite du non-paiement de leur dû par des candidats peu scrupuleux.

Le journal du président  273

Malgré ces coûteux efforts de publicité et de mise en place, le Washington Times aura bien du mal à se stabiliser — édition nationale comprise — autour de 100 000 exemplaires. En revanche, James Whelan laissera derrière lui un journal admis et apprécié par le mouvement conservateur.

Le clan des durs de la Maison-Blanche fera beaucoup pour son succès. Lorsque, par exemple, le journal lance, dès les premiers jours de son existence, la formule dite des « Leaders à déjeuner », longues interviews exclusives réalisées autour d’une table, le président et certains de ses ministres répondent très vite à la sollicitation. Ronald Reagan accorde à Jeremiah O’Leary l’une des toutes premières interviews de fond de son mandat et cinq des plus notables « faucons » de son entourage acceptent l’invitation de James Whelan : James Watt, le secrétaire à l’Intérieur; Ed Meese, conseiller puis ministre de la Justice du président ; John Block, secrétaire à l’Agriculture ; James Baker, le chef de cabinet de Ronald Reagan ; et, bien sûr, Caspar Weinberger, le secrétaire à la Défense, partisan acharné d’une politique de force en direction de l’Union soviétique.

La splendide brochure que le Washington Times édite à l’occasion de son premier anniversaire, en 1983, peut ainsi faire remarquer : « Si la personnalité de ceux qui acceptent l’invitation de partager votre table peut aider à mesurer votre acceptation par la société, alors, de ce point de vue, le Times va bien, merci… »

Le choix des interlocuteurs laisse deviner la stratégie définie par James Whelan — en accord avec Bo Hi Pak qui ne pourrait rêver démarche plus bénéfique pour la Famille : établir aux yeux du lecteur moyen que le quotidien, considéré en haut lieu, est donc un authentique journal conservateur, et non pas la feuille mooniste dénoncée par ses détracteurs. Mais aussi, et surtout, peser de tout son poids dans la bataille — secrète mais réelle — qui oppose, au sein même de l’exécutif et dans la droite américaine en général, les « réalistes » et les « idéologues ».

Car, au-delà de l’unanimisme de façade, le gouvernement est divisé sur l’attitude à tenir face à l’Union soviétique, à ses alliés et aux mouvements révolutionnaires du tiers monde. Pour résumer, deux camps se sont formés qui proposent des méthodes différentes pour réduire les « ennemis de l’Amérique ».

Ceux qui affirment que le communisme est soluble dans le Coca-Cola et souhaitent, en conséquence, maintenir un niveau d’échanges politiques et économiques élevé avec l’Est. Ce ne sont pas à proprement parler des partisans de la détente. Plutôt des adeptes de la dynamique de la contagion. Sur le problème crucial des armements, ils pensent pouvoir mener de front le renforcement graduel de la puissance américaine et la négociation avec l’Union soviétique. Ces « réalistes », héritiers reaganiens de la fameuse Commission trilatérale, sont la bête noire des moonistes et des conservateurs. Le Washington Times se gardera bien de leur donner la parole, bien qu’ils occupent des postes éminents. Ils s’appellent George Bush, vice-président, Alexander Haig et George Shultz, secrétaires d’État…

Les « idéologues » leur opposent une logique d’acier : le communisme est par essence nuisible et pervers. Il est donc illusoire de croire qu’il puisse reculer devant autre chose que la force. Je ne crois pas trahir leur pensée en leur proposant un slogan qui fasse pièce à celui des « réalistes» : le communisme n’est soluble que dans le napalm !

Pierre Ceyrac, le patron français de CAUSA-Europe — qui maintient un contact permanent avec Bo Hi Pak —, me confiait peu de temps avant la visite de Mikhail Gorbatchev à Paris en 1985 : « Notre but est de nous opposer à toute politique de détente ou de contrôle des armements. » Ajoutant, pour justifier cette intransigeance : « Le communisme est très profondément inscrit dans le ressentiment intérieur de l’homme. C’est un phénomène spirituel. Pour guérir le mal à la racine, il faut adopter une attitude sans compromis. »

Ce sont les « idéologues» de la Maison-Blanche qui couvriront la « guerre privée » au Nicaragua. Le général Singlaub, en particulier, pourra toujours compter sur l’appui de Fred Ikle, l’adjoint de Caspar Weinberger au Pentagone.

Apparaître comme « le journal du président » et favoriser les desseins de la droite activiste, voilà les objectifs que Bo Hi Pak a assignés au Washington Times. Il les poursuivra avec ou sans James Whelan. Il n’atteindra complètement le premier que quelques mois après le départ de l’Irlandais: à peine réélu, en novembre 1984, Ronald Reagan accordera la première interview exclusive de son deuxième mandat au Washington Times. Il en profitera pour avouer qu’il lit le quotidien tous les matins. Ce n’est pas la première fois qu’il rend hommage au journal mooniste : l’été précédent, en pleine campagne électorale, il avait vivement recommandé à un parterre d’étudiants de lire le Times pour se familiariser avec la géopolitique.

Cette reconnaissance présidentielle un peu tardive ne fait que confirmer ce que les habitués de la Maison-Blanche savaient déjà : l’équipe Reagan, qui ne peut le crier sur tous les toits pour des raisons évidentes, considère les politiques de l’Église de l’Unification comme de fidèles alliés. Avant même que n’existe le Washington Times, Ronald Reagan n’avait-il pas déjà reçu le colonel Bo Hi Pak à dîner à la Maison-Blanche le 9 juillet 1981 pour le remercier, au même titre que d’autres leaders conservateurs, de son actif soutien pendant la campagne de 1980 ? Et le bras droit de Moon n’a-t-il pas été honoré du titre de « Eagle » par le Parti républicain pour sa contribution financière à la campagne de 1984 1 ?

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1. Le Parti républicain confère habituellement cette distinction aux sympathisants ayant au moins versé 10 000 dollars. James Gavin, le directeur — mooniste — des relations publiques du Washington Times, est lui aussi « Eagle ».

Le Washington Times connaîtra la consécration suprême, lorsque, fin 1984, le président choisira comme directeur de la Communication l’un des principaux éditorialistes du journal :
Patrick Buchanan. Il rédigera désormais les discours publics de Ronald Reagan.

Avec Buchanan à la Maison-Blanche, le journal « né de la vision du révérend Sun Myung Moon » était en 1985 considéré par la presse américaine comme l’organe officiel du gouvernement américain.

Au secours de la guerre  276

Mais à quoi donc sert-il pour s’être taillé une telle réputation en quatre ans ?

Journalistes et politiciens de tous bords ont remarqué que, lorsque la Maison-Blanche éprouve quelques difficultés à convaincre l’opinion publique ou le Congrès de la justesse de sa politique, apparaissent soudain en première page du Times des informations explosives et sensationnelles qui peuvent influer sur le débat en cours. Ces informations, le plus souvent invérifiables et reprises avec la plus grande réserve par d’autres journaux, sont présentées avec assurance comme émanant de sources gouvernementales. Ce ne sont pas des scoops — supposés vérifiés — mais des leaks.

Cette pratique, évidente dès les débuts du journal, s’est généralisée en 1984 et 1985. Ainsi, dans le conflit qui oppose l’exécutif au gouvernement sandiniste, le Washington Times va-t-il jouer un rôle essentiel, participant largement au ralliement des modérés aux plans de guerre de l’Administration.

Quelques exemples de leaks qui ont marqué l’opinion : entre le printemps et l’été 1984, alors que le Nicaragua s’engage dans une campagne électorale qui risque bien de légitimer internationalement sa révolution, le Times lance, coup sur coup, plusieurs pavés dans la mare caraïbe : un cargo soviétique, bourré d’armes lourdes et de munitions, se dirigerait vers le port nicaraguayen de Corinto, affirme le journal. Il semble bien, renseignements pris une fois le navire arrivé à terre, que ce fameux bateau n’ait jamais transporté que du blé. Qu’importe ! La nouvelle fait monter la tension, justifie le maintien de deux escadres américaines sur les côtes de l’Amérique centrale et fait « passer la pilule » du minage des ports par la Contra et la CIA.

Quelques semaines passent et le Washington Times révèle que deux livraisons de chars et d’engins blindés de transports auraient été effectuées début 1984 par des cargos bulgares dans les ports de la côte Atlantique du Nicaragua. Ces livraisons auraient doublé la capacité des forces mécanisées sandinistes. Ces informations sont fondées sur des photos aériennes prises par des avions espions américains. Elles établissent bien la livraison des chars, mais pas la quantité des engins livrés…

Quelques mois plus tard, nouvelle bombe : des Mig soviétiques seraient sur le point d’arriver sur le nouvel aéroport militaire construit par ces mêmes Soviétiques à Punta Huete. On apprendra bientôt que les sandinistes s’apprêtent à recevoir des hélicoptères de combat et non pas des chasseurs. La nuance est de taille : les premiers sont des armes défensives utilisées dans la lutte anti-guérilla; les secondes, des armes offensives qui pourraient menacer les voisins du Nicaragua.

Quant aux techniciens qui assistent les Nicaraguayens pour la construction de la piste, ils sont cubains. Le projet d’aéroport, enfin, n’est pas une idée sandiniste, puisque Somoza prévoyait déjà un terrain civil et militaire au même endroit.

L’annonce de l’arrivée imminente des Mig est une manœuvre très habile. Les Nicaraguayens reconnaissent qu’ils se préparent en effet à acquérir des chasseurs-intercepteurs supersoniques de type Mig ou Mirage qui pourraient leur être cédés par la Libye. Mais les services de renseignement américains savent parfaitement que pour des raisons techniques — préparation des pilotes et achèvement des travaux à Punta Huete — et économiques — l’acquisition prioritaire des hélicoptères coûte déjà très cher à une économie mal en point —, la mise en service de ces avions au Nicaragua n’est pas pour demain.

Le Washington Times affirme pourtant le contraire. La nouvelle trouble profondément les modérés opposés à la politique de Ronald Reagan. Pensez donc: une base communiste prête à accueillir, tout de suite, des chasseurs capables d’attaquer les bases américaines de Panama, et même les fameux bombardiers stratégiques Backfire… Ils ne peuvent laisser passer cela sans réagir. À moins de six mois des présidentielles de novembre 1984, ils ne peuvent prendre le risque d’apparaître comme des traîtres à l’Amérique.

Au cours de son face-à-face préélectoral avec Reagan, le candidat démocrate Mondale finira par concéder à son adversaire qu’il est tout aussi conscient que lui de la menace communiste en Amérique centrale. Quelle victoire pour les conservateurs et le Washington Times !

La publication systématique de « révélations » attribuées au gouvernement et à ses services oblige, d’autre part, la grande presse libérale à traiter certaines informations qu’elle ne mettrait pas naturellement en avant. Le simple fait que le « journal du président » se fasse l’écho d’une rumeur contraint par exemple le Washington Post et le New York Times à la vérifier et, le plus souvent, à la diffuser. Même si cela est fait sous toutes réserves et à contrecœur…

Les fameux leaks refleuriront à la première page du journal lorsque le Congrès refusera d’accorder l’aide officielle requise par la Maison-Blanche pour armer et équiper la Contra. Pendant toute la durée du débat qui déchire Washington, d’octobre 1984 à juin 1985, avant que le législateur ne revienne sur sa décision, le Washington Times se livre à un matraquage en règle de l’opinion et des décideurs. Un jour, il titre que des conseillers soviétiques ont été affectés aux unités sandinistes qui combattent la Contra. Information qui paraît éminemment douteuse aux yeux des spécialistes qui ont pu constater à plusieurs reprises sur le terrain que les troupes nicaraguayennes étaient encadrées, quand cela était nécessaire, par des officiers cubains.

Le lendemain, il affirme que des techniciens russes installent un centre de télécommunications près de la frontière hondurienne. Révélation non vérifiable mais qui peut sembler plus crédible. Enfin, il est le premier à propager la rumeur selon laquelle le président de la Chambre des représentants, le démocrate « Tip» O’Neil, aurait délibérément manipulé l’ordre du jour de l’assemblée pour bloquer la proposition d’aide à la Contra.

Parfois le Times dépasse les bornes… et se fait épingler par ses concurrents. Le 17 mai 1985, le journal mooniste présente en exclusivité à ses lecteurs, sous un titre barrant la première page, le discours que doit prononcer le lendemain le directeur de la CIA sur la politique de Washington en Amérique latine. La présentation qui accompagne ce texte précise qu’il s’agit là du document le plus convaincant jamais élaboré par l’administration Reagan pour justifier l’aide aux « combattants de la liberté ». Elle insiste sur le fait que seul le Washington Times en a obtenu copie à l’avance.

Malheureusement pour le « journal de l’Amérique » — c’est le titre dont il se pare —, les agences de presse se ruent sur leur téléphone pour vérifier la nouvelle auprès de la CIA… et découvrent rapidement que William Casey, son directeur, a prononcé le même discours deux semaines auparavant devant les membres d’un club new-yorkais…

L’objectif de ce prétendu scoop était simple : dix jours après le lancement par le journal d’une collecte de fonds destinée à la Contra, et à quelques semaines d’un nouveau débat au Congrès sur l’aide officielle à la guérilla antisandiniste, les moonistes et leurs alliés conservateurs tentent une nouvelle fois de dramatiser la situation en Amérique centrale pour faire pression sur l’opposition libérale et démocrate.


p. 280

19. Le Nicaraguan Freedom Fund

« New York, 1er février 1980. Cher Georges. Comme vous le savez, je suis la plupart du temps en voyage aux quatre coins du monde et je n’ai été informé que très récemment du procès que l’on vous intente à propos de l’affaire Curiel. Dans cette affaire, je trouve curieux que ce qui a été considéré comme un secret de polichinelle ces dernières années par la communauté des services de renseignement occidentaux puisse être remis en question devant un tribunal. Tous les contacts que j’ai eus, en tant que grand reporter, avec les services de renseignement occidentaux n’ont laissé aucun doute dans mon esprit : M. Curiel n’était pas ce qu’il disait être, mais bien un agent clé des renseignements de l’Est.

« Sachant bien que les services occidentaux n’ont pas pour habitude de confirmer des informations exactes mais délicates [sensitive], spécialement quand elles touchent à des sujets aussi sensibles que l’identité d’agents, j’ai pensé que ce que j’ai appris de la bouche de hauts responsables du renseignement, dans plusieurs pays occidentaux, pourrait vous être utile. Je vous autorise donc à présenter cette lettre au tribunal. Mes vœux de succès les plus chaleureux… Sincèrement. Arnaud. »

Arnaud, c’est Arnaud de Borchgrave. Georges, c’est Georges Suffert. Le premier est pour quelque temps encore grand reporter au magazine américain Newsweek. Le second est alors éditorialiste au Point, à Paris. Henri Curiel a été assassiné par des inconnus le 4 mai 1978. Juif né au Caire, fondateur du Parti communiste égyptien, il animait depuis Paris les réseaux de soutien aux mouvements de libération du tiers monde connus sous le nom de Solidarité. Deux ans plus tôt, dans une série d’articles retentissants, Georges Suffert en avait fait un agent du KGB, chef de réseaux d’aide au terrorisme international.

Les amis de Henri Curiel le tiennent pour l’un des auteurs moraux du crime et le poursuivent en justice. Ils croient détenir la preuve de la forfaiture : l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, qui portait contre Henri Curiel les mêmes accusations que Le Point, a fait amende honorable peu de temps avant le meurtre. Et une commission du Conseil d’État français, toujours avant le meurtre, a annulé l’assignation à résidence qui frappe l’apatride égyptien après la publication des articles mensongers. La réhabilitation posthume de Henri Curiel est en marche.

C’est le moment qu’Arnaud de Borchgrave choisit pour intervenir, mettant dans la balance tout le poids des services occidentaux et implicitement celui de la DST. Sa lettre sera produite dans tous les procès que la famille de Henri Curiel intentera par la suite à ses détracteurs.

Arnaud de Borchgrave, aristocrate de la désinformation  281

1980 : année charnière dans la vie mystérieuse et mouvementée d’Arnaud de Borchgrave. Depuis trente ans, il court le monde pour Newsweek. De conflit en conflit. De chef d’État en chef d’État. Son bureau privé, à Genève où il a installé ses quartiers, est tapissé des photos des grands de ce monde qu’il a approchés : le chah d’Iran, Sadate, Hussein, Gandhi…

Son teint hâlé, sa calvitie distinguée, ses costumes de prix et ses cravates club sont déjà célèbres. À l’heure de l’apéritif, au bar d’un grand hôtel, à Amman, Tel-Aviv ou Saigon, les confrères cherchent sa compagnie. Car il a l’oreille des grands du renseignement du monde occidental.

R. B., grand reporter à l’ORTF : « En 1968, à Saigon, le bureau de Newsweek était installé au premier étage de l’hôtel Continental… Arnaud avait d’excellents tuyaux. Il était très lié avec le général Westmoreland. C’était un garçon charmant, très apprécié par ses confrères, toujours prêt à rendre service. Il intervenait souvent pour nous obtenir des places dans les avions bondés de l’US Air Force qui remontaient sur Danang ou Hué.. »

Arnaud et Alexandra de Borchgrave — il est fils d’un aristocrate belge1, elle est fille d’un diplomate américain — vivent 6, chemin de la Tourelle à Genève, au neuvième étage d’un immeuble de luxe. Le duplex est splendide, le mobilier très moderne, les murs peints en blanc. Les fauteuils sont profonds et la bibliothèque immense. C’est d’ici qu’entre deux voyages — « à New York je descends à l’hôtel Mayfair, à Washington j’ai un appartement… » — Borchgrave coordonne les activités des correspondants du journal à l’étranger.

Il est obsédé par la guerre secrète que se livrent l’Est et l’Ouest. C’est un peu pour cela qu’il a choisi Genève : il aime être près du front. À un journaliste latino-américain qui lui rend visite en juin 1980, il confie: « Sur les 10 000 fonctionnaires qui travaillent ici pour des organisations internationales, 300 sont membres du KGB. Le chef du personnel des Nations unies est russe et colonel du KGB… Cet immeuble est plein d’agents communistes et mon appartement est truffé de micros… »

Le journaliste a fait le voyage de Paris pour l’interview sur son tout dernier ouvrage, The Spike2, roman quelque peu racoleur traitant sans beaucoup de légèreté d’un sujet passionnant : la désinformation soviétique ou l’infiltration de la grande presse occidentale par le KGB. C’est déjà un best-seller aux États-Unis.

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1. Et se dit le seizième prétendant au trône de Belgique.
2. Publié en France sous le titre L’Iceberg, J.-C. Lattès, Paris, 1980.

« L’idée du roman m’est venue en 1967. À dix jours d’intervalle, deux agents de services occidentaux me rendent visite et m’apprennent que l’un de mes meilleurs amis journalistes est membre du KGB. Ils me demandent alors de leur rendre un petit service : l’engager à Newsweek pour tenter de le faire échapper à l’influence de ses traitants. Je réponds non, mais cela me donne l’idée d’engager des recherches sur ce sujet… »

Des recherches qu’il ne tarde pas à mener conjointement avec Robert Moss, coauteur du livre. « En 1972, je publie dans le journal les noms des anciens de Septembre Noir compromis dans le massacre des athlètes israéliens à Munich. L’information m’est une nouvelle fois passée par les services. Peu de temps après, je reçois des menaces de mort. Je quitte Genève et me réfugie à Londres où je demande à une amie de me présenter un spécialiste ès subversions qui puisse m’aider. On me fait rencontrer Robert Moss… »

Le profil politique de ce beau jeune homme très britannique est encore plus net que celui de Borchgrave. Journaliste lui aussi, il collabore à l’Institut pour l’étude des conflits (en anglais ISC), une « boîte à penser », un think tank dont l’objectif avoué est de convaincre les gouvernements européens de l’imminence du danger soviétique : il s’agit, en ce début des années soixante-dix, de contrer la politique de détente prônée par Moscou qui semble concentrer tous ses efforts sur la mise en œuvre de la conférence d’Helsinki.

Arrêtons-nous quelques instants sur ces réservoirs d’idées qui brillent de mille feux dans la nébuleuse qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler « nouvelle droite ».

Le think tank est un pur produit de la politique américaine, fondée sur la pratique du lobbying. Chaque décision prise à la Maison-Blanche ou au Congrès est le fruit d’une intense bataille menée par des groupes de pression qui ne recoupent pas toujours les clivages politiques européens. Il y a deux siècles déjà, Tocqueville s’émerveillait de la capacité des Américains à se réunir en associations pour défendre tel ou tel intérêt sectoriel.

À quelques exceptions près, un think tank sert de bras idéologique à un lobby de droite. Le Center for Strategic and International Studies, la Heritage Foundation, le National Strategic Information Center sont les plus célèbres des think tanks conservateurs. Financées par de grosses fortunes américaines, voire par certains services secrets, depuis près de vingt ans, ces très respectables institutions bombardent de leurs rapports les principaux cabinets ministériels et présidentiels du monde occidental. Les synthèses sont élaborées, en groupes de travail, par la crème de l’intelligentsia conservatrice : professeurs et journalistes de renom, hommes d’État, généraux à la retraite, conseillers politiques en activité.

À l’époque où Arnaud de Borchgrave fait la connaissance de Robert Moss, l’Institut pour l’étude des conflits soumet sa dernière étude — un « Rapport sur la sécurité européenne et le problème soviétique » — aux principaux décideurs de notre hémisphère : le président Nixon, Henry Kissinger, le président Pompidou, les dirigeants de la démocratie chrétienne allemande, le pape.

Deux « courriers», très liés à l’Institut, remettent personnellement le document à leurs destinataires : Antoine Pinay, ancien ministre de De Gaulle — qui, à l’occasion, s’entretient trois heures avec Georges Pompidou —, et Me Violet 3 , avocat très en cour dans les milieux conservateurs européens et au Vatican.

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3. Avocat français, pivot d’un lobby européen de droite, baptisé « Cercle violet » et, selon le journaliste Pierre Péan, figure centrale de l’affaire des « avions renifleurs » (cf. son livre V, Fayard, 1984).

Robert Moss, à l’avant-garde de la lutte antimarxiste  284

Le jeune collaborateur de l’ISC à qui Arnaud de Borchgrave confie ses craintes n’est cependant pas encore un personnage public. Mais son nom court déjà dans les discrètes allées du renseignement occidental. Depuis 1970, sa mèche brune est bien connue à l’Institut d’études générales de Santiago du Chili — petit think tank local contrôlé par la CIA — où une vingtaine de journalistes chiliens planchent sur les moyens de déstabiliser Allende. Moss est leur correspondant en Angle-terre. Journaliste à The Economist, il profite de ses nombreux voyages au Chili pour concocter avec l’ambassadeur américain, les futurs putschistes et l’IGS les grands thèmes de désinformation qui légitimeront le coup d’État. En particulier le fameux « Plan Z », attribué aux communistes, qui aurait eu pour dessein la liquidation physique des principaux officiers conservateurs.

Robert Moss publie alors un livre, Chili, l’expérience marxiste, qui reprend l’essentiel de cette réflexion. Le journal anglais The Guardian prouvera en 1976 — documents à l’appui — qu’il a été financé et inspiré par des officines spécialisées de la CIA. Révélations qui feront scandale car Robert Moss est entretemps devenu rédacteur des discours du député Margaret Thatcher ! Il est l’auteur du Maiden Speech, où pour la première fois le futur Premier ministre dénonce la « soviétisation de la Grande-Bretagne » et propose des mesures radicales pour la combattre. C’est à ce discours, préparé par Robert Moss, que Maggie doit son surnom de « Dame de fer ».

Mais en 1972, quand il rencontre Arnaud de Borchgrave, le futur coauteur du Spike n’a pas encore atteint la notoriété que lui vaudront ses exploits futurs. Il n’est alors que le second du fondateur et directeur de l’ISC, Brian Crozier, brillant analyste de politique étrangère pour The Economist au début des années soixante. Un personnage dont Arnaud de Borchgrave a certainement entendu parler avant d’entendre pour la première fois le nom de Robert Moss. Mais laissons un spécialiste de l’ombre, Hans Langemann, ex-directeur de la Sûreté de la République fédérale d’Allemagne, nous présenter les deux hommes, dans une note confidentielle qu’il adresse à son ministre quelques années plus tard: « Le journaliste londonien, militant conservateur, Brian Crozier, directeur jusqu’en septembre 1979 du très renommé Institute for the Study of the Conflict […] a été un collaborateur de la CIA pendant des années. Et ses activités n’ont au demeurant rien de secret pour la centrale de Langley. […] Crozier entretient par ailleurs des liens avec les plus importants responsables des services de sécurité et de renseignement, comme l’ancien directeur du SDECE4. Ses bonnes relations avec le patron du SIS (MI6), Didier Franks, sont de surcroît très connues. Son proche collaborateur N. Elliot a par ailleurs été chef de service au MI6. Crozier, Elliot et Franks ont récemment [1979 ; NdA] été reçus par Mme Thatcher pour une discussion de travail aux Chequers. […] Mme Thatcher et M. Franks sont également en contact avec le journaliste Robert Moss. »
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4. Il s’agit d’Alexandre de Marenches.

De n’avoir fait se croiser les routes de Borchgrave et Moss, le destin eût outragé l’histoire. Le couple se forma et bientôt le monde résonna de leurs exploits. De 1975 à 1980, ils furent de toutes les campagnes de presse visant à justifier l’intervention plus ou moins discrète des services américains face au péril marxiste. Au Portugal, pendant la « Révolution des œillets », où Robert Moss dénonce l’imminence d’un « coup de Prague » tandis que la CIA travaille au coup de Spinola. Au Zaïre où Borchgrave et Moss, en 1978, affirment contre l’évidence que ce ne sont pas des rebelles katangais qui envahissent le Shaba mais bien les Cubains. Au Nicaragua et en Iran, où Moss soutient mordicus que Somoza et le chah sont les victimes directes d’un complot du KGB.

À Paris, à Washington, à Londres, la presse de gauche attaque et brocarde les deux hommes, qui voient dans un tel déchaînement une nouvelle confirmation de leurs thèses. Mais voilà que bientôt la grande presse libérale américaine elle-même se lasse.

Fin novembre 1979, le New York Times publie cette nouvelle : « Il y a deux semaines, un ex-collaborateur du chah d’Iran passé dans le camp opposé a déclaré que le gouvernement iranien avait fait des dons substantiels à un certain nombre de journalistes occidentaux en échange d’articles à la louange du régime fort troublé du chah. Cet ex-collaborateur, Siamak Zandt, dirigeait le service du protocole du Bureau de la presse iranienne. Parmi les personnes citées se trouvait Arnaud de Borchgrave. [..] Le dernier numéro de Newsweek comporte le récit par Arnaud de Borchgrave d’une interview du chah, une des rares interviews accordées par le souverain depuis le début des émeutes dans son pays. Zandt a déclaré avoir remis personnellement à de Borchgrave une paire de tapis d’une valeur de 10 000 dollars chacun, à l’hôtel Hilton de Téhéran… »

La chaîne de télévision ABC, quant à elle, révèle, peu de temps après la chute de Somoza, que le dictateur nicaraguayen avait racheté le magazine international Vision et en avait confié la rédaction en chef à Robert Moss, moyennant un salaire annuel de 200 000 francs.

Avec la publication du Spike, les confrères se fâchent. Car le message que le héros du livre leur adresse est difficile à accepter lorsqu’on travaille pour des médias aussi huppés que le New York Times ou le Washington Post : « Vous êtes des naïfs, des gogos manipulés par les Soviétiques… » Le massacre de My-Laï au Vietnam ? Une mise en scène des communistes ! La commission sénatoriale américaine qui établit la culpabilité du lieutenant Calley ? Son président « correspond régulièrement avec trois membres reconnus du KGB à Moscou… » ! L’entourage du président Carter — Billy Connors dans le livre ? Infiltré par des agents à la solde de Moscou !

La direction de Newsweek (la même que celle du Washington Post) finit par se séparer de Borchgrave lorsqu’elle apprend que depuis plusieurs années il constituait des fichiers sur ses confrères. L’auteur s’en est nourri pour donner quelque consistance à ses personnages.

Car Arnaud Paul Charles Marie-Philippe, comte de Borchgrave d’Altena, comte du Saint-Empire, baron d’Elderen, seigneur de Bovelingen, de Marlinne et d’autres lieux, n’est pas aussi fair que pourraient le laisser penser son ascendance aristocratique et ses études dans un collège anglais. Et si la légende veut qu’il ait couvert dix-sept conflits dans quatre-vingts pays, elle reste plus discrète sur certaines de ses manies : ne possède-t-il pas une collection de douze battle-dress d’armées occidentales pour être prêt à se battre le moment venu ? Seul un petit journal de gauche américain a osé publier une photo où il pose en uniforme de l’armée rhodésienne 5.

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5. Covert Action Information Bulletin, n° 19, printemps-été 1983.

Temporairement privé de sa tribune éditoriale, Borchgrave peut désormais se consacrer à sa double passion : le renseignement et la désinformation. Il écrit, toujours avec Moss, un nouveau roman à clé consacré aux services secrets cubains et surtout travaille beaucoup pour le Center for Strategic and International Studies de Georgetown à Washington. Il y côtoie de vieilles relations : James Schlesinger, ex-directeur de la CIA, Henry Kissinger, ancien secrétaire d’État, et Ray Cline, ex-vice-directeur de la Centrale. Ronald Reagan le recevra longuement le 16 décembre 1980 avant de s’installer à la Maison-Blanche. Thème de l’entretien : la désinformation.

À ce point du récit, le lecteur se demande sans doute pourquoi l’auteur lui impose depuis de longues pages l’étrange compagnie d’Arnaud de Borchgrave et de ses amis. Il a bien noté cependant que la pensée du révérend Moon devrait s’accommoder des convictions de l’auteur du Spike et ne sera pas surpris d’apprendre qu’avec Moss et Crozier il participe activement, au début des années quatre-vingt, à de nombreuses conférences organisées par le Mouvement de l’Unification. Il ne nous en voudra donc pas d’avoir ménagé ce faux suspense : le 20 mars 1985, Arnaud de Borchgrave est nommé rédacteur en chef du joyau de la presse mooniste : le Washington Times, en remplacement de James Whelan.

La nation américaine trahie  288

Sous le titre du journal qui s’étale en grosses lettres gothiques noires, l’éditorial de première page saute aux yeux : « Si le Congrès refuse d’aider les combattants de la liberté nous nous en chargerons. » Ce 6 mai 1985, quinze jours seulement après que le Congrès américain a repoussé la proposition de Ronald Reagan de financer officiellement la contre-révolution nicaraguayenne, le Washington Times s’érige en défenseur de la nation américaine trahie, et lance le Nicaraguan Freedom Fund, comité chargé de collecter les fonds nécessaires aux antisandinistes. « Le dernier vote de la Chambre […] couvre de honte le leader du monde libre, ajoute l’éditorialiste. L’ambassadeur Jeane Kirkpatrick a parlé d’une “autodéfaite écœurante”. […] Quand les gens mettent sur le même pied les objectifs de l’Union soviétique et ceux des États-Unis et inversement, ce que beaucoup de vedettes des médias sont enclines à faire ; quand les gens ne sont plus disposés à distinguer entre les principes éternels de la révolution américaine et une dictature marxiste-léniniste, quand les gens ne sont plus disposés à se battre et mourir pour préserver leur liberté, quand les députés refusent 14 millions de dollars à des gens qui sont prêts à se battre et mourir dans leur lutte contre le totalitarisme, alors la tentation totalitaire ne doit pas être bien loin. Or c’est ce à quoi le peuple américain a dit non le 6 novembre 1984 6. Ce mandat ne saurait être trahi au nom des convenances politiques. »

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6. Date de la réélection de Ronald Reagan.

Arnaud de Borchgrave n’y va pas par quatre chemins : le peuple et le président américains sont à ses côtés. Et s’il fait allusion à La Tentation totalitaire, célèbre ouvrage de Jean-François Revel, c’est qu’il est nécessaire de légitimer intellectuellement ce sursaut. Et la guerre que l’on mène contre le Nicaragua…

L’essayiste français, longtemps classé à gauche, aujourd’hui vénéré par la droite américaine, n’a-t-il pas été le premier à dénoncer la lâche complaisance de l’Occident face au marxisme? « En dépit d’une masse accablante de révélations, il existe encore une indulgence disproportionnée envers les pays et les partis communistes. On supporte davantage, aujourd’hui, de connaître leur réalité, mais pas encore de tirer les leçons de cette connaissance 7», écrivait-il en 1977. Le révérend Moon et le colonel Bo Hi Pak ont d’ailleurs compris, bien avant 1985, quel profit ils pourraient tirer des relations politiques de Borchgrave et de la réflexion théorique de Revel : les deux hommes figuraient dès 1982 parmi les invités vedettes de la conférence mondiale sur les Médias organisée chaque année par le groupe de presse mooniste 8.

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7. Jean-François REVEL, La Nouvelle Censure, Robert Laffont, Paris, 1977, p. 13.
8. Cf. chapitre 21.

Officiellement, l’idée de substituer un comité privé au Congrès défaillant afin de collecter les 14 millions de dollars réclamés par le président Reagan pour soutenir les Contras nicaraguayens est née quelques jours plus tôt lors d’un dîner privé réunissant Borchgrave et deux de ses amis sénateurs de la droite du Parti républicain. On imagine aisément la sainte colère qui étreint les trois hommes à la seule évocation de la couardise du Congrès. Celle en particulier de Sam Symms qui représente au Sénat l’État d’Idaho, influencé depuis deux siècles par l’ultra-conservatrice Église mormone.

On a du mal, en revanche, à concevoir que le colonel Bo Hi Pak soit étranger à la genèse du Nicaraguan Freedom Fund. Depuis plus d’un an le président de CAUSA International a fait de l’aide directe à la Contra la priorité stratégique du Mouvement de l’Unification.

La version présentée à la presse sauve en tout cas les apparences : Arnaud de Borchgrave a soumis un mémorandum au colonel, président de New World Communication, qui a accepté l’idée de son rédacteur en chef avec enthousiasme : la collecte des fonds sera parrainée par un comité composé de personnalités conservatrices de tout premier plan, le Mouvement de l’Unification se contentant de participer à la campagne, à hauteur de 100 000 dollars versés dès le premier jour de l’opération par le colonel Bo Hi Pak.

La publication de la liste des parrains convainc le monde politique américain de l’importance de l’enjeu : William Simon, ancien secrétaire au Trésor de Richard Nixon, Jeane Kirkpatrick, ancien ambassadeur des États-Unis aux Nations unies, Midge Deckter et Michael Novak, écrivains vedettes de la nouvelle droite, et l’acteur Charlton Heston qui supervisera la campagne en Europe.

Aucune de ces célébrités n’a de responsabilité officielle dans l’appareil gouvernemental, mais toutes peuvent décrocher leur téléphone et appeler directement le président ou l’un de ses proches conseillers. Michael Novak, philosophe catholique, fait partie de ces intellectuels de gauche qui en passant à droite dans les années soixante-dix ont préparé la victoire du reaganisme. Guy Sorman, l’essayiste français qui a si bien vendu à l’Europe le modèle américain des années quatre-vingt, voit en lui l’un des héros de « la révolution conservatrice américaine », l’homme qui en quelques phrases a su faire du capitalisme une idéologie démocratique : « Avec la naissance du capitalisme, un rêve mondial de justice est entré dans le monde. Chaque nation, sans exception, a été appelée à développer ses propres ressources. Les hommes n’avaient plus à répondre par la résignation passive à la pauvreté, à la famine, au désespoir. Le capitalisme démocratique avait découvert le secret de la croissance économique 9. »

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9. La Révolution conservatrice américaine, Fayard, Paris, 1983.

William Simon est lui aussi un farouche partisan de « la guerre des idées », ce qui dans l’Amérique de John Wayne ne signifie pas qu’il condamne le recours à la force, mais qu’il voit aussi dans l’idéologie un terrain où mener la guerre. Il partage donc, peut-être sans le savoir, les conceptions du révérend Moon qui répète, depuis de longues années, que « la Troisième Guerre mondiale se gagnera sur le terrain des idées ». Milliardaire ayant fait fortune à New York, William Simon finance et conseille les organisations de jeunesse néoconservatrices qui depuis le premier mandat de Ronald Reagan se lancent à l’assaut des campus universitaires. Il sait donc, vraisemblablement, pour l’avoir lu dans un rapport publié par la gauche du Parti républicain, que l’Église de l’Unification travaille au corps, sans complexes, les organisations étudiantes républicaines.

Cet intérêt, partagé avec Moon, pour la jeunesse et l’idéologie, n’implique pas bien entendu que William Simon soit devenu mooniste.

L’ancien ministre de Nixon répond donc aux journalistes malintentionnés qui évoquent la possible tutelle des moonies sur le comité : « Ils ne sont en rien concernés. Ce comité est distinct et autonome du journal [le Washington Times] et de l’Église, et c’est moi qui le dirige. Point. »

Il s’avance sans doute un peu. Un petit détour par Paris va nous en apporter la preuve.

Une guerre lointaine  292

La Famille française ne jure plus que par le Washington Times! Depuis le lancement du Nicaraguan Freedom Fund, toutes les énergies sont mobilisées pour faire connaître en Europe l’exemplaire croisade du journal « frère ».

Dans sa chambre de bonne du huitième étage, Michel Picard s’endort chaque soir, les yeux grands ouverts, à sa table de travail. Il a pris du retard sur la traduction que lui ont confiée les deux principaux responsables moonistes de CAUSA-Europe. Un long article d’Arnaud de Borchgrave. C’est sa première contribution militante à l’organisation. Une économie de plus de 1 500 francs au prix actuel de la traduction à Paris.

Lors de l’inauguration des nouveaux locaux de CAUSA, place André-Malraux, le 22 mai 1985, Pierre Ceyrac a fait applaudir longuement la campagne de soutien aux « combattants de la liberté ». Autour du buffet organisé le 1er juin dans le jardin du secrétaire de CAUSA-Europe à La Celle-Saint-Cloud pour quelques dizaines de sympathisants, Henri Blanchard, le chef de l’Église française, a plusieurs fois évoqué le rôle essentiel joué par « notre journal ».

Et l’on prépare un petit dossier qui prouvera aux futurs participants aux séminaires que rien de ce que fait le Washington Times n’est étranger à CAUSA. Il est intitulé « Informations complémentaires sur le Nicaraguan Freedom Fund ». On y découvre le numéro du compte en banque où adresser les fonds : 28-0832-7868 à l’agence de la Riggs Bank, 2550 M Street à Washington. On y apprend que « l’acteur Charlton Heston est responsable de rassembler les fonds nécessaires en Europe pour ce projet ». Deux lettres y sont jointes, la première est la transcription d’un message téléphonique adressé de Londres par le comédien aux invités de la conférence que CAUSA doit tenir le 13 juin 1985 à Genève : « J’approuve de tout cœur cette initiative et je regrette profondément de ne pouvoir être présent parmi vous. Retenu par un rôle dans une pièce qui se joue le jour même, je suis dans l’impossibilité de participer. […] Mes plus cordiales salutations. Charlton Heston. »

La deuxième lettre, signée du directeur exécutif du Nicaraguan Freedom Fund, est adressée à la Fondation pour la paix internationale, association paravent utilisée par la Famille française en attendant la mise en place définitive des structures de CAUSA, domiciliée pour l’occasion chez Pierre Ceyrac à sa villa de La Celle-Saint-Cloud : « Messieurs, merci, merci beaucoup pour votre très généreuse contribution à l’aide aux combattants de la liberté antisandinistes. […] Nous n’en sommes encore qu’à la phase d’organisation ; c’est pourquoi votre réaction immédiate aux articles de journaux annonçant notre création est particulièrement bienvenue. Sincèrement. Harold Eberlé. »

Cet échange de civilités ne manque pas de piquant : le coordinateur — non mooniste — d’une souscription lancée aux États-Unis par le Mouvement de l’Unification, remercie la branche française de ce mouvement d’avoir répondu aussi vite à l’appel de ses chefs. Qu’il sache ou non que CAUSA-France se cache derrière la transparente Fondation pour la paix internationale, le résultat de la manœuvre est évident : pour le grand public américain à qui l’on rendra des comptes le moment venu, ce sont des Français, amis de la liberté, qui lui ont remis un chèque. Pas des moonistes ! Les sympathisants français sauront, eux, lire entre les lignes.

À des années-lumières des combinaisons tactiques mijotées par les dirigeants de leur Église, les enfants de Moon continuent pendant ce temps de battre la campagne française. En ce mois de mai, Loïc dirige les opérations de fundraising entre Castres et Cannes, et beaucoup de Français, sans le savoir, financent une Église qui soutient une guerre lointaine. Au nom de l’unification de tous les chrétiens.

Qui sont les Contras ?  294

Les voitures glissent lentement dans M Street. Au bout de la rue, la bohème domestiquée de Georgetown, le quartier Latin bon chic bon genre de Washington. Quelques blocs plus haut, le centre ville le plus propre du monde : bâtiments publics éclatants, pelouses éternellement vertes et grasses. Le flot, presque harmonieux, des chemises blanches cravatées de sombre rappelle que la capitale des États-Unis cherche et trouve son plaisir dans le travail et le pouvoir.

Le 2550 M Street est un immeuble de standing. Les somptueux ascenseurs en aluminium brossé s’ouvrent au troisième étage sur une moquette tendre au pied. La grande porte en pin laqué de la suite 300 découvre une hôtesse au sourire fondant. Un bref coup de fil et Harold Eberlé est là qui m’attend à l’entrée du couloir conduisant aux deux pièces mises temporairement à la disposition du Nicaraguan Freedom Fund. Le personnage évoque irrésistiblement un officier de l’armée des Indes à la retraite.

La cinquantaine athlétique sanglée dans un strict blazer bleu, une poignée de main dévastatrice, une superbe moustache en guidon de vélo surmontant un sourire à l’épreuve des balles, « Hal » nous confie qu’il pilotait un bombardier pendant la guerre de Corée. Il a accepté de s’occuper de la campagne lancée par le Washington Times car William Simon le lui a demandé. Il était l’adjoint du secrétaire au Trésor sous le président Nixon.

Au mur, derrière lui, l’affiche que le Nicaraguan Freedom Fund a fait publier, pleine page, dans une dizaine de grands journaux américains, deux jours avant que le Congrès ne revienne sur sa décision et vote finalement une aide substantielle à la Contra. La composition de l’encart publicitaire laisserait sans voix les combattants qui depuis cinq ans s’étripent dans les montagnes du nord du Nicaragua. Sous le titre « L’Amérique centrale brûle… Le Congrès bricole », la photo d’une petite fille triste aux grands yeux noirs et celle d’un jeune garçon blessé sur son lit d’hôpital, soulignées de ces mots: « Voilà les victimes. Ce sont eux les Contras. Ces hommes, ces femmes, ces enfants ont besoin de votre aide MAINTENANT. S’il vous plaît, envoyez-nous votre contribution — déductible d’impôts — dès AUJOURD’HUI. »

Deux mois plus tôt, un rapport réalisé sous la responsabilité d’un groupe de parlementaires libéraux (républicains et démocrates) présentait la Contra sous un jour très différent : 46 des 48 commandements militaires de la FDN (Fuerza Democratica Nicaraguense, la principale composante de la Contra) sont tenus par d’anciens officiers ou sous-officiers de la garde nationale de Somoza. Deux d’entre eux, le commandant en chef — ancien attaché militaire du dictateur à Washington — et le responsable du contre-espionnage — accusé d’avoir engagé les assassins de Mgr Romero —, sont à ce point peu recommandables que d’autres leaders antisandinistes comme Eden Pastora refusent de s’allier à la FDN tant qu’ils n’en seront pas exclus. Les atrocités portées au passif de ces hommes avant et après la chute d’Anastasio Somoza maculent d’étranges taches l’uniforme de « combattants de la liberté » que voudraient leur faire endosser le président Reagan, le Washington Times et le Nicaraguan Freedom Fund.

Certes, Arnaud de Borchgrave n’a pas tort de préciser que 2 % seulement des Contras ont appartenu à la garde du dictateur. La plupart des combattants de la FDN sont en effet de simples paysans. Mais il oublie de dire dans son éditorial du 6 mai — immédiatement traduit et diffusé aux quatre coins du monde par les sections locales de CAUSA — que cette minorité oriente la guerre à sa guise — harcèlement de l’armée sandiniste, mais aussi coups de main contre des objectifs civils, massacres de paysans… — et qu’en cas de victoire il serait hasardeux d’attendre d’elle l’instauration d’une démocratie exemplaire à Managua.

« Pour des balles et des bombes »  296

Un mois et demi après le lancement de l’opération du NFF, les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. Hal Eberlé en convient. Le Fonds ne devrait guère collecter plus d’un demi-million de dollars. Deux communautés ont largement répondu à l’appel : les réfugiés d’Europe de l’Est — Ukrainiens et Lituaniens en particulier — et les Cubains anti-castristes. Nombre d’entre eux sont devenus des entrepreneurs prospères et mettent leur point d’honneur à financer « la cause ». Les radios privées cubaines de Floride ont largement ouvert leur antenne aux envoyés du Nicaraguan Freedom Fund. Un programme animé par Lynn Boucher, jeune politologue néo-conservateur souvent sollicité par CAUSA, a recueilli 50 000 dollars en quelques heures. La campagne a bénéficié de la sympathie active des leaders de ces communautés, compagnons de route des moonistes depuis plusieurs années : Lev Dobriansky, ambassadeur de Reagan aux Bahamas et cofondateur de la Ligue anticommuniste mondiale, ou Antonio de Varona, président de la Junte patriotique de Cuba. Un an plus tôt, ce dernier présidait une conférence de CAUSA très remarquée rassemblant dans un grand hôtel des bords du Potomac cent soixante-dix représentants des communautés hispaniques vivant aux États-Unis, symboliquement réunis à quelques encablures du Congrès. Les participants adoptaient en fin de séance une motion de soutien au révérend Moon, poursuivi par le fisc américain, adressée au président Reagan et aux membres du Congrès.

Les conservateurs américains ont réagi plus mollement. Quelques managers de grandes compagnies ont bien contribué, à titre personnel. Mais la moyenne des dons ne dépasse pas 2 000 dollars.

Hal Eberlé ne manque pas d’arguments pour expliquer ce demi-succès. Une certaine droite répugne encore à collaborer avec les hommes du révérend Moon. Les juifs conservateurs lui paraissent particulièrement réticents. Les grands commerçants israélites de Washington ne refusent-ils pas de placer leur publicité au Washington Times ? Ils n’apprécieraient pas, dit-on chez les Anglo-Saxons protestants, que les jeunes juifs convertis au moonisme travaillent pour l’Église de l’Unification à des salaires très bas. La composition du comité de parrainage — William Simon et Jeane Kirkpatrick sont des leaders incontestés de la droite américaine — n’a pu vaincre la méfiance de secteurs qui préfèrent financer la Contra par l’intermédiaire de la Ligue anticommuniste mondiale ou de groupes paramilitaires.

Autre difficulté à surmonter : la législation fédérale interdit aux fondations privées de financer l’achat d’armes par des rebelles luttant contre des gouvernements maintenant des relations diplomatiques avec les États-Unis. Or, les représentants du FDN ne cachent pas à leurs amis américains qu’ils ont un besoin pressant de matériels militaires très coûteux. Des hélicoptères, a confié Adolfo Calero, président de la FDN, à Hal Eberlé. Même rebaptisés pudiquement « transports aériens d’évacuation », ils ne sauraient être acquis avec l’argent du Fonds. Au grand dam des donateurs les plus décidés à en finir rapidement avec les sandinistes. D’anciens congressistes ou d’anciens officiers pour la plupart. L’ex-patron des opérations de l’US Navy, par exemple.

On raconte ici en souriant l’histoire de ce chèque parvenu au Nicaraguan Freedom Fund avec la mention « pour des balles et des bombes » ! « S’il ne tenait qu’à nous… », répondit-on par téléphone au généreux souscripteur. « Mais votre argent ne pourra servir qu’à acheter des vêtements, des médicaments, de la nourriture ou des toiles de tentes… Cela dit, la Contra dépense beaucoup d’argent à nourrir ses soldats… » La réponse fut immédiate : « Gardez le chèque ! »

Pourtant, la principale explication du faible impact de la campagne serait ailleurs : les journaux n’ont publié l’appel du Nicaraguan Freedom Fund que deux jours avant la réunion du Congrès qui devait permettre aux législateurs de revenir sur leur refus d’aider la Contra. Difficile dans ces conditions de convaincre les Américains de mettre sans tarder la main au portefeuille.

Hal Eberlé désigne sans complexe le responsable de ce fâcheux contretemps : le président des États-Unis qui a tardé trois semaines à répondre à la lettre de William Simon lui demandant d’appuyer officiellement l’initiative du Washington Times. Le président du Fonds, me dit Hal Eberlé, tenait en effet à ce que la Maison-Blanche couvre l’opération de son autorité morale. Ce retard a-t-il autant gêné les promoteurs de la campagne que veut bien me le dire Hal Eberlé ? Les termes de la réponse de Ronald Reagan — que l’encart publicitaire reproduit en fac-similé — donnent en effet la clé du refus du Nicaraguan Freedom Fund à se lancer, seul, à l’assaut des bas de laine conservateurs : il s’agit moins, pour ses créateurs, de rassembler 14 millions de dollars que de pousser le Congrès à en offrir le double aux antisandinistes.

« Cher Bill, écrit le président le 30 mai, […] vos efforts pour mobiliser l’aide privée, je les appuie de tout mon cœur. Mais je sais que vous serez d’accord avec moi pour dire que la nourriture, les vêtements et les médicaments rassemblés par vos soins ne peuvent remplacer l’aide directe et ouverte du gouvernement des États-Unis. Les deux doivent se compléter… »

Le passage est souligné au marqueur au beau milieu de la page publiée — moyennant 100 000 dollars — dans des journaux aussi influents que le Los Angeles Times, le New York Times, USA Today ou le Miami Herald. Deux jours avant le vote capital, l’argent du colonel Bo Hi Pak est donc massivement investi dans une campagne de soutien direct au président. Le message aux « traîtres » du Congrès est on ne peut plus clair : épargnez-vous la honte de voir le peuple américain recourir à l’aide privée pour défendre la liberté ! Il fait mouche.

Quelques semaines plus tard, à Paris, Pierre Ceyrac, secrétaire général de CAUSA-Europe, me confirmera que c’était bien là l’un des objectifs essentiels du Nicaraguan Freedom Fund. Dans une lettre adressée le 20 juin à ses sympathisants, il précise même : « L’action idéologique n’empêche pas, de temps à autre, une action ponctuelle judicieuse et efficace, comme la campagne organisée récemment par le Washington Times en faveur des Contras nicaraguayens. » Les amis de CAUSA ne doivent pas ignorer que le Mouvement de l’Unification fait aussi de la politique.

L’initiative d’Arnaud de Borchgrave aura en outre permis de recueillir quelques centaines de milliers de dollars qui feront la « soudure » en attendant que les trésoriers de la FDN ne reçoivent, au terme d’une procédure assez longue, les millions tout neufs débloqués par un Congrès enfin ramené dans la bonne voie.

Rouge, blanc, bleu, ou les couleurs de Moon  299

Voilà plus de deux heures que Hal Eberlé me raconte son Amérique et le mouvement conservateur. « Vous savez, c’est l’instinct de conservation qui nous guide en Amérique centrale : 40 % de notre pétrole passent par le canal de Panama tout proche… » Jeane Kirkpatrick : « la meilleure affaire » de la droite depuis longtemps! La mobilisation internationale autour du Nicaraguan Freedom Fund ? : «Nous avons reçu des contributions du Canada et du Japon… » Le sourire et la bonne humeur ne se démentent pas.

J’hésite à prendre congé sans poser deux questions qui me chatouillent le bout de la langue.

« Monsieur Eberlé, connaissez-vous le colonel Bo Hi Pak ?

— Très peu. Il m’a rendu visite ici récemment pour me féliciter du travail que nous faisions. Il n’a pas eu à se déplacer beaucoup : son bureau de Washington est à l’étage au-dessus.

— À propos de bureaux, monsieur Eberlé, qui vous fournit actuellement ces locaux ?

— C’est un homme d’affaires de Washington qui, entre autres biens, possède plusieurs étages de bureaux dans cet immeuble. Il a mis ceux-ci à notre disposition. Il fait dans la recherche de marchés et l’import-export. Il vend de tout sauf des armes : camions, nourriture, uniformes… Il voulait aider la Contra depuis longtemps et a l’habitude du fundraising. Il a déjà collecté de l’argent pour son Église… C’est un ancien marine, un authentique red-white-and-blue-american ! »

Délivré du sourire de Hal Eberlé, les pieds à nouveau sur l’asphalte de M Street, je réalise une nouvelle fois que le hasard fait bien les choses. Jugez plutôt: l’antenne à Washington de News World Communications — société new-yorkaise propriétaire du Washington Times, dont Bo Hi Pak est le président — est logée dans un immeuble qui abrite aussi gracieusement le Nicaraguan Freedom Fund, et le principal copropriétaire du bâtiment est membre du conseil de direction du NFF! L’autonomie du comité lancé par Arnaud de Borchgrave et William Simon apparaît décidément bien relative par rapport au Mouvement de l’Unification.

Les conservateurs ne lui en feront pas grief. Le colonel Pak n’est-il pas, en 1985, un personnage en vue du tout-Washington « rouge, blanc, bleu » ?


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20. Dîners en ville et jeux d’influences

Happy few

Pour juger de l’influence et de la cote d’amour de ses leaders, le petit monde politique de Washington se fie à certains signes. La participation à certains diners officiels, l’importance des personnages qui mangent à votre table, la distance qui vous sépare de l’hôte d’honneur de la soirée sont autant de paramètres qui permettent d’évaluer votre prestige.

La fulgurante ascension de l’état-major mooniste dans les cercles conservateurs n’a, de ce point de vue, échappé à personne. Alors que Sun Myung Moon purge toujours sa peine au pénitencier de Danbury, le début de l’année 1985 voit Bo Hi Pak et ses principaux assistants triompher dans les diners les plus huppés.

Retenons quelques dates.

1er mars: comme chaque année, le National Conservative Political Action Committee offre à Washington un banquet monstre pour quelque 2 500 personnalités venues de tout le pays. Nancy et Ronald Reagan y assistent régulièrement depuis neuf ans et, bien entendu, président les agapes depuis leur accession à la Maison-Blanche. Ils sont encore une fois au rendez-vous, entourés par toutes les célébrités et éminences des multiples tendances de la droite « musclée » : « Old Right », « New Right », « Nouveau Right », « Neo-cons », etc. Pour les conservateurs, c’est « la » réception de l’année.

Surprise : à la table du Washington Times, à la droite de Bo Hi Pak, est assis Donald Regan, le chef de cabinet du président. Il passera toute la soirée bien en vue à ses côtés.

Beaucoup n’apprécieront pas qu’un personnage aussi proche de Ronald Reagan s’affiche publiquement en compagnie de l’adjoint du « Nouveau Messie» encore emprisonné pour fraude fiscale. Quelle aurait été leur réaction s’ils avaient su ce qui s’est passé avant le banquet ? L’histoire peut paraître anecdotique, mais elle a plongé plus d’un leader conservateur dans une profonde perplexité : il est de tradition, en effet, avant le grand banquet, que les figures les plus éminentes du mouvement se réunissent en privé, à l’écart des regards et des oreilles indiscrètes. Depuis l’arrivée de Ronald Reagan au pouvoir, on peut considérer que les cinquante ou cent élus participant à ce conclave constituent en quelque sorte un gouvernement élargi de l’Amérique. On y retrouve, évidemment, les grands noms que nous ne cessons d’énumérer à longueur de pages : généraux à la retraite, anciens de la CIA, directeurs de « boîtes à penser », parlementaires, millionnaires activistes…

Cette année, ils sont environ une centaine, dont une quinzaine de membres du gouvernement, discutant des grandes affaires du moment. Parmi eux, pour la première fois admise à telle fête, la délégation mooniste évolue avec l’assurance que confère le sentiment d’appartenir à une même famille. Accompagnent Bo Hi Pak James Gavin, le « public relations » du Washington Times, et surtout Mose Durst, qui n’a d’autre titre à faire valoir que celui de président de l’Église de l’Unification aux États-Unis…

La complicité qui lie moonistes et conservateurs doit beaucoup à l’un des principaux organisateurs de la réunion : John Terry Dolan, le président de cette extraordinaire machine à ramasser de l’argent qu’est le National Conservative Political Action Committee. Car, soit dit en passant, il faut payer très cher pour participer à ce dîner.

Ce bouillant jeune homme est sans doute l’un des activistes les plus « mouillés » avec les moonistes. D’abord, il siège au conseil consultatif de CAUSA, l’organisation politique de l’Église de l’Unification qui a pris le relais de la Freedom Leadership Foundation. Mieux, il utilise des fonds moonistes pour certaines de ses activités. Il anime par exemple une campagne permanente dans les médias et les milieux politiques visant au boycott des échanges commerciaux avec l’Union soviétique. Il a, dans cette optique, mis sur pied une énième organisation conservatrice, baptisée CALL — Conservative Alliance —, qui coordonne en ce domaine les efforts jusque-là dispersés de divers lobbies de droite.

CAUSA a versé 500 000 dollars en 1984 pour financer le programme publicitaire de CALL. L’organisation mooniste l’a publiquement reconnu et s’en est même félicité. Reconnaissons avec elle qu’il s’agit là de sommes efficacement utilisées.

Le plus beau « coup » réalisé par John Terry Dolan est indéniablement un « spot » télévisé, diffusé sur tout le territoire, qui donnait la parole à Kathy McDonald, la veuve du représentant démocrate de Georgie mort dans le Boeing de la KAL abattu en 1983 par la chasse soviétique. Avec ce sens de l’exactitude et de la nuance qui caractérise aujourd’hui le débat idéologique, elle y déclarait, belle et émouvante : « Les missiles utilisés pour assassiner mon mari ont été élaborés grâce à la technologie vendue aux Soviets par des compagnies américaines dans le cadre de marchés financés par des banques américaines. Contribuez à stopper cette folie, rejoignez-moi et soutenez CALL ! »

On imagine aisément l’impact de ce message sur un public aussi sentimental que celui de l’Amérique profonde.

Terry Dolan avouera aussi que l’argent mooniste a servi au lancement de la nouvelle radio anticastriste installée en Floride, Radio Marti.

Toujours dans le même esprit, il semble bien que CAUSA ait aussi financé une série télévisée sur l’Amérique centrale réalisée sous le contrôle de l’American Security Council, le lobby « Défense » des ex-généraux Singlaub et Graham… dont était membre l’ex-général Woellner, l’un des principaux dirigeants de CAUSA International.

On n’en finit décidément pas de démailler le filet dans lequel Moon a enfermé la droite américaine.

La présence des moonistes au banquet du NGPAC n’aurait pas eu valeur de symbole si, dans les mois suivants, ils ne s’étaient fait remarquer, en d’autres lieux, en aussi bonne compagnie.

Lors du dîner annuel offert par l’Association des journalistes accrédités à la Maison-Blanche, fin avril 1985, les convives, médusés, n’ont d’yeux que pour la table du Washington Times présidée par Arnaud de Borchgrave en l’absence de Bo Hi Pak. Pas moins de quatre membres du gouvernement Reagan entourent le flambant neuf rédacteur en chef du journal mooniste : Edwin Meese, devenu ministre de la Justice ; Robert McFarlane, principal conseiller du président pour la Sécurité nationale ; le ministre de l’Énergie, John Herrington, et Alexander Haig, l’ancien titulaire du département d’État…

Mieux encore : le même mois, Bo Hi Pak et ses amis sont au nombre des happy few qui reçoivent Ronald et Nancy Reagan lors d’un dîner de gala offert à l’hôtel Marriott de Washington au profit des réfugiés nicaraguayens au Honduras. Le repas réunit le who’s who de l’aide privée à la Contra. Les moonistes n’ont pas reculé devant la dépense : ils occupent deux grandes tables avec leurs invités. À 250 dollars le repas par personne, c’est une belle contribution à l’initiative conçue par Woody Jenkins, directeur exécutif du Council for National Policy, l’organisme qui coordonne la « guerre privée » au Nicaragua, mais aussi fondateur de Friends of America, l’association qui — souvenez-vous — travaille au coude à coude avec les organisations moonistes dans les camps de la guérilla miskito à la frontière du Honduras… Pour boucler la boucle, je vous livre une confidence d’un membre éminent, mais discret, du Council for National Policy : CAUSA aurait largement renfloué les caisses, un moment déficitaires, de Woody Jenkins.

La valse des billets verts  305

Pour en arriver là, pour partager la table des puissants et se faire entendre d’eux, l’Église de l’Unification a dépensé des fortunes. Les moonistes ont fini par reconnaître que le Washington Times leur avait coûté 150 millions de dollars en trois ans. James Whelan avoue, à son grand regret, qu’aucun milliardaire conservateur n’aurait été prêt à prendre le même risque pour la cause. Il se souvient que l’argent n’a jamais manqué. Tous les 1er et 15 du mois, il recevait un chèque d’un million de dollars émis par One Up, une holding mooniste domiciliée dans les mêmes locaux qu’Unification Church International, à McLean, dans la banlieue de Washington.

Et si une petite rallonge se révélait nécessaire en fin de mois, il lui suffisait d’appeler la secrétaire de Bo Hi Pak.

Notons au passage qu’en financiers avisés les moonistes ont choisi l’État voisin du Delaware pour installer le siège social de One Up. Le bureau de McLean n’est qu’une succursale. La législation du Delaware s’est toujours montrée compréhensive — à la différence d’autres États américains — envers les sociétés peu soucieuses de révéler l’origine de leurs capitaux et de leurs dirigeants.

« À ces 2 millions destinés exclusivement au fonctionnement et à la fabrication du journal, dit Whelan, il fallait rajouter chaque mois les dépenses de construction prévues sur un . budget à part… »

L’Église de l’Unification paie très cher ceux qui acceptent de collaborer avec elle au Washington Times. Elle a, par exemple, embauché James Whelan à un salaire annuel supérieur à celui qu’il touchait au Sacramento Union. Trois ans de salaire ont été bloqués dans une banque de Washington pour le garantir contre une éventuelle faillite du journal. Outre la splendide résidence qu’il a mise à sa disposition, le Times lui a offert une Cadillac et un abonnement à l’un des clubs de loisirs les plus chics de la capitale.

Les contrats proposés aux successeurs de l’Irlandais grimperont jusqu’à des sommets rarement atteints dans l’histoire de la presse américaine. Peut-être pour compenser l’effet désastreux causé par les déclarations de James Whelan au moment de son départ. En substance : « Ce journal n’est plus l’organe indépendant que j’appelais de mes vœux. Il est tombé entre les mains de Bo Hi Pak et de ses adjoints moonistes qui veulent tout régenter ! »

Smith Hempstone, le rédacteur en chef adjoint qui devient rédacteur en chef en juillet 1984 — James Whelan occupait ce poste, plus celui de directeur de la publication —, se voit offrir 5 000 dollars de plus par an que son ancien patron.

Et lorsque Bo Hi Pak, après cet intérim, se met en chasse d’une nouvelle grande signature capable de diriger le journal mais aussi de resserrer les liens avec les conservateurs et la Maison-Blanche, la valse des billets verts s’accélère… À James Watt, l’ancien ministre de l’Intérieur, on propose une prime d’entrée d’un demi-million de dollars. L’affaire ne se fera pas. Malgré des offres alléchantes, plusieurs personnalités de premier plan déclinent la proposition, dont l’ambassadrice Jeane Kirkpatrick, Lynn Nofzeger — un intime du président — ou William Rusher, directeur du National Review et, déjà, éditorialiste du Times.

En désespoir de cause, Bo Hi Pak se rabat sur un ancien prix Pulitzer, John Hanchette, l’un des directeurs de la chaîne de journaux Gannett. Moins politique mais incontestablement professionnel. Il lui propose 135 000 dollars par an. Pour commencer… Hanchette, qui gagne beaucoup moins, ne se laissera pas tenter, mais en parlera à Arnaud de Borchgrave…

Le futur rédacteur en chef du Times saura faire monter les enchères : 900 000 dollars pour trois ans ! 200 000 pour la première année ! À titre de comparaison, son homologue du prestigieux New York Times gagne environ 150 000 dollars par an.

Ce n’est pas la première fois que l’auteur du Spike reçoit de l’argent du Washington Times. James Whelan lui a signé un contrat de 65 000 dollars en avril 1984 pour une étude de marché préalable au lancement de l’édition nationale en Californie, à Chicago et à Philadelphie. Et les articles qu’il a déjà écrits pour le Times lui ont été royalement payés…

Les activités politiques de l’Église coûtent aussi très cher : « Je me souviens, me dit James Whelan, que Phil Greene, l’avocat de Bo Hi Pak, me confiait début 1984 que les moonistes investissaient autant en propagande, conférences et autres initiatives, qu’ils dépensaient pour maintenir le Times : environ 50 millions de dollars par an. L’organisation des conférences internationales — celles de CAUSA ou celles des Médias — mobilise de gros budgets. Les participants sont invités, voyage et frais payés. Certaines têtes d’affiche touchent gros pour intervenir. Je calcule que William Rusher aura gagné environ 100 000 dollars pour ses différentes collaborations et en particulier pour présider la conférence mondiale des Médias de Séoul et y prononcer plusieurs discours. »

Les 100 millions de dollars généreusement investis chaque année dans la bataille anticommuniste ont fini par convaincre nombre de conservateurs — souvent les plus intransigeants — de la nécessité de collaborer ouvertement avec Sun Myung Moon.

L’exemple d’Arnaud de Borchgrave est, de ce point de vue, très révélateur. À peine installé au Washington Times, il dit déjà s’y trouver très à l’aise. Sa marge de manœuvre vis-à-vis de Bo Hi Pak et de l’Église est pourtant plus restreinte que celle de James Whelan. Le poste de directeur de la publication ayant disparu de l’organigramme, il dépend financièrement des gestionnaires — contrôlés par la maison mère mooniste, News World Communications — pour mettre en œuvre sa politique éditoriale. Par ailleurs, dans la nouvelle équipe, la plupart des administratifs et des journalistes moonistes ont pris du galon.

Il avoue pourtant au Los Angeles Times, en juin 1985, qu’il est pour lui « confortable» de cohabiter avec les idées politiques de Moon. Intellectuellement s’entend. Et il ajoute, sans complexe : « Le révérend Moon est en prison à cause de ses convictions, parce qu’il est le symbole d’une croisade anticommuniste mondiale… Pas de doute là-dessus, c’est un anticommuniste et il semble bien que cela soit un crime dans notre société… »

Le grand journal californien en conclut qu’« aujourd’hui, l’appartenance à l’Église de l’Unification n’est plus pour le journal un problème aussi important qu’autrefois ».

Affaires de Famille  308

Il n’a donc pas échappé à Arnaud de Borchgrave que Sun Myung Moon était un authentique anticommuniste. James Whelan a eu, lui, tout le loisir d’apprécier qu’on ne pouvait le réduire à cela. Au contact quasi quotidien de Bo Hi Pak pendant deux ans, il a pu constater qu’au-delà de la défense de l’Amérique, la Famille poursuivait avec beaucoup d’entêtement des objectifs moins désintéressés. Et qu’elle n’hésitait pas, pour tenter de les atteindre, à faire intervenir certains de ses amis politiques américains.

« Au printemps 1984, raconte James Whelan, j’ai commencé à sentir que Bo Hi Pak cherchait par tous les moyens à affirmer son pouvoir au sein du journal. C’est l’époque où l’ambassadeur Han [Sang Keuk Han, dit Bud Han, ancien de la CIA, venu à l’Église avec Bo Hi Pak dans les années cinquante ; NdA] est apparu dans les couloirs. Censé s’initier à la presse pour lancer plus tard une revue à New York. En fait un cheval de Troie introduit au journal pour mieux le contrôler.

« Le colonel me demanda alors un service exceptionnel. Il avait besoin de mon aide pour essayer d’améliorer les relations de l’Église avec le gouvernement de Corée du Sud ! Je savais qu’ils avaient un lourd contentieux en cours avec Séoul depuis l’arrivée du nouveau président Chon Doo Hwan en 1980. L’ambassade de Corée à Washington me l’avait confirmé. Depuis quatre ans, le gouvernement n’accordait plus de visas de sortie à la troupe des Petits Anges.

« Et surtout il refusait l’autorisation de construire une université mooniste — l’une des plus grandes d’Asie — sur une île que possède l’Église au cœur de la capitale, sur le fleuve qui traverse Séoul. Pour obtenir le feu vert, ils avaient même offert la moitié du terrain aux autorités […] .

« L’idée de Pak était de me faire obtenir une audience — pas une interview, une audience — avec le président de Corée. Dans son esprit, il s’agissait de m’utiliser comme envoyé plénipotentiaire de l’organisation. Je le sentais désespéré de ne pouvoir se servir davantage du pouvoir que lui conférait la propriété du Washington Times. Le simple fait d’obliger le président coréen à me recevoir aurait déjà constitué une victoire. Je me serais contenté de louer l’œuvre réalisée par Moon et Pak, en insistant sur l’influence et la puissance acquises par l’Église aux États-Unis. Il fallait donc qu’un personnage important obtienne le rendez-vous. Pak me demanda donc de convaincre Richard Allen… »

Le colonel coréen ne pouvait mieux choisir. Premier conseiller de Ronald Reagan pour les affaires de Sécurité nationale, c’est Richard Allen qui a convaincu la Maison-Blanche de recevoir le général Chon Doo Hwan aux États-Unis en 1982. Retiré depuis du gouvernement, il est devenu l’un des principaux consultants mondiaux pour les entreprises qui commercent avec la Corée et l’Extrême-Orient en général.

« Pak me précisa, poursuit James Whelan, que je pouvais payer à Allen ce qu’il désirait. Je ne devrais le consulter qu’au cas où le contrat dépasserait 250 000 dollars! Pak insista tellement que je dus accepter de faire quelque chose. Je contactai Allen et lui demandai de prospecter pour nous les possibilités de lancer une édition internationale du Washington Times en Asie. Je lui offris pour cela 150 000 dollars. Finalement, le contrat fut signé pour 100 000. Accessoirement je lui fis part des désirs de Bo Hi Pak. Il me promit de faire son possible… »

James Whelan ne fera pas grand effort pour obtenir la fameuse audience. Tout en affirmant le contraire à Bo Hi Pak. Richard Allen tentera sa chance, sans succès, mais la tentera. L’Irlandais détient encore le télex que lui envoyait son ami pour le tenir au courant de la négociation.

À la grande colère de Bo Hi Pak, le directeur du Washington Times reviendra bredouille d’une tournée en Asie qui devait le conduire au palais présidentiel de Séoul. Trois mois plus tard, il sera licencié. Richard Allen, lui, continuera à entretenir des relations tout à fait cordiales avec les moonistes. Il sera l’invité vedette de la VIIe conférence mondiale des Médias en novembre 1984 à Tokyo.

« Ce n’était pas la première fois, se souvient James Whelan, que les moonistes tentaient de se servir de leurs amis politiques américains pour résoudre un problème épineux qui se posait à l’autre bout du monde. En 1983, par exemple, ils ont fait appel à l’ancien ministre des Finances d’Eisenhower, Robert Anderson, pour intercéder auprès d’un consortium bancaire international dans une négociation très difficile : emmenées par la Wells Fargo de San Francisco, plusieurs banques — dont la Manufacturers Hanover, une grande banque française et une grande banque canadienne — exigeaient du Banco de Credito d’Uruguay — mooniste — le remboursement, sous trente jours, d’un crédit préalablement accordé de 15 millions de dollars. Si j’ai bien compris, c’est la banque française qui faisait machine arrière après avoir découvert qui était le véritable propriétaire du Banco de Credito. Robert Anderson, personnalité très en vue du monde économique américain, a accepté d’intervenir auprès de la Wells Fargo. Pourquoi ? Il rêvait depuis longtemps d’organiser une grande conférence monétaire internationale — un nouveau Bretton Woods — et les moonistes lui avaient promis de financer son projet… »

La « sainte alliance »  310

Les démêlés du prophète avec le fisc américain et son emprisonnement pour dix-huit mois à l’été 1984 donneront à l’Église l’occasion de compter ses amis.

Force est de reconnaître que les secteurs les plus extrémistes de la « majorité morale » ne se feront pas prier pour « renvoyer l’ascenseur » et voler au secours du « Nouveau Messie », victime de la « persécution religieuse ». Curieusement soutenus par des organisations ou des personnalités libérales très attachées à la défense des droits fondamentaux garantis par le premier amendement de la Constitution, et en particulier à la liberté religieuse. Ainsi verra-t-on le révérend noir Joseph Lowery, l’un des successeurs de Martin Luther King à la tête du mouvement des droits civiques, et l’ancien sénateur McCarthy, prêter leurs noms à différentes campagnes de soutien à Sun Myung Moon.

La Famille crie au scandale car « Père» a été privé de liberté et condamné de surcroît à une amende de 25 000 dollars, alors que le vice-président George Busch ou la candidate démocrate à la vice-présidence Geraldine Ferraro — qui doivent des sommes encore plus importantes au fisc — ont évité la prison.

Il est vrai que la peine qui frappe Sun Myung Moon semble disproportionnée au regard des arriérés dus: 7 300 dollars seulement pour 100 000 dollars d’intérêts non déclarés. Cela autorise-t-il les moonistes à dénoncer le procès fait à leur leader comme une atteinte inadmissible à la liberté religieuse ?

Me Haggaie, l’avocat de l’AUCM française, ne va pas jusque-là. Il a longuement étudié le dossier et affirme que Sun Myung Moon est en fait victime, dans cette affaire, de ses propres avocats. Il n’aurait jamais été condamné aussi lourdement si ses conseils avaient dès le début de la procédure accepté les faits: de 1973 à 1975, 1 700 000 dollars déposés sur un compte personnel ont rapporté à Sun Myung Moon 100 000 dollars qu’il n’a pas déclarés à l’impôt sur le revenu. Ce faisant, il n’aurait écopé que d’une pénalité mineure. Malheureusement, de 1981 à 1984, tout au long d’un procès marathon, les moonistes se sont acharnés à vouloir démontrer que le compte en banque incriminé n’était pas celui du « Nouveau Messie », mais bien celui de l’Église qui lui avait confié ses fonds et que l’argent déposé n’avait servi qu’à financer des activités religieuses… Or, depuis le rapport Fraser, tout le monde sait que, dès son arrivée aux États-Unis, Moon a beaucoup investi dans la politique et les affaires.

En résumé, la justice américaine n’a pas apprécié qu’on lui fasse prendre des vessies pour des lanternes…

Les « religieux » qui s’associent aux protestations de l’Église de l’Unification font fi de ces explications et concentrent leur campagne sur un seul thème : Moon est un symbole de la liberté menacée par l’État et l’institution fiscale. Au premier rang des défenseurs de Moon, deux parlementaires mormons : George Hansen, représentant de l’Idaho, et Orrin Hatch, sénateur de l’Utah.

Le premier manifestait déjà avec les moonistes sur les marches du Capitole, le 10 avril 1975, contre la « honteuse défaite » du Viêtnam. Il sera l’un des piliers de la « Coalition pour la liberté religieuse » qui multipliera les manifestations de soutien à « Père » avant et après son emprisonnement.

Le second est un infatigable « combattant de la liberté ». Les lecteurs du journal français Libération feront sa connaissance en novembre 1985 lorsque le quotidien révélera qu’une fondation américaine « Pour la démocratie» « arrose » discrètement des organisations « libres» comme Force Ouvrière ou l’UNI, le syndicat universitaire d’extrême droite. Orrin Hatch siège au conseil d’administration de cette fondation.

À quelques mois de l’emprisonnement du révérend, le sénateur mormon fait des pieds et des mains pour éviter que le « Nouveau Messie» ne se retrouve à l’ombre, pour la cinquième fois en quarante ans. Lorsque Moon fait appel devant la Cour suprême des États-Unis, Orrin Hatch multiplie les déclarations publiques pressant la haute institution d’examiner le cas du prophète, et d’annuler la décision qui le frappe. Seuls les initiés peuvent à l’époque saisir l’importance de cette intervention. Car l’homme qui, dans les faits, décide de la saisine de la Haute Cour est lui aussi mormon et conservateur.

L’avocat général Rex Lee — l’équivalent de notre procureur de la République — a, en toute logique, de bonnes chances d’être sensible à l’amicale pression d’un leader de sa communauté, le sénateur de l’Utah, berceau et bastion de l’Église mormone.

Malheureusement pour Moon, Rex Lee est de ces fortes têtes qui n’aiment pas les pressions. Il a été nommé par Ronald Reagan lui-même et se sent assez fort pour y résister. Il confiera plus tard à l’un de ses amis que, jamais depuis son arrivée à son poste, il n’avait assisté à une telle mobilisation pour éviter la prison à un homme. « J’ai reçu, dira-t-il, des coups de fil de tous les appareils politiques de Washington, y compris de la Maison-Blanche. »

La Cour suprême refusera de connaître l’affaire Moon.

Orrin Hatch aura alors recours à une ultime manœuvre pour tenter de différer l’incarcération. Président de la sous-commission sénatoriale sur les questions relatives à la Constitution, il convoque Sun Myung Moon au Capitole, le 26 juin 1984, pour l’entendre sur le procès qui l’oppose à l’administration. La presse fera ses gros titres de cette audience où « Père » reçoit le soutien enthousiaste d’une centaine de pasteurs présents dans la salle.

Pendant les douze mois que le fondateur de l’Église de l’Unification passera au pénitencier de Danbury, la sympathie de ses amis de l’Église mormone et de la majorité morale ne se démentira pas. Sautant sur l’occasion, la Famille dépensera, en 1985, entre 5 et 10 millions de dollars pour former et organiser autour d’elle les religieux fondamentalistes. CAUSA créera un nouveau département pour sensibiliser pasteurs et prêtres à la doctrine de l’unification et à l’emprisonnement de son leader. Baptisée CAUSA-Alliance pastorale, cette nouvelle structure ad hoc organisera spécialement pour eux des dizaines de conférences dans tout le pays.

Au printemps 1985, trois cents ecclésiastiques, choisis sur les listes de la majorité morale, recevront directement chez eux un luxueux « paquet-cadeau » contenant trois cassettes vidéo, deux livres et une brochure exposant les principaux thèmes du « dieuisme ». Le tout accompagné d’une lettre de Mose Durst, le président de l’Église américaine, précisant que, du fond de sa cellule, Sun Myung Moon priait pour eux chaque jour…

Coût approximatif de cette inédite opération de catéchèse audiovisuelle : environ 4 millions de dollars !

Mais c’est sans doute par l’intermédiaire de la Coalition pour la liberté religieuse que l’Église a le mieux exploité l’infortune de son chef. Au départ, il ne s’agissait que de mobiliser des amis — ou des obligés — pour la défense de Moon. Mais très vite, les stratèges de la Famille ont compris que la condamnation de « Père » pourrait leur permettre de s’implanter dans des milieux jusque-là réservés à leur égard, car religieux et donc concurrents.

Si l’on excepte le pasteur noir Lowery et l’ex-sénateur McCarthy — qui, soit dit en passant, ont mis de l’eau conservatrice dans leur vin libéral depuis quelques années —, la Coalition pour la liberté religieuse regroupe les principaux révérends de la majorité morale, cette nébuleuse d’associations religieuses ultra-conservatrices qui a transformé la première campagne présidentielle de Ronald Reagan en croisade pour la théocratie. Y siègent en particulier le Californien Tim La Haye et Jerry Falwell, leader incontesté du mouvement, connu pour sa contribution morale à la plate-forme électorale de Ronald Reagan et ses positions très favorables à l’apartheid sud-africain.

Sous la bannière de la Coalition, pasteurs et moonistes descendront dans la rue à plusieurs reprises, en 1984 et 1985, pour réclamer la grâce de Sun Myung Moon. À sa sortie de prison, en août 1985, ils l’accueilleront en héros et martyr dans un grand hôtel de Washington.

La sainte alliance entre la majorité morale et l’Église de l’Unification survivra sans doute à la libération du « Nouveau Messie ». Tout les rapproche. L’aspiration à un nouvel ordre moral et l’anticommunisme « essentiel », bien sûr. Mais aussi la nécessité de s’unir pour faire accepter par la société américaine l’engagement croissant des Églises fondamentalistes dans le débat politique.

Un petit signe qui ne trompe pas : le colonel Bo Hi Pak a confié la direction du petit dernier de son groupe de presse — le magazine Insight, sorti à l’automne 1985 — au bras droit de Jerry Falwell, Ronald Godwin.

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LISTE DES PRINCIPAUX SIGLES UTILISÉS

AUCM : Association pour l’unification du christianisme mondial.
ADFI : Association pour la défense de la famille et de l’individu.
CAUSA : Branche politique de l’Église de l’unification (AUCM).
CIEL : Comité des intellectuels pour l’Europe des libertés.
MURS : Mouvement universitaire pour la révolution spirituelle.
FLEC : Front de libération du Cabinda.
APVSM : Association pour la promotion des valeurs spirituelles et morales.
KAPA : Association politique coréano-américaine.
UCI : Unification Church International.
KCIA : CIA coréenne.
KCFF : Fondation coréenne pour la culture et la liberté.
APACL : Ligne anticommuniste des peuples d’Asie (branche asiatique de la WACL).
WACL : World Anticommunist League (Ligne anti-communiste mondiale).
AIM : Accuracy in Media.
ASC : American Security Council.
USCW : United States Council For World Freedom.
FIVC : Fédération Internationale pour la Victoire sur le Communisme.
ACWF : American Council for World Freedom.
FLF : Freedom Leadership Foundation (Fondation pour la suprématie de la liberté).
CIRPO : Conférence internationale des résistances en pays occupés.

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« L’empire Moon » pages 1-176

« L’empire Moon » pages 177-238

« L’empire Moon » pages 239-314

« L’empire Moon » pages 315-419

J’ai arraché mes enfants à Moon – Nansook Hong

« L’ombre de Moon » par Nansook Hong

Transcription de Sam Park vidéo en Français

« Billet pour le ciel » par Josh Freed

Témoignages d’anciens membres de la secte Moon 

Moon La Mystification